entretien croisé d’Olivier Barlet avec l’équipe de Ouaga Saga : Dani Kouyaté (réalisateur), Jean-Claude Schifrine (chef opérateur), Agnès Datin (productrice) et Jean-Daniel Fernandez (monteur)

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Agnès Datin, productrice 
Ce qui me passionne dans un tel film, c’est cette impression que c’est très ancré, qu’il y a une relation avec un public ? Quand vous le produisez, quels sont vos objectifs immédiats ?
Le film a d’abord été un coup de cœur. Au départ, il n’était pas prévu de le faire en HD ni avec les effets spéciaux, mais quand j’ai lu le scénario, j’en ai été convaincue. Un peu comme quand on se promène et qu’on entend de la musique : en lisant le scénario, j’ai vu les images qu’il fallait faire. Donc on en a parlé avec Dani qui a trouvé que c’était une bonne idée et le film s’est fait ainsi.
Le choix du HD ? C’est un format inhabituel…
Oui, comme c’est un film qui n’a pas un budget énorme, ça permettait d’avoir une technologie facile à maîtriser, facile aussi pour les effets spéciaux, et puis nous avons en fait assez l’habitude de ce format parce que dans ma vie d’avant le film j’ai fait beaucoup d’effets spéciaux, ayant géré une société de prestation de services dans les nouvelles technologies.
Saïd Naciri, sur Les Bandits, a également tourné en HD au Maroc, justement pour avoir des effets spéciaux efficaces…
Oui c’est vraiment pour cela, absolument, et d’ailleurs on a transféré le film il y a quinze jours en 35 mm et c’est vraiment formidable, on a vraiment eu raison de tourner comme ça, le kinescopage fonctionne bien…
Est-ce un secret de dire le budget du film ?
Non : 10 millions de francs CFA.
Donc là on arrive quand même avec 10 millions de francs à faire un film qui fonctionne, qui peut passer aussi bien en salle qu’en télé…
Absolument. Plus tout le coeur qu’on a mis. On a pris un plaisir immense à faire ce film. C’était vraiment comme une famille. De plus, bien que ce soit des nouvelles technologies, à peu près 80 % de l’équipe vient du Burkina Faso, donc tout le monde s’est bien adapté à la fabrication du film, il y avait une osmose entre l’équipe française et l’équipe burkinabé, qui attend vraiment que la technique arrive pour pouvoir travailler avec : ils sont prêts, il n’y a pas à dire « il va falloir qu’on leur apprenne », etc. c’est inné.
C’est votre première expérience africaine ?
Oui. Et je trouve ça formidable, les gens ont une envie de travailler, on sent qu’ils sont passionnés par l’image : il y a des Européens qui pourraient en apprendre !
Si on va chercher les grosses difficultés que vous avez rencontrées, c’est de quel ordre ?
On n’en a pas vraiment eu, à part la chaleur, mais ça, c’est le lieu qui veut ça… Tout s’est très bien passé.
Est-ce que vous trouvez sur place une infrastructure qui fonctionne ?
Oui, on a travaillé avec un co-producteur burkinabé : Sahélis Productions, Sékou Traoré.
Un homme dans la place…
C’est quelqu’un de professionnel, et l’équipe qu’il nous a trouvée était vraiment bien. On a fait ça en osmose, un travail d’équipe, tout de suite ça a bien fonctionné.
Donc là on peut dire qu’il y a un terrain où on peut véritablement produire, il y a tout ce qu’il faut sur place ?
Tout ce qu’il faut sur place, pas vraiment, parce qu’on a tout amené, mais disons qu’on a toute l’équipe qu’il faut sur place. Au niveau des hommes donc, oui, mais du matériel, non.
Cela grève un peu le budget…
Oui mais si on tourne en 35mm cela coûte beaucoup plus cher. Ce qu’on économise d’un côté on l’a de l’autre…
De nombreuses scènes de nuit, cela représente beaucoup d’éclairage…
Oui il y avait des éclairages, mais Jean-Claude a trouvé un système qui fonctionnait bien, mais il faut dire qu’avec la hdtv on peut éclairer beaucoup moins, ce qui permet de faire de très belles images : elle est très sensible et tout de suite ça prend les couleurs, la lumière…
Jean-Claude Schifrine, chef opérateur
On va passer à la photo : est-ce la première fois que vous travaillez avec Dani ?
Avec Dani c’est la première fois.
Quelle est votre impression globale en tant que chef opérateur sur un travail de ce type ?
Pour reparler du HD, je crois que c’était le seul format vraiment valable pour le faire… Vous avez posé la question des scènes de nuit : à mon niveau si on avait tourné en 35mm, j’aurais eu beaucoup de soucis de lumière, il aurait fallu plus de projecteurs, trafiquer les lampes, bref, beaucoup plus de choses, coûteuses, il aurait fallu presque tricher avec les lampes… Ce format-là est extraordinaire car grâce à cela il m’a fallu à peu près la moitié de lumières, pour tout le film, que ce dont j’aurais eu besoin en 35mm.
Parce que très souvent quand il y a des scènes de nuit avec des Noirs, les Noirs sont noirs comme la nuit…
C’est clair : mon challenge vis-à-vis de la production, c’était de filmer des Noirs éclairés à la lumière naturelle, enfin avec des lampes à pétrole. Ceci dit, Agnès parlait tout à l’heure des techniciens, et sur place j’avais aussi une maquilleuse qui étaient excellente, et je pense que si j’étais parti avec une maquilleuse européenne, je me serais planté, parce que ce n’est pas la même chose, elle a bien compris ce que je voulais, c’est-à-dire de faire de petites brillances sans que cela devienne de la sueur, que cela soit propre : c’est un travail entre moi et la maquilleuse. Et puis le format HD, pour y revenir, c’est un format incroyable, surtout en basse lumière c’est extraordinaire. Je crois que c’était vraiment adapté à ce film. Et en plus le retour 35 est merveilleux, toute la technique maintenant est très maîtrisable… Et pour les effets spéciaux, on n’a plus de problèmes techniques de transfert, de shooter, de transformer des négatifs en fichiers informatiques, tout ça… On prend la cassette, on la met dans la machine… C’est facile.
On n’a plus besoin de grand labo ?
On a juste besoin du labo pour passer en film…
Ça, c’est la phase qui coûte cher.
Ça coûte cher mais la pellicule ne coûte strictement rien au tournage : 50 euros les 50 minutes, c’est irremplaçable, et sans nuire à la technique ni à la qualité de l’image. Et puis on a travaillé tous les deux ensemble parce qu’il y avait les effets spéciaux, on a storyboardé…
Ça se sent, c’est très structuré…
C’est structuré, tous les deux on a passé beaucoup de temps en lecture, à digérer, refaire, storyboarder, être d’accord ou pas sur le storyboard, et en définitive ce qu’on voit comme effets spéciaux se trouvait dans le storyboard : on ne s’est pas réveillé un matin tous les deux en se disant « tiens, on devrait faire ça » : Ça a été très préparé. C’est extrêmement important, je pense, parce que ça fait gagner du temps, de l’argent, parce qu’on a tourné comme ça en 6 semaines, donc il fallait faire vite, avec la chaleur, avec tout ce que ça représente, parce que pour nous Européens, il fait chaud, mais même pour les gens locaux il faisait très chaud. Ce n’était pas facile.
Vous avez tourné à quel moment ?
En avril mai 2003. Je pense qu’on a eu de la chance de tourner à cette époque-là car on n’a pas eu de problème de pluie, ce qui aurait été catastrophique non seulement pour moi, mais surtout, même si c’est toujours adaptable, pour la production… Il pleut, on s’arrête, et on a des soucis de raccord d’image pour des séquences qu’on commence à 9 heures et qu’on finit à midi, le soleil monte très vite et ça, il faut quand même le gérer. Ça aussi c’est grâce au format… Il y même des plans tournés le soir et qui redémarrent le matin dans la séquence…
Donc c’est une technique qui permet d’être un peu moins tributaire des heures de tournage…
Absolument. Et ce qui est formidable, c’est qu’on avait mis un moniteur HD dans la chambre d’hôtel, et que le soir on voyait nos rushes, en qualité maximale. Et ça, c’est quand même appréciable. On a tourné aussi avec le son synchro : on a essayé un peu de révolutionner la technique du son, c’est-à-dire qu’on couchait le son en direct sur la cassette en HF. On avait immédiatement le son synchrone. On n’avait pas les images muettes. Il y a plein de facilités, c’est fantastique… On a le résultat immédiat, c’est une souplesse de travail exceptionnelle. On a tourné à deux caméras certaines séquences.
Vous avez fait comme Jean Renoir dans Le Crime de M. Lange qui avait inauguré ça… Comment avez-vous fait ? Vous variez les angles de vues avec les deux caméras ?
Oui pour certaines séquences comme celles de danse, les séquences de la boîte à la fin pour avoir plusieurs axes, la séquence du foot aussi, on a tourné un peu dans les conditions d’un match de foot, d’ailleurs, tout était coach酠! Sur ce film tout a été vraiment préparé, même le match, toutes les passes ont été coachées. C’est important car cela nous permet, lors de la mise en image, de savoir ce que le joueur va faire ceci et qu’il va tomber là… Ça aide !
Vous aviez déjà une expérience africaine avec d’autres cinéastes ?
J’ai fait des films en Afrique, mais pas de long métrage.
Et qu’est-ce qui est important pour vous personnellement dans ce type de travail en Afrique.
C’est l’image, c’est faire des films. Ce n’est pas spécialement l’Afrique. Ce que j’aime c’est les challenges. L’année d’avant j’avais fait un film en Amazonie, un long métrage, c’est un peu la même idée : c’est des paris à chaque fois. Ce qui est bien c’est les relations avec les gens. À chaque fois je tourne avec des équipes locales, ce qui est extraordinaire. Agnès parlait tout à l’heure du matériel : en arrivant avec ce matériel j’étais le magicien. J’ai même éclairé avec des ballons, c’était l’attraction de Ouaga, les gens venaient voir la nuit, les ballons qui illuminaient Ouaga. Ce sont les relations humaines qui m’intéressent. Même la fin du film était très triste : on a vécu des moments intenses, et quand on a repris l’avion pour Paris tout le monde pleurait. Donc on avait gagné quelque chose : non seulement un film mais aussi des relations. J’ai hâte d’aller au Burkina et leur montrer le film qu’on a fait ensemble : ça va être une fête incroyable, d’autant que le film en lui-même déjà est magique.
Il y a une projection de prévue à Ouaga ?
Pour le Fespaco.

Jean-Daniel Fernandez, monteur.
Le montage paraît extrêmement structuré. A la différence de  » A nous la vie  » par exemple, le type de produit télé que Dani avais fait précédemment, qui était un produit rapide, où tout était uniquement dialogué. Là, on a une sorte d’alternance assez systématique avec quelque chose qui relève de la sociologie de la ville, et des séquences dialoguées visant à faire avancer l’action. Comment vous avez pensé le montage ?
Un point très important : le film s’appelle Ouaga Saga. Il fallait que la ville ait une vie et soit le deuxième personnage du film. Il y avait donc d’un côté le microcosme de ces enfants qui essayent de s’en sortir, et d’un autre côté cette ville qui évolue à un rythme tout à fait différent, et de là vient l’idée, dont on a discuté avec Dani, de trouver des séquences où on pouvait insuffler une vie à cette ville avec une récurrence de certains plans comme celui des camions qui symbolise un peu la galère de ces enfants qui poussent leur destin. On a essayé de structurer ça avec des moments de pose, des moments où on sortait du décor… Finalement on a très peu de décor : souvent la maison de la famille, parfois l’extérieur, il fallait que d’un seul coup on respire, dans cette ville qui grouille et est une vraie fourmilière. Très vite, on a trouvé cette façon de rythmer le film en intercalant ces plans de ville… On avait des heures de rushes de ville donc on a essayé de faire que ces plans un peu documentaires finalement s’intègrent au reste.
En cela, le générique est une sorte de résumé du film.
Absolument. Que dire d’autre ? C’est le chef qui va parler !

Dani Kouyaté, réalisateur
Voilà une toute autre démarche que Keïta ou Sia, des grands films en 35. Ouaga Saga est un produit délibérément populaire, fête foraine, on a envie de dire « la vie est belle » en sortant ! D’où vient cette volonté ?
Pour dire la vérité, elle ne vient pas de moi, elle vient du scénario, qui est un très bon scénario de ce point de vue-là. Ce sont les auteurs qui ont voulu faire cet hommage à Ouaga et à la jeunesse du Burkina. Tout est parti de là.
Ce n’est pas toi qui amènes le scénario au départ ?
Non. Moi je ne peux pas faire un scénario avec un happy end. Ça c’est clair ! Il a été écrit par deux Français qui ont vécu au Burkina, et qui ont vraiment aimé le Burkina et qui ont voulu rendre hommage à Ouaga et à la jeunesse, à travers cet optimisme. Ce qu’ils voulaient, c’était surtout quelque chose de positif. Et moi j’ai eu la charge de faire sortir ça du scénario et pour moi ça a été un exercice assez compliqué. Tu connais le cinéma africain : la tendance est plutôt au grave qu’au rigolo. Donc pour moi c’était un pari de faire sortir l’atmosphère de ce scénario, d’autant plus qu’en réalité il n’y a pas d’histoire. C’est un film d’atmosphère, un film positif pour donner un peu d’oxygène.
Il y a un côté chronique très fort.
Oui, tout à fait. Et ça, quand je dis il n’y a pas d’histoire, ce n’est pas une lacune : c’est un style, et il fallait respecter ce style-là. Parce que si je cherchais une histoire dans le film, je démissionnais sur le scénario. Je devais chercher l’atmosphère de l’intérieur de film, et pour cela la productrice a été très importante car elle était du même point de vue que le scénario. Je pense que c’était fondamental d’avoir une productrice qui était là et qui voulait que sorte de ce scénario quelque chose de positif et de jovial. Ça a donc été une rencontre entre un scénario qui se voulait ainsi, et une production qui a tout fait pour amener la chose dans cette direction. Moi j’étais là pour essayer de concrétiser tout ça. Ca m’a boosté un peu c’est vrai, j’ai abandonné beaucoup de mes vieux acquis, j’ai remis en question plusieurs choses. J’ai ouvert mes horizons et suis allé vers d’autres directions et ce film peut surprendre pour les gens qui ont l’habitude de voir mon travail : il va un peu à contre-pied de ce que j’ai fait jusqu’ici.
Peux-tu encore dire : je suis griot, fils de griot donc je fais un produit de griot ?
Oui, car pour moi ce film est un conte. D’ailleurs si je ne m’étais pas appuyé là-dessus je n’aurais pas pu le faire. Je considère que ce film est un conte de griot, parce que quand je raconte une histoire, à des enfants ou a des adultes, je suis dans la dérision totale. Quand je te cite les fables de La Fontaine, le renard et le corbeau, il se trouve que le corbeau c’est mon voisin. Les contes, c’est de la dérision. La métaphore, c’est l’art du griot, et c’est l’art du cinéma. Les deux se rencontrent. Je me suis appuyé sur ma folie de conteur pour pouvoir faire ce film. La monteuse son par exemple me proposait certaines choses, si je n’étais pas tendance dérision, je me serais évanoui !
Là où je fais une différence, c’est cette sorte d’affirmation du cinéma, de fascination du cinéma : tu mets même le mot cinéma en flashes et clignotants comme décor d’une scène lorsque le gars raconte Rio Bravo de Howard Hawks… Et on débouche sur Ouaga multiplexe !
C’est fabuleux, non ?
Complètement ! C’est en tout cas une vraie de référence ?
Oui, pour moi il y a trois hommages dans le film : un hommage à la ville de Ouaga, un hommage à la jeunesse, et un hommage au cinéma. Les trois choses sont liées quelque part. Ouaga est liée au cinéma à cause du Fespaco, et le Fespaco c’est aussi la jeunesse… Et pour moi ces trois choses vont ensemble dans le même hommage en fin de compte, et donc Ouaga multiplexe, et le shérif, et l’âne et la séance de cinéma, et la chanson western sur les femmes qui descendent vers le commissariat, pour moi tout ça c’est Ouaga, tout ça participe du rêve de la ville de Ouaga, et de l’hommage que les auteurs ont voulu mettre dans leur scénario.
L’âne, tu as pensé à Borom Sarret ?
Non pas du tout. Ce que je dois dire, c’est que ce film est vraiment une création collective. À chaque étape, il y a eu des choses qui sont arrivées, qui n’étaient pas écrites ou pas attendues. Chacun a vraiment mis son grain de sable dans cette histoire, à tous les niveaux : au niveau de l’écriture par exemple, au niveau des dialogues, on a fait appel à d’autres personnes, qui les ont nourris avant le tournage. Après pendant le tournage avec le directeur photo on a inventé de nouvelles choses qui n’étaient pas prévues. Avec le monteur il a trouvé des choses ; le coup de la voiture qui circule qu’on pousse en permanence, ça sort du monteur, pas du scénario. Au montage son aussi il y a eu de nouvelles choses.
Alors quand tu parles de conte, c’est un peu conte de fées : le gars qui gagne à la loterie, etc. On est aussi bien dans La Petite vendeuse de Soleil de Djibril Diop Mambety que dans Wariko de Fadika Kramo-Lanciné. Et ce côté conte de fée permet de faire une analyse sociale par derrière, mine de rien.
Tout à fait et c’est assez loin de mon univers habituel. D’habitude je suis assez rationnel et assez dur avec les politiciens et tout le bataclan et puis l’esprit qui est dans le scénario a été protégé par la collaboration et aussi par mon ouverture parce que je n’avais pas envie de trahir le scénario : autrement j’aurais fait autre chose. Et là je n’avais tellement pas envie de trahir l’esprit de ce scénario que je me suis appuyé sur tout ce et tous ceux que je pouvais, dont mes collaborateurs et chacun à sa façon y a contribué. Il y avait un challenge, très puissant, fragile et complexe, quasiment métaphysique : c’était de s’ouvrir sans se perdre, sans perdre l’âme, sans que la ville perde son âme, sans que les jeunes perdent leur âme. C’est un exercice qui n’est jamais gagné d’avance et c’est ce pari qu’on n’a pas trop raté. J’espère. J’attends de voir la réaction du public.
Est-ce que ce n’est pas facilité par le montage, par une structure du film qui respecte une linéarité dans le sujet mais avec tout le temps une sorte de petit cercle où on va explorer quelque chose : on amène un discours quelquefois politique, puis on s’en éloigne sans l’avoir épuisé mais sans l’avoir délaissé non plus.
Jean-Daniel Fernandez, monteur : Il y a un art de la digression. On sent que Dani a utilisé cette structure du scénario pour effleurer un sujet en deux mots puis il retrouve le fil de l’histoire jusqu’au prochain endroit où il peut faire une petite digression. Justement : ce qu’il a réussi à apporter, c’est son regard de cinéaste. Il est modeste quand il dit que c’est une réalisation collective. Je trouve que Dani est un canalisateur de vision. Il a fait la somme de toutes les visions des autres et l’a concentré sur sa vision. À chaque moment, il a réussi à apporter certaines touches qui permettent cette structure qui participe du fait qu’on ne s’ennuie pas dans ce film. Si ç’avait été seulement linéaire, on se serait heurté à une histoire qui ne tenait que sur un certain fil, une histoire de vol de mob, comment chacun essaye de trouver sa vie.
Et nous voilà revenu au griot !
Dani Kouyaté : Oui, c’est l’art de la narration, mais ça, ce sont les monteurs qui sont les champions de ce truc.
Jean-Daniel Fernandez : la plupart des acteurs du film sont des acteurs non professionnels. Il y a un travail admirable de direction d’acteurs. On a l’impression en revoyant le film aujourd’hui que tous ces personnages se connaissent depuis des années. On croit à cette bande. C’était un des paris les plus risqués de créer avec des acteurs non professionnels une cohésion de groupe. On y croit vraiment : quand ils s’insultent ou se disent des choses abominables, on y croit, et on sent en plus qu’ils ont une telle amitié entre eux que rien ne pourrait la perturber, ce qui explique comment ils arrivent à pardonner l’impardonnable, comme cet homme qui part avec toute leur fortune et quand il revient, finalement, c’est vite pardonné. Je trouve que Dani a réussi à pétrir l’humain de façon admirable. C’est vrai que quand on voyait les rushes, en tant que monteur un moment j’étais désespéré car je me disais, je n’ai rien à faire ! J’ai simplement à servir par moments un petit peu, mais le film était déjà là, ces relations, cette humanité, cette joie de vivre étaient déjà imprimées dès le premier « action » jusqu’au « coupez ».
Sur la question des acteurs, on reconnaît certains bien sûr, et puis il y a ce gamin, Thomas Ouédraogo, qui est assez extraordinaire : on l’avait vu dans « Voyage à Ouaga », dans « Source d’histoire » d’Adama Roamba sur les enfants soldats : c’est un acteur né, ce gamin !
Oui il a vraiment beaucoup de talent il fait partie de ceux qui tiennent le film.
Je l’avais interviewé à Namur il y a deux ans sur Voyage à Ouaga, et je lui avais demandé « Que faut-il pour être un bon acteur ?  » et il m’avait dit : « être bon en maths ! » – Comment ça ? « Oui car quand tu es bon en maths, tu as une bonne mémoire et tu retiens bien ton texte… » (Rires) Il est étonnant. Il était tout timide, un peu plus jeune…
Dani Kouyaté : Oui moi j’ai pensé qu’il était timide le premier jour ! il ne m’avait pas trop inspiré. Mais il faut dire qu’on avait fait tout un travail avec eux : pendant un mois ils ont travaillé ensemble. Nous avons fait les auditions, ça a été assez long, et quand on a regroupé les jeunes, j’ai dû les confier pendant un mois à Madou Boro, un metteur en scène de théâtre qui travaille beaucoup avec les jeunes, qui les a encadrés, trois fois par semaine, et ainsi a pu créer cette magie, cet esprit. Après ils ont travaillé les dialogues en amont, se sont approprié ce qui était écrit, il y avait une certaine souplesse dans ce qui était écrit et ce qui devait être dit. Serge Henri aussi, un de nos acteurs, le voisin du film, a travaillé avec eux.
Il y a par moments l’utilisation extraordinaire de musiques de cinéma, de références comme la reprise de Rio Bravo…
La musique fait partie des choses qui nous ont le plus fatigués dans le film parce qu’on n’a pas eu beaucoup de temps pour la travailler. Ceci dit, on a été au bout de ce qu’on avait à faire avec ce qu’on avait. Mais je peux dire que s’il y a une seule frustration dans toute cette histoire, c’est de n’avoir pas pris assez le temps et la disponibilité de voir ce qu’on pouvait faire de notre bande-son. On a traité au mieux la musique, sincèrement, dans l’esprit des choses, et ça, c’est en grande partie grâce au monteur qui après un premier bout à bout s’est amusé à balancer des musiques sur certaines images et à nous les proposer et il se trouve que ça allait dans le sens qu’on cherchait donc on s’est enfoncé là-dedans.
Pour le choix des musiques, il n’y a pas eu un musicien sur le film en particulier ?
Oui, il y a eu un musicien pour les morceaux originaux. Tout ce qui est musique de Ouaga, le thème a été composé par un musicien qui s’appelle Mokhtar Samba. Il y a quelques morceaux aussi d’atmosphère créés par lui sous la direction de Marc Miller qui est un compositeur de Paris. Ils ont conçu ça comme ils pouvaient avec le temps dont ils disposaient aussi. Et même si nos rêves étaient autres, nous apprécions assez le résultat. Pour le reste, le concept de la bande-son vient de nous, du montage, de la production, de la monteuse son surtout, qui nous a vraiment proposé ce concept sonore. Parce que les atmosphères sont tout à fait décalées. Ce n’est pas du tout réaliste. Qui connaît l’ambiance sonore de la ville de Ouaga sait qu’on est à côté de la plaque. C’est là le truc sur lequel on a voulu jouer. C’est elle qui l’a proposé. La production m’a apporté des gens vraiment intéressants, mais au départ je ne savais pas à qui j’avais affaire. Là mon équipe a 100 % changé ! Je n’ai pas mon chef photo, pas mon ingénieur du son, pas ma monteuse… Je me suis jeté à l’eau à 100 % et j’ai rencontré des gens qui ont chaque fois apporté des choses qui ont nourri ce qu’on voulait faire : ça ouvre les horizons.
Jean-Claude Schifrine : Il y a une osmose qui s’est faite entre nous tous. On ne se connaissait pas et d’un seul coup, comme l’éclair qui arrive sur la mobylette, il y a quelque chose qui s’est passé. La magie a fonctionné.
Dani Kouyaté : Pour conclure, je voudrais dire que ce n’est pas que des fleurs qu’on se lance : il y a une éthique de la création qui veut que chacun participe, et ma conception du cinéma est que c’est plus que jamais de la création collective. Je suis sûr que si j’ai un mauvais directeur photo, j’aurai de la mauvaise lumière, et si le monteur n’est pas bon, le film sera bancal, etc. De mon point de vue le rôle d’un metteur en scène c’est de canaliser, de gérer les talents.

///Article N° : 3447

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