Événements

Exposition el Maghreb – Malik Nejmi
Avec des dessins de Abdelkader Benchamma

Français

Un jour, j’ai montré à mon père quelques-unes de mes photographies. La tombe de sa mère et le portrait de ses
soeurs, à Rabat. Il m’a alors simplement dit : « J’ai compris ». Et j’ai pris ça pour une preuve d’amour. Les images le
ramèneraient au pays.
Mon travail sur le Maroc se situe dans un espace transitoire, qui se parcourt dans les deux sens, en trois allers-retours :
« Images d’un retour au pays » (2001), « Ramadans » (2004), « Bâ oua Salam » (2005). Sorte de déclaration d’amour à
ce pays, figure fraternelle pour laquelle seule la nécessité de partir et de serrer ce corps contre ma poitrine, peut
encore me donner l’envie de faire des images, ce travail est d’abord un regard sur les miens, devenus désormais les
protagonistes d’une histoire photographique. À m’en couper du temps, à en être hors du temps, à en quitter mon
corps, j’ai cherché le dernier plan, celui qui tenait d’un côté le secret familial et qui de l’autre allait s’arracher à
la voix des Marocains qui semblaient aussi avoir quitté leurs corps, ou aux paroles de Hocine, marquées par son
expérience clandestine, quand il me parlait de « la chance… », mais je n’ai vu qu’un trou noir, un affront du réel
lancé à l’imaginaire. En marchant, je cherchais le dernier plan, comme un raccord avec la raison de mes visites. Et
j’apprenais à faire des images…
La migration a eu pour conséquence la nécessité de continuer des relations sociales à la fois avec le territoire d’origine
et hors de ce territoire. Tandis que mon père refusait de revenir au Maroc, l’histoire familiale voulait que le fils
revienne. C’était alors à moi de recréer ce lien. Il apparaissait dès lors que mon travail questionnerait la mémoire, les
lieux, les sentiments, la complexité de la séparation avec son pays et la façon dont nous vivions chacun le lien affectif
avec la famille. Que je devais dépasser le simple constat d’une histoire « officielle » de l’immigration, pour évoquer la
ghorba, l’isolement, la solitude d’un pays en rupture avec son imaginaire social, et recontextualiser l’image figée de
« l’Arabe » qui rêve de partir.
Mes images ne s’inscrivent pas dans un drame humain « pris sur le vif ». Elles évoquent la dépression qui, d’un côté,
envahit la jeunesse marocaine, et de l’autre, pèse sur les enjeux contemporains des migrations ; jusqu’à souligner la
tension de l’action, le moment où les espaces se croisent, se superposent et réagissent. Le drame est ailleurs. C’est
l’Afrique « blanche » meurtrie par la « fiction du Protectorat »1. En somme, photographier le Maroc pour décadrer la
France. Car ni mon identité ni l’Histoire ne me laissent le choix : apatride et nostalgique à la fois.
La relecture de mon album de famille, puis l’expérience des documents, des notes apposées au dos des images,
comme la découverte du premier passeport de mon père, me permettaient de synthétiser les temporalités de
différents événements de notre vie. Mes photographies succèdent aux représentations de notre vécu, elles montrent
la reconstitution d’une histoire spirituelle, histoire dont le héros réapparaît à la surface de l’image dans sa durée.
Quand mon père écrit el Maghreb, cela signifie pour lui « le pays ». Le terme Al Maghrib al-Aqsâ, dit : « l’Occident
lointain », soit aujourd’hui, la banlieue de l’Europe.
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