entretien d’Olivier Barlet avec Fadika Kramo-Lanciné (Côte d’Ivoire)

Abidjan, 1997
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Galères
Entre mes deux long-métrages, Djeli (1) et Wariko (2), il y a douze ans d’écart. Aucune structure ne me permettait de démarrer la production en Côte d’Ivoire. La télévision nationale aimait le scénario mais n’osait pas s’engager, ne sachant pas ce que cela allait donner : tout le monde à peur du cinéma et de ce qu’il peut exprimer.
En 1989, j’ai reçu une aide de 120 OOO FF d’un organisme suisse. Je suis tombé ensuite dans les griffes d’une maison de production française, la World Film Company, qui n’était que du vent. Dès que j’avais signé le contrat en Côte d’Ivoire l’autorisant à me représenter, les 120 000 FF étaient envolés. Elle s’est déclarée en faillite peu de temps après (et a resurgi peu après sous le nom d’Atlantis films). J’étais revenu au point de départ.
Le ministère de la Coopération m’a accordé 700 000 F sur le scénario, puis l’ACCT 300 000 F. La Côte d’Ivoire a participé pour 150 000 F, ce qui était exceptionnel, du jamais vu : le Fonds d’intervention pour l’action culturelle, le FIAC, venait d’être mis en place pour aider tous les arts.
L’argent, nouveau critère de réussite
Le film a mûri de ce long enfantement et est beaucoup plus abouti que ce qu’il n’était au départ. La réflexion et le rythme ont changé – et la dévaluation du franc CFA est venue donner au film une grande actualité.
L’argent est devenu comme un second Dieu en Afrique. Tous les modèles de développement présentés comme des modèles de réussite sont basés sur l’argent. On ne dit plus que quelqu’un est bien parce qu’il est respecté dans sa famille mais parce qu’il est riche et habite un beau quartier d’Abidjan comme Cocody ou la Riviera. Les critères de réussite (femmes, enfants, morale familiale) ont changé au profit de l’argent. C’est ce que j’ai voulu montrer en faisant de la ville l’acteur principal du film, avec ses margoulins et tous ceux qui viennent de la brousse y tenter leur chance, ainsi que la crise dans laquelle se débat l’Afrique.
Ici, on ose plus montrer qu’on a de l’argent car ce n’est plus moral, tandis qu’à Abidjan, on n’ose plus circuler dans une voiture flambant neuve car on va se faire braquer ! Mais on ne peut pas montrer de façon ostentatoire sa richesse car la famille la voit et vient réclamer sa part. Si un enfant est envoyé à l’école, il aura une dette envers sa famille, son village, toute la communauté – laquelle se met en quatre pour vous acceuillir quand vous allez au village, ce qui donne ensuite mauvaise conscience de ne pas l’aider.
Dans le film, Ali connaît les demandes de sa famille, formulées depuis longtemps. Quand il gagne à la loterie, son père lui rappelle qu’il lui faudrait un tracteur pour moderniser son exploitation. Tout resurgit d’un coup et il est très vite soupçonné de vouloir gagner l’argent pour lui. Le gros lot est un révélateur de son univers quotidien et des rapports sociaux qu’il est amené à vivre.
Place de l’oralité
Les proverbes ont une place importante, sans que la primauté soit donnée à la parole sur l’image. Ils apparaissent comme transmission de la sagesse et viennent résumer la trame de la fiction. Ils permettent aussi de tourner une situation en dérision ou servent à s’échapper quand on est sollicité.
Un public enthousiaste
Wariko a été très bien reçu en Côte d’Ivoire mais il est tombé en pleine dévaluation, à un moment où chacun hésitait à sortir pour moins dépenser. Il est pourtant resté au Paris (3) durant six semaines, ainsi que dans les grandes villes. Le Paris avait participé au film financièrement pour aider à sa finition. On préfère l’exploiter au maximum dans les salles du Plateau (4) où le billet est à 12OO FCFA (5) et le réserver plus tard aux quartiers populaires où les billets sont à 300 FCFA. Un film africain amène une clientèle propre, qui n’est pas habituée à fréquenter les cinémas du plateau. Après le Fespaco, la Sonacib (6) a conservé une copie pour le faire tourner au Burkina où il a bien marché.
Wariko a eu le prix du public à Ouaga, celui de la meilleure comédie. Ce n’est pas un film de festivals, bien que j’en ai fait une bonne vingtaine. J’ai voulu faire un vrai film comique et populaire. Pourquoi ne ferions-nous que de la haute réflexion alors que Louis de Funès fait rire les salles africaines ? Les gens se sont battus pour voir le film !
J’y ai mis ma fibre, ma sensibilité ivoirienne. Duparc fait de même, Mbala aussi. Nous allons tous dans le sens de la comédie et cela plaît. Peut-être est-ce typique d’un certain humour à l’ivoirienne. En Côte d’Ivoire, les situations les plus dramatiques sont très vite tournées en dérision.
Logiques télévisuelles
Je suis en négociation avec CFI (7) pour les télévisions. Le problème est que lorsque le film passera sur CFI, la diffusion en salle ne sera plus possible dans aucun pays car les télévisions vont reprendre le film. Il faudrait donc que l’achat des droits par CFI soit conséquente.
On ne pourrait toucher d’autres publics qu’en doublant le film. Bien sûr, un doublage en français pour la France et les autres pays africains, mais aussi en swahili par exemple.
Une autre image de l’Afrique
Wariko est un film qui se veut grand public. On peut y aller en famille, voir une tranche d’Afrique ! Il ne montre pas l’Afrique des grands médias à sensation, celle de la misère, de la famine, du sida, mais une Afrique ordinaire qui vit au rythme du monde, avec des problèmes quotidiens certes, mais pas dans la misère.
Dans un festival jeune public, une petite fille lève le doigt et me demande : Elle ne pouvait pas s’imaginer qu’Abidjan soit une ville moderne avec ses embouteillages… Les grandes exclusions menant au racisme sont basées sur la méconnaissance de l’autre !
Il est de notre responsabilité de montrer ce visage de l’Afrique et la vie quotidienne des populations. Quand le héros du film fouille toute sa maison pour retrouver le billet gagnant, le spectateur découvre tout son cadre de vie !
Survivre
Nous attendons beaucoup du nouveau bureau du cinéma dirigé par Kitia Touré en termes d’aides et de législation. C’est encore trop neuf pour en voir vraiment les effets mais il y a peu, j’avais besoin d’un certificat : je l’ai obtenu par fax en deux jours, du jamais vu !
Quand je ne fais pas de film, je survis ! Les télévisions ont leur personnel pour le peu qu’ils réalisent et n’ont pas besoin des cinéastes. Je travaille dans l’édition : des catalogues ou plaquettes publicitaires… S’il y avait un contingentement obligatoire de techniciens africains sur les films publicitaires tournés sur place par des équipes européennes, je pourrais avoir du travail pour faire les liens ! Devoir attendre douze ans pour tourner, c’est comme refaire un premier film !

1. Conte d’aujourd’hui, 1980. Grand prix du Festival de Ouagadougou en 1981.
2. Le Gros lot, 1994.
3. Un des grands cinémas multisalles d’Abidjan.
4. Quartier des affaires, centre-ville d’Abidjan.
5. 1 FF = 100 FCFA.
6. Société nationale d’exploitation et de distribution cinématographique du Burkina Faso.
7. Canal France International, diffuse par satellite des programmes francophones qui peuvent être repris gratuitement par toutes les télévisions nationales.
1. Conte d’aujourd’hui, 1980. Grand prix du Festival de Ouagadougou en 1981.
2. Le Gros lot, 1994.
3. Un des grands cinémas multisalles d’Abidjan.
4. Quartier des affaires, centre-ville d’Abidjan.
5. 1 FF = 100 FCFA.
6. Société nationale d’exploitation et de distribution cinématographique du Burkina Faso.
7. Canal France International, diffuse par satellite des programmes francophones qui peuvent être repris gratuitement par toutes les télévisions nationales.
///Article N° : 2490

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