entretien d’Olivier Barlet avec Moussa Touré

Paris, mars 1997
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Qu’est-ce qui t’a amené au cinéma ?
Mon père est mort lorsque j’avais 14 ans, mais il était passionné de photographie. Je lui disais toujours que j’aimerais bouger, et même des photos qui bougent. Il m’a laissé ses appareils et j’ai fait des photos qui bougent, donc floues ! Mes copains me prenaient pour un fou : chaque fois que je voyais la poussière se soulever, je leur disais :  » regardez comme c’est beau « . Je suis allé voir Johnson Traoré et lui ai dit que j’aimerais faire du cinéma. Il m’a fait participer à Njangaan, qui se passait en Casamance. Je n’avais pas grand chose à y faire mais je passais mes nuits à tout regarder tout apprendre, si bien que pour le deuxième film, j’étais électro-machino. Pour son quatrième film, j’étais devenu électro. J’ai ensuite continué comme chef-électro et cela marchait bien, comme sur Camp de Thiaroye, Niiwam, Dakar Clando, Mortu Nega, Fary l’ânesse… J’ai commencé à m’impliquer, mais lorsque j’ai dit ce que je pensais, on m’a dit de la fermer. J’ai donc eu envie de réaliser moi-même. En 88, j’ai fait Baram, mon premier court-métrage et suis venu avec à Ouaga, en suis reparti un peu déçu car je n’étais pas connu pour mon travail d’électro. Entre-temps j’avais travaillé avec Truffaut, Tavernier etc qui m’ont façonné. J’ai fait un stage dans un laboratoire et puis j’ai écrit Toubab bi et tout est allé très vite. En définitive, j’ai travaillé dans unequarantaine de longs métrages.
Quelle était la réflexion de Toubab bi ?
Quand j’ai travaillé sur Coup de torchon, mes camarades m’ont demandé si je voulais rester en France. Mais pourquoi rester ? J’avais envie de connaître sans forcément y rester, le froid par exemple ! C’était la première réflexion de Toubab bi. La deuxième réflexion était que le plus pauvre du monde peut lui aussi apporter quelque chose à quelqu’un d’autre. Et la troisième réflexion était que le mode de vie en Europe est drôle pour un Africain : les gens avec leurs chiens, quand ils se fâchent et deviennent un homme de couleur tout rouge etc ! L’idée d’observer l’autre avec humour, non sans y insérer aussi de la poésie…
Tu y décrivais un certain milieu africain à Paris.
Oui, je voulais dénoncer ce mythe qui veut que Paris soit un pont d’or ! Et ces Africains qui reviennent et ne disent pas la vérité aux autres ! Je crois que c’est un devoir pour moi que de prévenir et de dire la vérité. Pas un grand message mais une petite musique…
Et ton nouveau film ?
Il s’appelle TGV, le surnom qu’un chauffeur qui se surnomme lui-même Rambo donne à son taxi-brousse. Il fait le voyage Dakar-Conakry. Dans le car, il y a un ministre limogé et sa femme, un dealer, une jeune femme, une Guinéenne et un homme qui fait collection de femmes africaines et qui n’a pas encore de Guinéenne, un homme mystérieux ainsi que deux marabouts, l’un fétichiste et l’autre islamiste. Durant le voyage, deux Blancs apparaissent… Un road movie qui se passera sous la pluie puisque je tourne en plein hivernage, cet été !
Ton financement ?
L’avance sur recettes, la CEE, la Coopération, l’ACCT et Canal +. Je le coproduis avec mon ami Bernard Giraudeau pour lequel j’avais joué dans Les Caprices d’un fleuve et qui joue également dans mon film.
Tu te sens en marge du cinéma sénégalais ?
Oui, par ma manière de travailler et d’être. Je ne participe pas aux réunions. Ma façon de le soutenir est de faire des films. Toubab bi a ramassé un bon nombre de prix… Récemment, j’ai proposé au gouvernement de produire dix courts métrages sans devoir payer quoi que ce soit. Il suffisait d’utiliser la logistique d’Etat (voitures, etc). On aurait organisé un concours de scénarios de courts métrages. Par l’intermédiaire de la Coopération, on aurait obtenu de la pellicule et des labos. Les caméras et les techniciens sont sur place, et tout le monde se met en participation : personne n’est payé tout de suite. Le président était d’accord mais le projet est à l’étude et ça dure…
Quel est ton rapport avec la télévision ?
Au Sénégal, c’est un carcan. J’ai des téléfilms dans la tête mais ils ne veulent rien coproduire. Quand tu fais un film, ils l’obtiennent par CFI, Cirtef, ACCT etc. Ils te laissent te débrouiller seul en se disant qu’ils auront toujours le moyen de l’avoir après. Ce sont des fonctionnaires. Maintenant, ils louent le matérie ! Tout est payant : où est le soutien au cinéma ? Au Burkina ou au Mali, ça fonctionne. Pourquoi pas au Sénégal ?
Tu trouves les techniciens sur place ?
Oui, il y a de bons techniciens. Ce sont les mêmes qui ont fait le film de Moussa Sene Absa.
Déjà des perspectives après TGV ?
Oui, un film historique : L’homme qui voulut devenir pierre qui se passe à St Louis, Tombouctou et dans le désert du Tibesti. Ça m’est venu en regardant Rodin, Ousmane Sow et L’homme qui voulut devenir roi avec Sean Connery ! C’est l’histoire de deux archéologues sénégalais et d’un Français à l’époque coloniale qui essayent de retrouver les hommes de pierre. Une femme les accompagne, qui peut se transformer en aigle pour leur montrer le chemin. Ousmane Sow va travailler sur le film.
Tu avais déjà fait référence à la magie dans Toubab bi.
Elle existe dans l’esprit des Africains. J’y crois ! L’incompréhension ne vient que de la façon qu’on a de la présenter.

///Article N° : 2499

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