Et Douala se métamorphosera…

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« Douala, métamorphoses », tel est le titre de la prochaine édition du SUD (Salon Urbain de Douala), qui aura lieu du 1er au 8 décembre 2013. Ce festival triennal d’art public, porté par le centre d’art contemporain doual’art depuis 2007, se prépare bien en amont : plus qu’un festival, il est un véritable programme d’actions sur trois ans.

Douala, ville « sans âme » pour certains (1), « vilaine » pour d’autres (2), fut pourtant autrefois connue sous le nom de « Douala la Belle ».
Elle a été urbanisée d’abord par les Allemands à la fin du XIXe siècle. Ils ont tracé les premiers grands axes et ont laissé à Bonanjo (3), le quartier administratif, une dizaine de bâtiments à l’architecture remarquable – dont le plus célèbre est sans aucun doute le Palais des Rois Bell, surnommé « La Pagode », construit en 1905. Les Français ont aussi laissé leurs traces, aussi bien dans des bâtiments administratifs (la chambre de commerce de 1927, le palais de justice de 1931…) que dans des bâtiments religieux (la cathédrale St Pierre et St Paul de 1936).
En 1960, au moment de l’indépendance, Douala compte déjà plus de 120 000 habitants (4). Elle se développe rapidement. La ville garde son aura et se dote de nouveaux bâtiments notables, comme la gare de Bessengué, construite dans les années 1970.
Mais au début des années 1990, Douala la rebelle prend le pas sur Douala la belle : la ville se révolte contre le pouvoir, réclame le multipartisme, organise les villes mortes de 1991 (5)… et commence à sérieusement embarrasser le pouvoir campé à Yaoundé, ville rivale de Douala. Yaoundé décide de couper les vivres à sa capitale économique.
Douala est privée d’argent public au moment où elle en a le plus besoin, puisque la dévaluation du franc CFA en 1994 pousse les Camerounais à chercher fortune en ville : Douala double de taille en dix ans. C’est le début du règne de l’auto-construction, de la dégradation de la voirie, de l’envahissement de la ville par les déchets. Les architectes, les matériaux durables, les normes de construction, les plans généraux d’urbanisme sont oubliés, c’est la débrouille qui devient le maître- mot. Douala commence à prendre l’allure d’un gigantesque bidonville.
Les années 2000 amplifient le chaos avec l’importance que prennent au Cameroun les feymens, sortes d’escrocs organisés dont l’argent achète les bonnes consciences. Les permis de construire leur sont accordés en dehors de toute réglementation, les immeubles hors-norme poussent comme des champignons, défigurant la ville. La publicité massive envahit les quelques façades qui avaient encore un attrait, particulièrement à Akwa, quartier commercial de la ville.
Pourtant, un petit groupe d’artivistes résiste encore et toujours au fatalisme général… Il s’appelle doual’art et est à l’origine du Salon Urbain de Douala (SUD), festival triennal qui prend Douala comme sujet et support d’expérimentations artistiques et urbaines.
La prochaine édition du SUD, en décembre 2013 s’attaquera à ces questions d’architecture et d’urbanisme. Il s’agit de redonner à Douala ses lettres d’or en invitant les « créateurs de formes » – comme doual’art aime à appeler les artistes, designers et architectes – à ré-imaginer la ville, à la remodeler physiquement.
Le festival en tant que tel durera une semaine, du 1er au 8 décembre 2013, mais il se pense dès aujourd’hui – dès la fin de l’édition 2010, en fait.
Du 24 au 26 mai 2011, une vingtaine de curateurs, architectes, artistes et décideurs politiques du Cameroun et d’ailleurs ont donc été réunis pour les sixièmes rencontres Ars & Urbis organisées par doual’art. Leur mission : inventer ce que SUD2013 pourrait être – aussi bien le festival en lui-même que le programme triennal qui va y mener.
La première étape a consisté à cerner le profil de la ville en étudiant son contexte, son histoire et ses spécificités. Des instances camerounaises comme la Communauté urbaine de Douala, le ministère du Développement urbain et de l’habitat, l’Ordre des architectes du Cameroun et le Port autonome de Douala ont été invitées à prendre la parole par l’intermédiaire de leurs représentants.
Des intervenants extérieurs – curateurs, architectes ou opérateurs culturels – ont ensuite présenté des initiatives artistiques et architecturales menées dans d’autres pays, afin d’ouvrir les perspectives.
La dernière après-midi a été consacrée au SUD2013 en lui-même : des propositions de projets ont été présentées et des discussions générales ont permis d’en circonscrire le thème, d’en discuter le sens. Comment remodeler la ville, comment impliquer les habitants, comment faire évoluer les projets des décideurs politiques, comment faire travailler ensemble des artistes et des architectes, comment enchanter le quotidien des Doualais… ? Autant de questions auxquelles doual’art aura à répondre durant les deux ans et demi qui lui restent.
Quelques orientations sont déjà données : mise en valeur du patrimoine architectural de la ville, réflexions sur l’habitat spontané et ses améliorations possibles, expérimentation d’un habitat qui prenne en compte le contexte géographique, climatique et humain de la ville, projet d’un waterfront qui fasse profiter des attraits du fleuve, aménagement d’espaces de loisirs, création de musée(s), travaux sur les repères urbains, géographiques et imaginaires…
Le SUD2013, baptisé « Douala, métamorphoses« , est en marche… et il est ambitieux.

1. C’est ainsi que l’a qualifiée l’architecte sénégalais Jean-Charles Tall durant le premier Ars & Urbis, organisé en 2005 par doual’art.
2. Adjectif utilisé par la curatrice sénégalaise N’Goné Fall durant les rencontres Ars & Urbis de mai 2011.
3. Bonanjo était à l’époque appelé « Plateau Joss ».
4. Chiffres tirés de Douala, Ville et Histoire de René Gouellain, 1975
5. Les villes mortes sont un mouvement de grève générale organisé par l’opposition à Douala fin 1991 pour réclamer le multipartisme. Le gouvernement y a mis fin dans une grande violence.
///Article N° : 10338

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Les images de l'article
Villa Mandesi, construite en 1910 © doual'art
Ancien siège de la compagnie allemande Woermann Linie, construit en 1927
Chambre de commerce, construite en 1927
Cathédrale Saint-Pierre Saint-Paul, construite en 1936 © doual'art
Akwa/Laquintinie vue d'en haut
Avenue Poincaré en 1935 (actuelle avenue de la liberté, Akwa) carte postale
Douala aujourd'hui, vue du quartier Akwa © Emiliano Gandolfi
Douala aujourd'hui © Kamiel Verschuren





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