entretien d’Olivier Barlet avec Didier Ouenangaré

Co-réalisateur du Le Silence de la Forêt

Cannes, mai 2003
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Co-réalisateur avec le Camerounais Bassek ba Kobhio du film Le Silence de la Forêt, Didier Ouenangaré est d’origine Centrafricaine.

Quelle était l’intention du film au départ ?
L’idée de départ était dans un premier temps d’attirer l’attention sur les Pygmées, ethnie minoritaire ignorée des politiques, de l’administration et du monde. Lorsqu’on rentre en pleine forêt, on voit que le déboisement ne leur permet plus de vivre comme ils le faisaient de chasse, de cueillette, de la nature. Ils risquent de disparaître comme les Indiens d’Amérique et encore, ils ne seront pas parqués ! Le rôle de Gonaba sert à montrer aux Centrafricains ce qu’ils font comme dans un miroir.
C’est non-seulement du racisme mais aussi une catastrophe humanitaire. J’ai eu l’occasion de réaliser des films documentaires sur les Pygmées. Des sœurs catholiques essayent de les intégrer dans la population civile en ramenant les plus jeunes dans l’enseignement scolaire mais n’y arrivent pas car elles s’y prennent mal : on ne peut pas prendre quelqu’un qui a vécu de façon enracinée dans la forêt et lui demander de vivre à l’occidentale. Ce n’est pas à nous de leur imposer ce que nous voulons. Il est vrai que les Occidentaux sont venus et nous ont imposé ce que nous vivons aujourd’hui, qui n’a pas que du mal, mais mieux vaut demander aux gens ce qu’ils veulent.
On a l’impression que le film s’adresse ainsi aussi bien aux Occidentaux qu’aux Africains.
Gonaba n’a pas réussi le retournement qu’il voulait en amenant aux Pygmées la révolution que représente le fait d’apprendre à lire et à écrire. Le patriarche lui demande à quoi cela leur servirait en pleine forêt alors que leur souci est avant tout de se déplacer et de chasser en pleine forêt. Nous devons garder les Pygmées dans leur environnement naturel. Le déboisement est un vrai danger pour eux comme pour le monde.
Un tournage chez les Pygmées avec son lot d’importation de matériels et méthodes ne risquait-il pas d’avoir l’effet inverse de ce à quoi appelle le film ?
Non, car je les ai fait jouer dans leur langue naturelle, la langue aka. Eriq Ebouaney a dû apprendre le sango, langue centrafricaine, pour jouer son rôle. Je suis le premier fasciné par les Pygmées : deux avaient déjà fait des tournées de danses folkloriques à l’étranger mais pour les autres, ils n’avaient jamais quitté leur village ! Je leur disais que nous allions filmer un conte et qu’il fallait qu’ils se sentent comme dans le conte lui-même. Mais quand je voulais marier deux comédiens dans le film, ils refusaient par peur de problèmes avec le mari… Avec une cigarette, de la boisson et une bonne discussion, ils acceptaient.
Le personnage du vieux patriarche est étonnant.
Oui, il fait partie de ceux qui n’avaient jamais été en ville. Il en rajoutait même un peu. Quelquefois, il ne voulait pas démarrer le matin et attendait que je lui donne de l’alcool. Ils ont du mal à s’en passer : ils en préparent eux-mêmes, boivent le vin de palme. Leur vie est naturelle et on ne peut parler de paresse mais leur vie est tranquille !
Toute l’équipe dans un village pygmée, ce ne devait pas être simple au niveau logistique.
Nous avons cherché un site qui ne soit pas trop loin d’une ville mais aussi suffisamment éloigné. Un village a été construit pour loger les pygmées et un autre pour le studio. Tout ce qu’on voit dans le film est un village studio préparé en fonction du scénario. Ils habitaient dans un village annexe construit à leur intention.
Gonaba ne retrouve pas Simone en fin de film : c’est un peu frustrant pour le spectateur.
Il n’était pas question qu’il retrouve Simone pour respecter le souci du scénario de respecter le choix de chacun de devenir la suite.
Nous nous étions rencontrés en 2000 à Bangui : on reconstruisait après les émeutes de 1997. Avec tout ce qui s’est passé depuis en Centrafrique, comment avez-vous pu tourner un film ?
Ce n’était pas impossible mais c’était difficile. Je suis têtu de nature. J’ai été cadreur à France 3 durant dix ans. Lorsque j’ai décidé de rentrer en Centrafrique, on m’a dit qu’il n’y avait rien sur place et que je ne pourrai jamais y réaliser un film. Mais je savais que si je renonçais, personne ne le ferait à ma place. Je savais quelles difficultés m’attendaient. Bassek ba Kobhio a été l’homme de la situation, qui est aussi têtu que moi. Nous avons tourné dans un contexte militaro-politique très difficile, même durant des couvre-feux, mais nous y sommes arrivés.
Etait-ce votre premier tournage ?
J’ai fait des courts métrages en vidéo comme  » Pourquoi voter ?  » qui s’attaque au fait qu’on ne vote que pour son ethnie, sinon on est considéré comme un traître. Le déclic pour ce film a été la bourse de 50 000 FF attribuée par l’Agence intergouvernementale de la francophonie durant le festival d’Amiens. Le budget du film a finalement été de 12 millions de FF. Nous avons eu l’aide des différents guichets mais aussi celle du gouvernement qui nous a avalisé auprès de l’Union européenne. Et la population était vraiment prête à travailler avec nous.
Quel a été le rôle de chacun entre Bassek et vous ?
J’avais en mains le projet au début. Mais voulant mettre tous les atouts de mon côté, je n’ai pas hésité à lui demander son aide pour travailler le scénario. Bassek est un cinéaste connu, ce qui donnait du poids au film. J’ai été à l’INA en 1999 pour travailler le scénario, de même à Amiens. Pendant le tournage, je lui ai proposé qu’on travaille ensemble. Il s’est surtout occupé de la partie technique alors que, parlant le sango et l’aka, je maîtrisais la direction artistique des pygmées.
Le fait que Bassek est connu ne vous dépossède-t-il pas un peu du film ?
C’est le premier long métrage centrafricain, projet de Didier Ouenangaré, qui a accepté de collaborer avec Bassek ba Kobhio car c’est un professionnel. Il a été de beaucoup dans la réussite de ce film. Nous avons tous deux mis du nôtre. C’est un travail collectif. Camp de Thiaroye était une co-réalisation de Sembène Ousmane avec deux autres réalisateurs.
La République centrafricaine étant dévasté, comment pouviez-vous faire pour tourner un film ?
Il fallait tout importer : les techniciens et les comédiens de première classe. Lorsque j’ai décidé que Gonaba serait joué par Eriq Ebouaney, Bassek a eu peur qu’en prenant un acteur camerounais comme lui, la presse se déchaîne.
A-t-il vraiment mangé les chenilles vivantes ?
Oui, c’est succulent : c’est comme les huîtres !
Nadège Beausson-Diagne me disait que ce n’était pas simple avec les Centrafricains qui trouvaient qu’on leur prenait leurs rôles.
Oui, j’ai été la première victime car on m’a reproché même au niveau du gouvernement d’avoir pris des étrangers. Mais il faut respecter les cofinancements : la Gabon et le Cameroun nous ont financé et il était logique de prendre des techniciens de ces pays. De Centrafrique, nous avons pris une douzaine de jeunes stagiaires que nous avons formé dans chaque section : ils pourront accéder à une bourse de formation de la coopération française.
Sera-t-il possible de montrer le film en Centrafrique ?
Le ministre de la Culture va en parler en Conseil des ministres. Il voudrait en faire une fête nationale en octobre 2003 avec une semaine de festivités. Depuis l’avènement du général François Bouzizé, le calme est revenu et nous pouvons espérer que l’avenir soit plus sûr.
En définitive, quelle a été la plus grosse difficulté ?
Les difficultés financières mais aussi la solitude ! J’ai divorcé quatre fois : j’étais toujours incompris alors que je travaillais à la réussite de ce film. On me voyait bouger alors qu’il n’y avait rien de concret. J’espère que maintenant que le film est là, on me comprendra !

///Article N° : 2909

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