Avignon Off, La Chapelle du Verbe Incarné, juillet 2009
Une vibration sortie du plus profond des ténèbres, du fond de la cale du bateau négrier, une vibration qui ébranle tout le théâtre et résonne dans les corps des spectateurs. D’de Kabal travaille d’abord sur le ressenti.
Ni décor ni costume, seulement des corps et leurs langages, gestuel avec la danse, acoustique avec les sons de bouche du beat box et les mots du slam. Un seul outil musical détourné : l’amplificateur, détournement qui rappelle ceux de ces musiciens qui inventèrent le jazz et détournèrent le saxophone, la trompette ou le violon.
Deux silhouettes dans l’obscurité que la lumière découpe à peine, le corps entravé dans le fil du micro, image des liens de l’esclavage, image du fouet aussi : corps d’esclaves entravés enlacés, ficelés et les draeds des cheveux qui se déploient dans la lumière comme les branches souples d’un saule. Ces corps-arbres enracinés par les cheveux entre terre et ciel, la peau épaisse et endurcie, ravinée par la trace, la souffrance, le ravalement à l’animal, une dimension plastique du mouvement dans l’espace et de la transcendance musicale, le fil du micro se fait cordon ombilical, se confond avec le fouet et les liens de l’esclavage quand procréer a à voir avec la mort plus que l’amour.
Le premier volet du spectacle convoque sur le plateau les fantômes de Jacquot-qu’on-ne-casse-pas. L’esclave qui, sur la plantation, a endossé les fautes de ses camarades, celui qui offre son dos au fouet pour sauver ses compagnons et qui finalement dans sa résistance de l’intérieur déstabilise l’ordre du maître, jusque dans sa mort, puisqu’il donne un enfant à la petite Marie, dont le ventre ne devait pas être fécondé avec cette graine subversive.
L’autre volet de la pièce, ou plutôt le revers de la pièce, nous ramène à notre monde d’aujourd’hui, celui des quartiers des banlieues, la violence qui couve. Car il s’agit bien des deux faces d’une même pièce. Mais cette corde-entrave-fouet-racine-ombilic qui n’est en définitive que le câble du micro dit le lien qui nous attache au passé et cette nécessité à donner la parole aux vieux fantômes pour qu’ils éclairent les limbes des temps coloniaux de nos origines et nous aident à vivre ensemble au lieu de nous hanter.
Écorces des peines
Un spectacle conçu par D’ de Kabal
Compagnie R.I.P.O.S.T.E.
Avec Blade, D’ de Kabal et Didier Firmin///Article N° : 8896