Edito 64

Des traces qui font tache ?

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« Pour avoir trop bien incarné l’avenir, il ne pouvait plus être identifié, même lointainement au présent »
Luc Nemeth

Tout le problème est là : l’histoire occidentale a tellement bien travaillé à occulter les grandes figures noires qui l’ont jalonnée que peu de gens sont capables de n’en citer ne serait-ce qu’un nom ! Diplômée d’une thèse de musicologie, une jeune femme ouverte et cultivée avouait n’avoir découvert le Chevalier de St Georges que très récemment, par hasard, grâce au livre de Claude Ribbe qui lui avait été offert. Quant aux  » incontournables  » Alexandre Dumas et Pouchkine, ils ont tellement été absorbés par l’histoire telle qu’elle a été écrite et véhiculée par l’Occident, que leur sang noir en a été lavé,  » blanchi  » pour mieux les ériger au Panthéon des grandes figures littéraires des sociétés pour lesquelles ils ont oeuvré. Même les  » meilleures volontés  » ne peuvent s’empêcher de lâcher un laconique  » oui, mais leurs origines noires sont très lointaines « . La question est dans ce  » oui mais « , comme si le sang noir était incompatible avec l’œuvre de ces  » grands hommes « . Comme si des écrivains majeurs de la littérature russe et française ne pouvaient avoir été le fruit de métissages.
Comment des cultures qui ont pratiqué la traite des noirs, qui ont érigé comme un fait établi la supériorité de l’Homme blanc sur l’Homme noir, qui se sont dotées de missions civilisatrices pour mieux asseoir leur main-mise économique sur un continent entier, pourraient-elles clamer l’apport des Africains et des Antillais célèbres ou anonymes à leurs avancées politiques, à leurs progrès économiques, à la sauvegarde de leurs libertés et à leur richesse culturelle ? Comment des nations qui en 2005  » accordent à l’histoire de la présence française outre-mer (…) la place qu’elle mérite  » et dans lesquelles la situation d’un grand nombre d’immigrés africains – si peu représentés dans les arcanes des pouvoirs en place – est loin d’être reluisante, pourraient-elles revendiquer les métissages avec lesquels elles se sont constituées ?
Comment des sociétés multiculturelles depuis que le monde est monde ont-elles pu à ce point faire fi de ce qui a participé à leurs fondations ?
C’est tout le projet et l’enjeu de ce numéro qui se propose de témoigner des traces laissées par les grandes figures noires dans l’histoire occidentale. Traces oubliées, voire niées, comme des taches qu’on aurait voulu effacer. Elles appartiennent pourtant à notre patrimoine commun, qu’elles ont contribué à enrichir et que nous nous devons de transmettre sans le déformer aux générations futures.
« L’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent : elle compromet, dans le présent, l’action même » a écrit l’historien Marc Bloch.
Il est grand temps de sortir de l’ignorance.

///Article N° : 3884

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