Etre actrice au Burkina Faso

Entretien d'Olivier Barlet avec Aï Keïta Yara, actrice burkinabè

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Egérie de « Sarraounia » de Med Hondo, Aï Keïta a continué une carrière d’actrice tout en menant une vie professionnelle normale à Ouaga. Elle présentait aux Journées cinématographiques de Carthage « Tasuma, le feu » de Daniel Sanou Kollo, où elle joue le rôle de la femme de l’ancien tirailleur Sogo. Rencontre.

Arrive-t-on à vivre du métier de comédien au Burkina ?
Non ! Je suis aussi secrétaire à l’hôpital Yalgado de Ouagadougou. Mariée, j’ai deux enfants : mon fils aura bientôt 30 ans et travaille tandis que ma fille a 20 ans fait tourisme – hôtellerie. Quand j’ai de petits contrats, je les fais parallèlement.
Avec le recul, quels sont vos souvenirs marquants de « Sarraounia » ?
C’était mon premier rôle et la première fois que je faisais du cheval dans un film ! Je n’étais pas passé par une école de cinéma et c’était très dur. Bien sûr, quand ensuite le film a eu l’Etalon de Yennenga au Fespaco, le prix Air Afrique, le prix de l’OUA et le prix du meilleur scénario, c’était formidable. C’est grâce à Med que je suis connue aujourd’hui. Il était sévère sur le plateau mais je vois aujourd’hui qu’il me faisait du bien !
Comment aviez-vous été choisie ?
Med connaissait le réalisateur Mamadou Jim Kola à Ouaga. Quand il est venu pour son film, il m’a vue chez lui et m’a demandé d’y jouer. Ils sont allés voir mon mari qui a donné son autorisation. J’avais un petit rôle mais après le test de présélection, il a décidé de me donner le grand rôle. Il avait filmé le casting.
Quels ont été vos autres rôles ?
J’ai joué dans Mamy Wata de Mustapha Diop, Les Etrangers de Mamadou Kola, Haramuya de Drissa Touré, L’Epopée des Mossi d’Adama Traoré, Sida dans la cité de Franck Amblard, un film ivoirien, Messages de femmes – Messages pour Beijing de Martine Ilboudo Condé, Tourbillon de Pierre Yaméogo et présente maintenant Tasuma, le feu de Daniel Sanou Kollo. J’ai aussi joué dans nombre de spots publicitaires.
Comme cela s’est-il passé sur « Tasuma » ?
Daniel Sanou Kollo ne m’avait attribué qu’un petit rôle mais a décidé de me confier le grand rôle : c’est la bonne femme africaine qui se soucie pour son mari. C’est ce que je fais à la maison pour mon mari ! Je n’avais pas besoin de jouer !
Quels sont les films qui vous ont le plus marqué ?
C’est certainement Sarraounia : la séquence de la bataille était dure. J’ai même été blessée. Quand je le regarde, je m’étonne encore d’avoir fait tout ça ! Les Etrangers m’a aussi marqué : j’y incarnais l’épouse de l’immigré. Ce film est d’actualité : voir des Africains chasser d’autres Africains en disant qu’ils ne sont pas chez eux, c’est vraiment dommage !
Le film vous a rendu célèbre.
Oui, les gens m’appelaient Sarraounia dans la rue, comme on me dit « la femme de Sogo » depuis la sortie de Tasuma.
Comment vivez-vous ce va-et-vient entre le cinéma et la vie quotidienne ?
C’est toute la différence avec une femme soumise et rangée ! C’est la religion qui nous le demande mais nous avons aussi notre action pour faire évoluer les choses : les femmes obtiennent des postes importants. Les femmes se battent mieux que les hommes !
Qu’est-ce qui est le plus important pour vous ?
C’est mon travail de secrétaire : je lui attache du prix ! C’est un boulot que j’aime. Je gère les dossiers des malades, j’organise les rendez-vous des médecins : j’ai l’impression de rendre service à mon peuple. Certes, l’hôpital est limité au niveau matériel mais les choses évoluent : scanner, dialyse etc. Quand les paysans viennent, je peux les aider et cela me rend heureuse.
Etes-vous active dans des associations ?
Je milite au bureau du Comité international des femmes africaines pour le développement (CIFAD) et l’ai ainsi représenté à New York en 2000 lors de la marche des femmes grâce à l’aide de l’UNICEF. C’était mon premier contact avec le monde occidental. Nous avons ensuite organisé une marche nationale au Burkina et remis nos doléances au Président. Je suis également au bureau de l’UNAFIM, l’Union des femmes professionnelles de l’image. Je fais aussi de la sensibilisation aussi contre l’excision, le sida pour lequel j’ai fait un spot publicitaire pour sensibiliser sur la capote.
Le militantisme vous prend beaucoup de temps ?
Dans le temps, oui. J’étais femme politique mais ces dernières années, je me suis un peu démobilisée.
Pourquoi ?
Je préfère le garder pour moi.
Votre mari est-il toujours d’accord pour que vous fassiez du cinéma ?
Il ne me le dit pas mais je sens en lui une jalousie. Je dois parfois m’absenter un ou deux mois. Il ne le dit pas mais je le sais parce que je le connais ! Je n’en parle pas non plus par crainte qu’il me l’interdise. Je fais le jeu comme lui !

///Article N° : 3592

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