entretien de Luigi Elongui avec Dédé Saint-Prix

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Parmi les artistes ayant réactualisé chouval-bwa et ti-bwa, Dédé Saint-Prix a bien voulu répondre à nos questions sur l’importance de ce style dans le paysage musical martiniquais.

Vu le succès mondial de la musique cubaine, la Martinique mériterait aussi une audience internationale : sa production musicale est extraordinaire pour un territoire plutôt réduit…
Nous sommes les premiers à nous émerveiller ! Une île de 1080 km2 qui pourrait faire danser toute la planète ! C’est une réalité qui porte à réfléchir : il faut soutenir cette musique, organiser encore plus de concerts, en accompagner les manifestations avec des conférences, des pièces de théâtre, des films ou des projections de diapositives. Ainsi les gens pourront mieux approcher le chouval-bwa et mieux l’apprécier. D’ailleurs, les radios qui ont une certaine couleur ne passent pas tellement cette musique ; pourtant, nous chantons en créole et, par là, faisons partie de la francophonie. Rien empêcherait de diffuser plus souvent le chouval-bwa sur les ondes : mis à part les disques, ce style est limité aux manèges et, avec sa disparition, c’est une partie de l’âme martiniquaise qui risque de s’envoler si les opérateurs culturels n’y pensent pas.
Dans tes stages de chouval-bwa, que retiens-tu du comportement des élèves ?
Ils entrent dedans peu à peu. Ils en apprennent les contours et les aspects mélodiques, et ça leur fait du bien. Moi, je les aide à saisir la polyrythmie à travers les onomatopées que j’émets avec ma bouche.
Le chouval bwa est encore suivi dans les campagnes martiniquaises ?
Tout à fait. Le chouval-bwa est une manière de vivre et de parler ; son répertoire est plein de mots imagés – comme dans l’héritage des contes – et les expressions qui reviennent dans mes chansons plaisent beaucoup, surtout aux personnes âgées, qui s’amusent à les utiliser pour m’appeler. Je continue à m’inspirer de ce patrimoine. C’est une musique très riche et, bien que l’argent ne circule pas autour d’elle, il y a beaucoup de sagesse et de spiritualité. Même à distance, je sens la présence des gens qui pratiquent le chouval-bwa et ça me fait du bien.
Comment as-tu transplanté cette musique sur scène ?
L’instrument principal du chouval-bwa est la tambour dé-bonda, à deux peaux frappées par deux baguettes. Pendant les spectacles, il est plus aisé de le remplacer par un tambour à une seule peau. Le rythme de base est donné par le ti-bwa. Ensuite, il y a le tcha-tcha et la flûte en bambou, qui peut être substituée par l’accordéon, par le violon, ou par le saxophone. L’accordéon – par lequel la tradition bretonne conflue dans la musique martiniquaise – est présent également dans la haute-taille. C’est de la haute-taille, comme du bel-air ou du ladjia, que le chouval-bwa s’inspire, pour ensuite imposer sont jeu très particulier et piquant. Et ceux qui dansent le chouval-bwa sont ailleurs, dans un monde qui n’a rien à voir avec celui du zouk.
Y a-t-il une zone particulière à la Martinique où le chouval bwa soit répandu ?
Non, car on le retrouve un peu partout chez nous, mais aussi à Sainte-Lucie, à la Dominique et en Afrique de l’Ouest : j’ai vu une photo de femmes africaines jouant un t- bwa en bambou, comme celui du chouval-bwa.
Ces derniers temps, les musiques du monde trouvent un public international. Dans la diaspora, que ce soit au Brésil, en Haïti ou à la Guadeloupe, une nouvelle tendance est en train d’éclore, qui puise dans un répertoire traditionnel à base de voix et de percussions. Qu’en penses-tu ?
L’histoire est en marche et il est temps que le retour aux sources advienne vraiment. Le problème est que les instances régissant la diffusion de ces musique se trouvent ailleurs que dans leurs pays d’origine, et que leurs options artistiques ne sont pas toujours conséquentes. Le résultat est que pas mal de musiciens de valeur sont traités comme des laissés pour compte.
Participes-tu encore à des concerts ou à des manifestations dans les campagnes martiniquaises ?
Obligé ! Je fais des concerts partout dans le monde mais je ne renonce pas à être présent à la Martinique, surtout à l’occasion des fêtes patronales pour garder le contact avec la population. Au niveau des stages, j’en prépare un pour un collège, à Basse-Pointe, où j’envisage de donner des cours réguliers de chant et percussions. Ici en France, je collabore avec la direction de la Cité de la Musique et, à la rentrée, je serai à Angoulême pour commencer une action culturelle en vue du festival  » Musiques Métisses « .
Est-ce que tu iras aussi à l’étranger ?
Au mois de juillet, je partirais en Suède pour un stage de percussions afro-caraïbéennes : j’y étais l’année dernière et ils m’ont invité de nouveau. Le thème du cours sera la  » frappe  » : c’est un préliminaire pour tout percussionniste de savoir comment et où donner le coup sur la peau, selon le son que l’on veut tirer de l’instrument. Par cette technique essentielle de l’approche au tambour, on apprend les  » petits bouts  » : ce sont les détails de la polyrythmie, ceux que le public parfois n’entend pas car ils sont étouffés par d’autres instruments qui jouent plus fort. Mais ils sont très importants dans l’économie globale de la musique, comme une sorte de compensation par rapport aux sons qui se perdent : si l’on arrivait à les faire entendre aux spectateurs, ces derniers pourraient mieux comprendre l’ensemble. Pour y arriver, il faut aller jusqu’au bout de l’exploitation de la base traditionnelle et ne pas perdre l’identité. Il y a des musiciens qui ajoutent trop d’instruments modernes et c’est dommage parce que ces subtilités risquent de disparaître.
Et toi, comment arrives-tu à établir l’équilibre entre l’acoustique et l’électrique dans tes arrangements ?
J’utilise basse, synthé et batterie, comme on est habitués à le faire dans nos orchestres… Par là, je réalise des mélanges de différents styles : compa et chouval-bwa, qui se marient très bien ; ou sinon, compa, chouval-bwa et plena portoricaine, qui est une synthèse de trois pays de la Caraïbe. Mais on peut y ajouter aussi les motifs venant de Trinidad ou de la Jamaïque.
Y a-t-il une histoire particulière à l’origine du chouval-bwa ?
Il y a une version selon laquelle le moulin à cannes aurait donné naissance au manège : l’idée serait venue du fait que les enfants s’amusaient avec les cannes. Selon d’autres, le manège antillais serait une imitation de celui d’Europe, mais il y a des Européens qui disent, au contraire, qu’il est l’ancêtre du manège occidental… En tout cas, on en trouve également à Trinidad, au Mexique et à Portorico.
Dans ta démarche, il y a un engagement culturel certain. Est-ce que tu es en liaison avec les écrivains de la  » Créolité « , qui sont animés par les mêmes motivations ?
Dans notre combat, il y a tout d’abord une prise de conscience individuelle, qui devient ensuite collective. Pour parler des écrivains de la  » Créolité « , Chamoiseau m’a dit que, quand il n’était pas encore connu, il écoutait mes anciens albums pendant qu’il écrivait.
Parles-nous de tes débuts.
Quand j’étais tout petit, ma grand-mère, Man Dédene, m’amenait dans les bals et les mariages. J’avais un oeil particulier pour la scène : je regardais comment les gens étaient habillés, comment ils dansaient ou à quel moment ils commençaient à chanter.
Parmi tes contacts avec l’Afrique, est-ce qu’il y a un souvenir qui te fait penser à son héritage rythmique dans la musique antillaise ?
J’ai assisté à un spectacle des  » Tambours Juniors  » du Ballet National de Guinée : il y avait des vibrations là-dedans qui m’ont fait ressentir quelque chose de difficile à définir… De toute manière, dès que j’écoute des musiques vaudouisantes, les rythmes Petro ou Congo, ou les motifs yoruba qui en sont la base, je suis saisi d’une telle force que tout problème disparaît de ma tête, ou que je le vois sous un angle différent.

///Article N° : 375

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