Fabrice Éboué : « Parlons d’une nouvelle génération qui a la couleur d’aujourd’hui »

Entretien avec Julien Le Gros

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Sniper vachard, franc-tireur de l’humour grinçant, Fabrice Éboué écume les scènes avec son one-man-show Faites entrer Fabrice Éboué

Fabrice Eboué : Le poil à gratter
Nom : Eboué (aucun lien avec Félix)
Prénom : Fabrice
Age : 34 ans
Signes particuliers : Sniper Vachard
Devise : je nage comme un Noir, je cours comme un Blanc
Il paraît loin le temps où Fabrice éboué « galérait pas mal » en grattant sa tignasse hirsute devant une poignée de personnes au Théâtre des Blancs manteaux à Paris ! Avec son compère Thomas N’Gijol, il a atteint cet été un succès de deux millions d’entrées pour leur film Case départ.
Reconnaissance
Si cette comédie rafraîchit le cinéma hexagonal en mettant en vedette deux acteurs noirs, Fabrice relativise : « c’est peut-être une affiche nouvelle mais on n’a pas été pris parce qu’on était noirs. Le film a fonctionné parce que ça fait maintenant quatre ans, avec Thomas, qu’on est médiatisé par la télé, la radio et surtout par les spectacles qu’on donne tous les soirs à travers la France. La confiance du public au fil des années s’est répercutée sur la fréquentation du film ». Sorti dans un contexte tendu, sur fond de débat sur l’identité nationale, Case départ ne prétend pas être un manifeste. Pour Fabrice, « le film parle de nous, Thomas et moi, de nos familles, de ce qu’est être noir ou métis en France. C’est un film optimiste : on dit qu’il faut essayer de vivre les uns avec les autres, et on y arrive de mieux en mieux en France. »
French ghetto
L’ouverture du spectacle Faites entrer Fabrice Éboué se fait sur un décor rétro et une musique de guinguette. Un choix qui ne surprend pas quand on sait que Fabrice vient du « french ghetto… Nogent-sur Marne, où l’insécurité vient des petits vieux qui traînent le soir parce qu’ils ont oublié le digicode de l’immeuble ».
Sur cet air de flonflon, Fabrice démarre en trombe avec un grinçant : « Ah cette France d’autrefois où tout allait bien… où on dénonçait les juifs ! ». Au delà de la référence à l’émission de Christophe Hondelatte faites entrer l’accusé, le spectacle se veut un constat doux-amer sur notre société où « chacun cherche à avoir son quart d’heure de gloire, son quart d’heure télévisuel. Même les tueurs en série, les pires crapules arrivent à avoir une émission que leur est dédiée. »
Prendre du plaisir
Fabrice, avec son rire caustique, nous parle aussi « de mixité, des diverses communautés qui cohabitent, de (s)on expérience télévisuelle, radiophonique, des médias qui occupent une large place dans la société aujourd’hui. » Il n’hésite pas à tourner en dérision son expérience télé de sniper pour une émission où il se retrouve dans une position de funambule, sommé de faire des vannes sur des sujets souvent dramatiques voire racoleurs.
L’humoriste avoue être plus à l’aise à la radio. « Sur Europe 1, avec la bande à Ruquier, l’objectif c’est de rire et de s’amuser. C’est ça la place de l’humoriste… » En attendant, l’artiste termine la tournée de son spectacle avant de passer à d’autres aventures. « Peut-être du cinéma ou du théâtre. Je ne sais pas encore. Quand tu sors d’un chantier énorme comme Case départ, qui a été couronné de succès, tu es un peu dans le flou. Le seul mot d’ordre pour moi est de continuer à prendre plaisir à faire les choses, à les faire par envie, de délirer, de rigoler et pas autrement ! ».
Entretien
Le titre Faites entrer Fabrice Éboué se réfère à une émission consacrée aux faits divers. Mais le spectacle est plus large que ça.
L’objectif c’est toujours de trouver un titre qui nous plaise, qui évoque quelque chose. Quand je parle de Faites entrer Fabrice Éboué / Faites entrer l’accusé je ne fais pas uniquement allusion au fait qu’on parle de tueurs en série. Je ne m’arrête pas là. Chacun cherche à avoir son quart d’heure de gloire, son quart d’heure télévisuel. Même les tueurs en série, les pires crapules arrivent à avoir une émission qui leur est dédiée et avoir leur instant de célébrité. Je trouve que c’est un vrai reflet de la société. Une émission de télé qui cartonne avec des sujets très durs, très morbides et qui pourtant donne la vedette aux pires gens de la société. C’est intéressant. C’est pour ça qu’au-delà de dire que c’est un spectacle sur les faits divers, c’est un spectacle qui se veut le reflet de la société d’aujourd’hui. Je parle de la société à travers moi, donc de mixité, des diverses communautés qui cohabitent, de mon expérience télévisuelle, radiophonique, médiatique. Les médias occupent une large place dans la société aujourd’hui.
Quelle est l’évolution par rapport aux spectacles précédents ?
Les spectacles précédents ont été peu médiatisés car je galérais pas mal. C’était essentiellement aux Blancs manteaux et au Théâtre de Dix heures. Ces spectacles ont peu été répercutés dans la presse car je n’avais pas de fenêtre médiatique. Faites entrer Fabrice Éboué est complètement dans la continuité. Il y a certaines choses qui ont été reprises de ces spectacles et qui n’avaient pas été suffisamment diffusées. J’estime que ce spectacle-là c’est vraiment l’aboutissement de mes dix, douze années de galère. Je ne sais pas ce que sera le prochain mais celui-là me permet notamment de raconter mes débuts, mes temps de galère. En même temps c’est l’aboutissement de mes douze ans de travail, tant par le fond que par la forme.
Tu as fait partie de la troupe du Jamel Comedy Club. Penses-tu que cette troupe dont certains membres ont eu accès aux médias a permis d’apporter plus de couleurs dans l’audiovisuel ?
Je crois que c’est un ensemble de facteurs qui fait qu’il y a une ouverture dans les médias. Ça a pu y contribuer. Pour ceux qui ont eu la curiosité de fouiller un peu plus, de ne pas dire : le Jamel Comedy Club c’est juste comme ceci ou cela. Ça a un rapport avec l’ouverture de chacun. Quand on sait s’ouvrir, essayer de découvrir autre chose. Le Jamel Comedy Club ça a été une somme d’artistes. Il y en a qui s’en sortent plus ou moins bien aujourd’hui. Ça a aidé à sortir avant tout de nouveaux talents, plus que de dire on voit plus de Noirs ou d’Arabes sur le PAF. Ça a aidé à sortir de nouveaux talents. Ces talents correspondent à une génération en France qui se trouve être multiculturelle et multireligieuse. C’est ça l’intérêt.
Cette nouvelle vague a aussi permis de changer un peu les thématiques qu’on entend chez les humoristes.
C’est vrai que c’est un coup de fraîcheur par rapport à certaines thématiques qu’on traite différemment dans l’humour. Mais il ne faut pas que ça devienne systématique. Il faut que ça devienne une composante supplémentaire. Et la génération suivante apportera quelque chose en plus. Comme à son époque Le petit théâtre de Bouvard avait amené des choses, La Classe aussi. Il y en a qui s’en sorti. D’autres ont eu plus de mal. Le Jamel Comedy Club fait le même voyage. Parlons d’une nouvelle génération qui correspond à la couleur et à la société d »aujourd’hui
Certains ont taxé le Jamel Comedy Club d’humour communautaire. Avec le recul comment vois-tu ces appellations ?
Ça a toujours été des raccourcis dans le sens où c’était difficile de parler du Jamel Comedy Club, comme d’une vraie troupe. Cela n’a jamais été comme la « Troupe du Splendid. C’était une somme de one-man-show qui étaient associés ensemble. Chaque one-man-show a sa couleur et pas forcément le côté métissé. J’ai toujours fait ce que j’appréciais dans ce métier. Ça fait bien longtemps que je le fais, bien avant le Jamel Comedy Club. Je le faisais déjà à mes débuts en 1998. J’avais déjà ce genre de spectacle au Théâtre des Blancs manteaux. Pour moi c’est la continuité des choses, ni une mode ni une envie de ressembler à un groupe. Je suis le premier à reconnaître que parfois le Jamel Comedy Club s’égare dans des penchants trop communautaires. Mais quel spectacle n’est pas là-dedans ? Prenez Boujenah à ses débuts c’étaient des spectacles très juifs tunisiens. Prenez Gad ou Jamel c’était aussi marqué. Parfois un berceau communautaire permet de démarrer. Ce qu’il faut c’est s’ouvrir par la suite c’est tout.
Ton film Case départ, avec Thomas N’Gijol a-t-il fait évoluer la représentativité des minorités au cinéma ?
C’est peut-être une affiche qui est nouvelle de par sa couleur en France, mais on n’a pas été pris parce qu’on était noirs. Le film n’a pas fonctionné parce qu’on était noirs. Le film a été signé parce que ça fait maintenant quatre ans avec Thomas qu’on est médiatisés grâce la télé, par la radio et surtout par les spectacles qu’on donne tous les soirs à travers la France. C’est la confiance que le public a accumulée au fur et à mesure des années qui s’est répercutée dans la fréquentation de ce film. C’est aussi pour ça qu’il a très bien marché. Je crois que les gens ont appris à nous connaître. Au début parfois ça peut être difficile parce que les gens mettent du temps avant de cerner ton humour, qui tu es, où tu veux en venir. Mais je crois que le film, plus qu’une histoire identitaire c’est le point d’orgue de tout le travail qu’on a fourni depuis des années. Thomas a commencé en 2000, moi en 1998. C’est la récompense du travail avant tout plutôt que n’importe quel raccourci ethnique.
Il y a eu des difficultés au début car des Békés s’opposaient au tournage en Martinique. Vous avez finalement tourné à Cuba.
Il y a plein de choses d’autres à dire sur ce film. Ça a été un moment de plaisir, un vrai succès. On a totalement occulté ou oublié tout ce qu’ont pu être les difficultés du film. Quand tu fais deux millions d’entrées, que tu prends du plaisir à le faire, que c’est ton premier film qui plus est, que tu as un retour positif, c’est l’optimisme qui prime. Le reste on s’en fout un peu.
Cependant il y a quelques crispations sur le thème de l’esclavage.
Il y a toujours des sujets crispants, des sujets historiques douloureux qui portent à débat, parfois même à polémique. C’est loin de nos carrières d’humoriste ou de comédien aujourd’hui. Ce sont de grands débats de société. Ça, il y en aura toujours et c’est très bien. Il faut continuer à débattre des choses.
Le 10 mai 2011 Nicolas Sarkozy avait prononcé un discours sur l’abolition de l’esclavage. C’était avant la sortie du film. Est-ce que ça a donné une résonance particulière à cette sortie ?
Il ne faut pas toujours voir une œuvre par rapport à ce que disent les uns ou les autres. Je pense que c’est ça l’intérêt du film. On a des auteurs réalisateurs et comédiens qui mettent un point de vue et ce qu’ils ont dans le ventre. Ce que moi j’essaie de mettre dans mes films c’est un point de vue. Après ce que les uns disent de positifs et les autres de négatifs je m’en contrefous. Je crois que c’est le travail d’un artiste d’avancer à sa façon. Je ne fais pas les choses en réaction à. Je fais les choses qui me tiennent à cœur, les choses qui me ressemblent.
Est-ce que ce film renvoie un peu tout de même à certains discours sur l’identité nationale ?
J’ai surtout fait un film qui est très large et qui parle de nous : Thomas et moi, de nos familles, de nos connaissances, de ce que c’est qu’une minorité en France. De ce que c’est qu’être noir ou métis en France. C’est un film qui parle de ça. C’est un film optimiste dans le sens où on cherche à dire qu’il faut essayer au mieux possible et on y arrive de mieux en mieux en France à vivre les uns avec les autres. Si effectivement il y a certains politiques qui pour chercher un certain électorat ont certaines démarches c’est dommage pour eux. On met ce qu’on a sur le cœur dans ce film. Les gens avec qui on n’est pas d’accord et qui font des choses un peu douteuses ça les regarde. Il faut continuer à débattre et continuer à combattre ce genre de pratiques.
À un moment dans le film il y a une scène avec Michel Crémadès qui parle de la concurrence victimaire.
Quand j’écris une chronique à la radio je suis dans l’actualité, quand je viens à la télé je parle d’actualité. Quand j’écris un film j’évite au maximum d’avoir des références qui me semblent petites, négligeables par rapport à des sujets aussi vastes que celui qu’on traite dans Case départ. C’est bien pour ça que je ne veux pas m’associer à une actualité en particulier. Je traite d’un film universel. Évidemment, des références de société il y en a forcément, sinon personne ne comprend le film. C’est bien l’objectif. C’est un film universel. Je n’ai pas envie d’associer des bassesses comme celles de Guéant, de Brice Hortefeux où des débats qui selon moi sont stériles. C’est pour ça que quand je fais le débat entre le juif et le noir, quand j’écris cette scène c’est justement pour prendre du recul là dessus. Je n’ai pas envie ensuite de faire de la publicité ou de la promotion pour le genre de gens qu’on a cité précédemment.
Penses-tu qu’un humoriste doit se positionner sur les élections présidentielles à venir ?
Je ne suis pas ce qu’on appelle un chansonnier. Je ne suis pas quelqu’un qui va aller dans les faits politiques. J’aime bien parler de société en général. Quelque part on peut dire que c’est de la politique. Mais je ne suis pas le premier à taper sur untel ou untel. Je connais un peu la politique, comme tout le monde, mais je ne suis pas un spécialiste de la chose. Il y en a d’autres qui le font comme certains qu’on entend plus en radio. J’essaie d’être plus large que ça. Mais c’est évident qu’une période électorale c’est toujours très nourrissant pour les humoristes. Maintenant ce genre de sujet est déjà traité en radio, en télé, en chronique presse. C’est difficile de l’incorporer à des spectacles. Ça fait partie des chroniques du quotidien.
Et sur les élections camerounaises quel est ton sentiment ?
Paul Biya est là depuis un certain temps. Il me semble que ce sont des élections à un tour qui vont se passer. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus démocratique. Maintenant ce serait un peu présomptueux de ma part de faire de l’ingérence camerounaise. Parler en France de la politique camerounaise, ça va concerner les ressortissants camerounais. Déjà la politique française m’échappe parfois, alors celle du Cameroun… on risque de nager !
Quel est ton recul par rapport à ton expérience télé ?
Je crois que la meilleure réponse, c’est de regarder le spectacle soit en tournée soit en DVD. J’en parle avec beaucoup de recul. La vérité est là. Je trouve que quand on fait un métier de sniper il y a des hauts et des bas. Il y a de bonnes et de mauvaises émissions. On est en direct donc on ne coupe rien. Parfois je me retrouve dans des situations difficiles. Humoriste, c’est un métier oral avant tout donc notre meilleur média c’est la radio. Quand je bossais sur M6 avec Fogiel il y avait des parties qui étaient parfois douloureuses, des interviews sur des sujets dramatiques voire tragiques. Être comique là-dedans ce n’est jamais évident. Aujourd’hui quand je me retrouve sur Europe 1 avec la bande à Ruquier forcément l’objectif c’est de rire et de s’amuser. C’est ça la place de l’humoriste… C’est pour ça que c’est un média qui me correspond beaucoup plus.
Qu’envisages-tu pour la suite ?
Je fais la mise en scène du spectacle Crazy de Claudia Tagbo, tous les dimanches aux Mathurins. Il marche déjà très bien. Il sera à l’Européen tous les soirs à partir de janvier. C’est totalement différent de mon univers. C’est ce que j’aime. C’est très punchy, très dynamique. J’aime beaucoup le travail de Claudia. C’est pourquoi je prends plaisir à bosser avec elle. Il y a le DVD et la tournée. Ce sera le dernier tour de Faites entrer Fabrice Éboué et ensuite on passera à autre chose. Peut-être du cinéma, peut-être du théâtre. Je ne sais pas encore. Quand tu sors d’un chantier énorme comme Case départ, qui a été couronné de succès tu es un peu dans le flou. Tu te demandes par quel chemin tu vas passer pour continuer ta petite aventure. Le seul mot d’ordre pour moi est de continuer à prendre plaisir à faire les choses, à les faire par envie de délirer, de rigoler et pas autrement.

Fabrice Éboué à Dubling le 19 avril 2011

L’introduction de cet entretien est également publié dans Afriscope n° 23, novembre 2011.///Article N° : 10498

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