« Faire émerger un  » nouvel  » Africain »

Entretien de Mademba Ndiaye avec Youssou Ndour

Print Friendly, PDF & Email

Youssou Ndour, vous êtes aujourd’hui un artiste mondialement reconnu. Comment expliquez-vous ce succès d’un enfant issu du quartier populaire de la Médina ?
Il faut d’abord y croire. Ce n’est pas la situation géographique qui donne une chance de réussir. Que l’on vienne de Kuala Lumpur ou d’un quartier populaire de Dakar, c’est la même chose. Il faut croire que les hommes naissent égaux, qu’ils ont les mêmes potentialités. Je le répète, le milieu géographique importe peu ; en fait, c’est le milieu qui profite de la réussite de ces enfants. Ce n’est pas l’environnement qui va vous faire, c’est ce que vous pouvez en faire pour l’améliorer qui compte.
Il est vrai cependant, que j’ai, personnellement, vécu une situation extraordinaire avec la Médina. J’y suis né, j’y ai grandi ; j’ai été très proche de mon grand-père maternel qui m’a inculqué tout jeune le goût de l’endurance au travail. Il m’a beaucoup aidé. Je me souviens, quand je commençais à fréquenter l’école, lui quittait la rue 22 (Ndlr : À prés de deux kilomètres de la maison familiale de Youssou Ndour) afin de venir chez nous et s’assurer que j’étais réveillé pour ne pas être en retard en classe ! D’une certaine façon, cela m’a poussé à avoir de la rigueur dans tout ce que j’entreprends. Par la suite, j’ai pris les choses comme elles venaient. Je suis allé à l’école et j’ai commencé mon travail de musicien ; j’ai très vite senti que ce travail pouvait me mener à un niveau plus élevé. Je me souviens bien de mon inclinaison première qui était d’être connu dans la Médina.
Donc tu avais déjà cette vision… ?
Tout à fait. Pendant les vacances scolaires, je fréquentais toutes les parties de la Médina où se déroulaient des kassak (Ndlr : cérémonie nocturne de chants traditionnels pour les jeunes circoncis). Ce n’est que vers une heure du matin que j’achevais mon tour des kassak ! J’y chantais et les gens parlaient de moi ; c’est ainsi que tout a commencé.
Youssou, votre engagement auprès des enfants de la rue est connu de tous. Cela fait des années que vous travaillez pour améliorer leur sort et que vous vous investissez pour que ces enfants aient un avenir meilleur. Quel est aujourd’hui le bilan de toutes ces actions ?
C’est très difficile de faire le point car au moment même où vous croyez être sur la voie du progrès, vous devez vous rendre à l’évidence que la situation des enfants de la rue a empiré. Des initiatives sont prises ; j’en suis partie prenante pour essayer d’améliorer leur situation, leur donner une éducation, une formation, pour les faire rentrer à la maison. Mais, dans le même temps, l’accroissement démographique est tel que les enfants de la rue sont plus nombreux. Il m’arrive parfois d’aller, la nuit, en moto, voir les enfants qui dorment sur le trottoir, ils sont toujours plus nombreux et voilà, je… (il hésite longuement).
Découragé ?
Non, non, pas du tout. Au contraire, devant cette situation on a plutôt envie de mieux communiquer pour que beaucoup plus de personnes s’engagent, car, comme on dit en Wolof,  » ce qu’une seule personne peut réussir, deux le feront mieux « .
On entend parler de certaines structures que vous pilotez comme l’orchestre Super Étoile, le studio  » Xippi  » ou encore la maison de Production  » Jololi « . On entend beaucoup moins de propos sur la  » Fondation Youssou Ndour « . Pourquoi cette discrétion ? Quel bilan tirez-vous des activités de cette structure ?
Je dois préciser que je ne gère pas directement la  » Fondation Youssou Ndour « . Je suis simplement membre de son Conseil de gestion qui comprend également des personnalités venues d’horizons divers (banques, sport, sociétés privées, etc.). Quand ce conseil prend des décisions, je ne peux pas les changer et je les assume.
La Fondation a fait d’excellentes choses. En tant que membre, je me suis, par exemple, fait l’avocat pour un soutien à la formation des métiers de la musique. Quand nous nous produisons à Londres, par exemple, les musiciens sont certes des Sénégalais, mais toute la partie technique (son, lumière, mangement, etc.) est assurée par des Occidentaux. Je n’ai rien contre eux, mais j’ai plaidé en faveur d’une formation à l’ingénierie technique et au management, car au-delà des musiciens se produisant sur scène, il faut considérer les emplois créés par la musique et dont ne profitent pas les nationaux. J’ai pu convaincre la Fondation d’engager 70 millions de francs pour collaborer avec l’Association des musiciens du Sénégal et former des professionnels de la sous-région dans ce domaine. Nous enregistrons même des résultats au-delà des attentes, car les managers et les jeunes techniciens ont compris que pour accompagner un Youssou Ndour ou tout autre musicien sur les scènes américaines, eh bien ! il faut avoir la même qualification que le technicien ou le manager américain.
La Fondation soutient également la lutte contre le paludisme et, depuis trois ans, nous offrons des bourses à une quinzaine d’étudiantes venues de milieux défavorisés de l’intérieur du Sénégal qui font leurs études à Dakar. Nous les soutenons financièrement et nous suivons attentivement leurs études.
Cela fait maintenant cinq ans que nous participons, par ailleurs, au Forum de Davos en Suisse pour y rencontrer des homologues ; et il m’est arrivé de représenter, personnellement, la Fondation qui œuvre intensément au niveau international. Nous avons une crédibilité certaine qui nous permet de travailler avec d’autres fondations.
Notamment la Fondation Bill et Melinda Gates ?
Oui, avec la Fondation Bill et Melinda Gates quant aux recherches sur le paludisme. Nous coopérons également avec les Fondation Ford et Céline Dion.
Par rapport à  » Jololi  » et  » Xippi  » qui ont des objectifs commerciaux, la Fondation, elle, a pris l’option d’une communication minimale, ce qui ne l’empêche pas d’être efficace, et nous faisons en sorte que les gens viennent à nous afin de se rendre compte de ce que nous réalisons.
Je dois aussi dire que nous venons de mettre en place une nouvelle structure, le  » Fonds Youssou Ndour  » qui n’a rien à voir avec la Fondation. Ce fonds a été créé avec IntraHealth International, une ONG américaine de Pennsylvanie. Ainsi, nous allons mobiliser des fonds pour être encore beaucoup plus présent et efficace dans le domaine de l’éducation, de la santé et de la promotion des activités culturelles. Ce fonds sera d’abord basé aux États-Unis et travaillera sur l’ensemble de l’Afrique. Ainsi, une structure du Liberia ou du Mali, par exemple, pourra prétendre bénéficier tout autant du  » Fonds Youssou Ndour  » que des interventions de la  » Fondation Youssou Ndour « .
Vous êtes ambassadeur de l’Unicef. Coumba Gawlo Seck, Ismaïla Lô et Baaba Maal, pour ne parler que du Sénégal, sont, eux aussi, des ambassadeurs d’organisations internationales. Que pensez-vous de cet appel aux musiciens et artistes en général ?
J’estime extraordinaire de pouvoir servir une cause, malgré et au-delà de son métier. Je dois saluer l’engagement des artistes sénégalais et, plus généralement, africains qui acceptent d’entrée de jeu de prêter leur concours à ses organisations qui, il faut bien le dire, se sont beaucoup  » plantées  » par le passé avant de faire appel à nous. Elles ont maintenant compris que pour rendre leur travail administratif plus efficace, il leur fallait compter sur d’autres strates de population comme les artistes, les religieux, les sportifs, etc. Depuis ce changement d’attitude, elles ont une meilleure visibilité, mais je tiens à le préciser, sans que, pour autant, les contradictions ne disparaissent. Pour ma part, lorsque je rencontre les gens de l’Unicef, je leur donne mes idées sans chercher à leur plaire. Quand mon point de vue diverge du leur, je le leur signifie très clairement. C’est plus productif. Tout cela, nous le faisons bénévolement, mais je demande quand même qu’il soit tenu compte de mon calendrier pour les activités de l’Unicef réclamant mon nom : interviews, spots publicitaires, représentations, etc.
J’ajoute aussi que tout musicien doit se sentir Ambassadeur dans sa tête, peu importe qu’une organisation internationale soit derrière lui ou non. Un jeune musicien dans son quartier doit avoir cet état d’esprit.
Puisque nous faisons allusion à des organisations internationales, parlons un peu de la Banque mondiale. Comment jugez-vous les agences d’aide au développement : efficaces ou juste distributrices de gros sous ?
J’avais fait une chanson contre les Institutions de Bretton Woods, contre le FMI et la Banque mondiale, intitulée  » Picc Mi  » (L’oiseau) ; une histoire entre l’oiseau et le crocodile ! Ne communiquant pas, à l’époque, avec les populations, ces institutions étaient perçues comme des institutions qui pompaient tout. Elles étaient le crocodile alors que l’Afrique était l’oiseau, la proie. Par la suite, j’ai changé un peu changé d’avis, ayant eu l’occasion de discuter avec des responsables de ces institutions. Je pense que la Banque mondiale a beaucoup de mérite d’avoir osé changer son approche, avec, aujourd’hui, des rapports partant de nos pays vers le siège à Washington. Désormais, la Banque mondiale, bien que continuant toujours à travailler avec les États, se tient à l’écoute des populations et de la société civile. Grâce à cette nouvelle communication, les décideurs de la Banque sont mieux informés de la réalité des pays.
Maintenant, si je devais décider de la politique de la Banque mondiale, mon credo serait de pousser tous les pays en développement à investir dans un processus de changement des mentalités.
C’est-à-dire ?
En un mot comme en deux, je crois que tous ces problèmes de pauvreté sont, certes, de la responsabilité des gouvernants, mais sont aussi une conséquence du comportement des populations. Il faudrait un nouveau type d’homme, mieux à même d’utiliser les ressources, comme celles de la Banque mondiale, par exemple ; mieux outillé pour s’épanouir dans la vie.
Il y a un déficit dans les mentalités ; les gens ne savent pas ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire. Ce qui est leur droit et ce qui ne l’est pas. Il y a une démission des autorités, des chefs de famille, des leaders de la société. Il faut changer cela. Car comme on dit en wolof  » Baala ngay wouyou, nefa  » (Ndlr :  » Avant de répondre  » Présent « , encore faut-il d’abord exister « ).
Vous croyez beaucoup à l’homme…
Ah oui ! Beaucoup. Il faut agir sur les mentalités, investir sur les mentalités, c’est cela qui nous permettra d’aller très vite en besogne. Ici en Afrique, si vous formez un homme, il devient très productif. Mais actuellement, ce n’est pas le cas. Tout le monde n’a pas les moyens de bénéficier de l’information et de toutes ces choses qui permettent de sentir, entre autres dans sa tête, qu’on est cette nouvelle personne, ce nouveau type d’homme (ou de femme) dont je parle.
Bono, le leader du groupe musical U2 a joué un grand rôle dans la campagne pour l’annulation de la dette des pays pauvres. Avec votre aura, allez-vous marcher dans ses traces pour une cause déterminée comme la lutte contre la corruption, par exemple ?
Je connais Bono et je considère qu’il est très méritant. Son engagement est totalement désintéressé. Son groupe est certainement le plus connu sur cette planète. Et il sait que sa notoriété lui permet de dialoguer avec tous les grands de ce monde comme Koffi Annan, le Secrétaire général de l’ONU, ou Tony Blair, le Premier ministre britannique. Il met cette opportunité au service des causes qu’il défend, en mobilisant toute une communauté d’artistes. Ce qu’il fait est vraiment très important.
S’agissant de la corruption, on en parle beaucoup, mais elle n’est pas exclusive à l’Afrique ; chaque jour, il y a des scandales en Amérique ! Je ne peux admettre que devisant sur l’Afrique, on ne fasse référence qu’à la corruption, la pauvreté, la guerre et au Sida. Jamais on n’exprime sa face positive. Par exemple, nous venons d’élire démocratiquement une femme à la tête du Liberia. C’est de cela dont il faut faire état, de cette responsabilisation de plus en plus accrue des femmes. Je crois que l’Afrique a besoin que l’on mentionne ses aspects positifs, même si je ne récuse pas le fait de voir aborder ses problèmes. Je me refuse à considérer que tous les États africains sont corrompus : certains d’entre eux font des efforts remarquables pour combattre la corruption. Et après tout, l’argent que les Africains volent n’atterrit-il pas dans les banques occidentales, en Europe ou en Amérique ? On veut mettre l’Afrique dans la  » Section des corrompus  » alors que si on considère la corruption dans le monde, je ne crois sincèrement pas que nous soyons les champions !
Youssou, vous un êtes un opérateur économique privé. Est-il facile de faire du  » business  » au Sénégal ? À votre avis, que faudrait-il changer pour rendre l’environnement des affaires plus favorable ?
Un train a besoin de deux rails pour rouler. Il en est de même de l’économie. Sur un rail, nous portons nos projets, mais il faut que sur l’autre l’État joue véritablement son rôle de régulateur. Pour exemple, ma société de production détient 60 % des parts du marché musical sénégalais ; nous avons produit beaucoup de jeunes qui sont devenus des artistes confirmés, donc des mini-entreprises. Sur l’autre bord, se dressent les concurrents du secteur informel. Nous, les entreprises comme la mienne, s payons des taxes, avons des charges de personnel. Les autres sont des entreprises unipersonnelles, sans aucune déontologie professionnelle, sans aucune charge fiscale et de personnel. Ils baissent les prix, ils piratent nos produits ou bien proposent des produits similaires aux consommateurs. Que pouvons-nous faire devant une telle situation ? On voit sans cesse des gens créer des sociétés formelles, mais, l’État ne faisant rien pour assurer une saine concurrence, ces gens ferment leurs entreprises, deviennent des sous-marins et se retrouvent dans le secteur informel.
C’est tout le problème du secteur du privé ; il faut que l’État soit fort pour assurer une concurrence loyale, pour que les entreprises fonctionnent, pour que les investisseurs mettent leur argent dans notre économie. La preuve en est que dans notre secteur, la musique, vous voyez partout, au grand jour, des vendeurs de CD pirater des artistes dont on confisque, de la sorte, les droits ; et personne ne s’émeut ! Mais si on falsifie un bien appartenant à l’État, la sanction tombe. Ces pirates coulent des entreprises en toute impunité. Allons-nous, artistes, prendre des bâtons et les pourchasser dans la rue ? Ce que je dis est valable pour d’autres secteurs de production. Il faut que l’État soit fort, qu’il sévisse. Et ce n’est pas le cas aujourd’hui.
La seconde chose qui me paraît importante – bien que ne me concernant pas personnellement puisque je paie mes impôts depuis le début de ma carrière, en 1984 –, c’est la fiscalité. L’État n’effectue aucun travail en amont dans ce domaine. On laisse les gens créer leur société, un peu comme un poisson qu’on laisse filer avec l’appât et l’hameçon et qui, tout à tout coup, se trouve ferré ! Or l’impôt, c’est comme la mort…
La comparaison n’est-elle pas un peu forte ?
Pas du tout, je veux dire que comme la mort, personne ne doit y échapper ; personne ne doit échapper au paiement des taxes ! Il est indispensable de les payer car c’est avec les impôts que l’État redistribue les fruits de la croissance. Or le nouveau type d’homme dont je parle, qui, dans le milieu économique est aussi représenté par le Baol-Baol pauvre hier et riche aujourd’hui, a besoin d’une éducation à la citoyenneté pour comprendre que payer ses impôts est indispensable. Le Baol-Baol crée une société formelle et ne paie pas ses impôts car aucune éducation n’est dispensée en ce sens. Et brusquement, un jour, le fisc débarque. Alors, ce qu’il fait est simple : il ferme boutique et va dans le secteur informel.
Pourtant l’environnement devrait être propice compte tenu des succès du Sénégal en matière de démocratie – notamment avec les élections de l’an 2000 – de sport – avec ce que les Lions ont réalisé à la coupe du monde de football 2002 – et de produits culturels.
Et le système bancaire ?
Il ne soutient pas le secteur privé. J’ai entendu dire que les banques sont en situation de surliquidités, ce qui ne les retient pas de pratiquer des taux d’intérêt insoutenables et d’exiger des garanties excessives. Toutes ces banques qui s’implantent jusque devant nos maisons… Je constate qu’elles vont, aujourd’hui, prendre l’argent partout… à nos portes. Mais c’est juste pour prendre notre argent sans avoir loin à aller, sur le seuil de nos habitations. En revanche, quand il s’agit d’emprunter, c’est à la Direction générale qu’il faut se rendre !
Youssou, vous vivez au Sénégal alors que vous auriez pu vous installer n’importe où en Europe ou aux États-Unis, comme le font nombre d’artistes, pour mener votre existence de musicien ou conduire vos affaires. Pourquoi ce choix de rester ici à Dakar ?
D’abord la famille ! Je suis très attaché à ma grande famille qui comprend aussi mes amis. J’y tiens énormément. Artistiquement, j’ai toujours considéré que ma musique doit ressembler à ce que je vis. Vivre ici me rappelle toujours qu’il y a des choses que je n’ai pas le droit de faire, me rappelle que je suis, parmi d’autres, un des Ambassadeurs de ce pays.
Sans négliger que Dakar a un aéroport international ! Je peux aller et venir quand je veux et je n’ai pas besoin de visa de sortie. Je suis un artiste du monde ; si je m’installais en France, je devrais faire des allers et retours entre Paris et les USA. Si je m’installais aux États-Unis, je ferai autant d’allers et retours, c’est le destin d’un artiste. À ce compte-là, autant rester ici où j’ai un aéroport à disposition !
Comment vivez-vous la Coupe du monde qui se déroule actuellement en Allemagne (Ndlr : L’entretien s’est déroulé le 13 juin) ?
Je pense que le Mondial a bien démarré ; malheureusement certaines équipes africaines n’étaient pas dans les meilleures conditions pour aller très loin dans cette coupe. Mais je pense que l’Afrique a un potentiel, pas totalement représenté au Mondial ! Pensez à Samuel Eto’o, vainqueur de la Ligue des champions avec Barcelone, meilleur buteur du championnat espagnol.
Cette coupe est également importante, car c’est le lancement de la  » vraie  » coupe du monde pour l’Afrique… celle de 2010 en Afrique du Sud.
Dans ce cadre, avez-vous un projet avec la FIFA ?
Oui. Nous venons de créer une fondation à laquelle je participe aux côtés de Bono, Koffi Annan, Bill Clinton… laquelle va utiliser le football pour aider au développement. Nous voulons aussi que cette prochaine Coupe du monde soit une possibilité pour l’Afrique de se valoriser. Je dois avouer être très impressionné par la vision du président de la FIFA, Sepp Blatter, qui soutient complètement cet enjeu. Nous allons animer un grand concert à Berlin avant la finale de la Coupe du monde pour dire  » Ciao l’Allemagne, Salut l’Afrique du Sud « .
Votre pronostic ?
L’Angleterre ! Je supporte les équipes africaines et l’Argentine, mais je crois que l’Angleterre peut gagner la Coupe du monde. Et vraiment ce ne serait pas mal en raison de tout ce bouillonnement culturel existant dans ce pays grâce à toutes ces nationalités impliquées dans le football anglais. Même s’il est vrai que plein de nationalités diverses animent les autres championnats, ce n’est pas pareil en Angleterre… Le championnat anglais, c’est vraiment magnifique ! On verra bien !
Le 10 juin dernier, vous avez été fait Docteur Honoris causa d’une école de management sénégalaise. Vous qui avez arrêté très tôt vos études pour votre art dans lequel vous réussissez à merveille, qu’avez-vous ressenti en portant cette toge universitaire ?
Je l’ai dit clairement : je regrette l’école. C’était un message sincère. Si j’avais les mêmes possibilités qu’aujourd’hui, j’aurais poursuivi mes études.. Je voulais également mentionner aux jeunes que le talent ne suffit pas il faut aussi le savoir.
C’est ce genre d’écoles qu’il nous faut ; sans oublier, naturellement, les écoles i d’apprentissage que sont les garages et les ateliers de menuiserie de Médina ou de Thiaroye (quartiers populaires de Dakar) qui sont de vrais centres de formation. Et je serais tout aussi fier de porter le titre de Docteur Honoris causa de ces centres.
Et cette réception au Sénat français ?
C’était dans le cadre de la Francophonie. Nous multiplions nos efforts pour rendre plus visible la francophonie et je suis membre du Comité d’organisation pour l’Année Senghor (Ndrl : premier Président du Sénégal). C’était une bonne chose.
Autre question d’actualité. Des milliers de jeunes tentent aujourd’hui de gagner, au péril de leur vie, l’Europe en empruntant des pirogues traditionnelles avec ce terrible slogan  » Barcelone ou Barzakh  » (Barcelone ou la mort, en langue Wolof). Vous qui avez fait l’éloge des émigrés dans l’un de vos plus célèbres tubes, que pensez-vous de ce phénomène ?
C’est une question extrêmement délicate. Pourquoi les jeunes veulent-ils partir coûte que coûte ? Parce qu’ils n’ont pas de travail. Pourquoi n’ont-ils pas de travail ? Parce qu’ils n’ont pas de formation. Sans formation, on ne peut pas valablement chercher un emploi. Qui se paierait le luxe d’employer quelqu’un qui ne sait rien faire ? Nous retombons donc sur le problème de l’éducation et de la formation, indispensables pour se créer des opportunités.
Le deuxième élément entrant en jeu est qu’il y a toujours un membre de notre entourage vivant à l’étranger. Sa maison familiale se transforme, sa maman possède une voiture et un téléphone. Et tout cela grâce à un enfant émigré qui vit dans de mauvaises conditions en Europe ou en Amérique, mais qui envoie de l’argent. On parle de 300 milliards par an envoyés par les émigrés au Sénégal. Quand un jeune voit cela, il va tout faire pour partir, pour offrir la même chose à sa propre maman. Sans compter que la famille, elle-même, met la pression sur le jeune en lui demandant d’imiter ses pairs. On commence à lui mener la vie dure. Il va chercher le visa par tous les moyens. Tout ça, parce que l’argent est, aujourd’hui, placé au-dessus de tout. Alors que, même sans argent en poche, il est parfaitement possible d’être utile à sa société.
Personnellement, je décourage totalement les jeunes qui risquent leur vie pour aller en Europe. Il est temps que l’État prenne conscience que ce ne sont pas des milliards qui vont régler le problème. Il faut investir sur l’homme nouveau. Aussi peut-on parler d’échec de l’État, mais aussi des parents. C’est également l’échec de l’Europe dont les dirigeants ne se soucient que des 20 % de l’électorat qu’il faut séduire avec des politiques anti-immigration. Bush, Sarkozy, c’est pareil ; quand ils parlent de l’immigration, c’est uniquement pour récupérer des voix.
L’action que nous allons mener, en tant qu’artistes ? Un grand concert à Nouadhibou, en Mauritanie ; sans doute en octobre. Nous y inviterons beaucoup d’artistes africains et européens pour lancer un cri d’alarme afin de mettre fin à l’émigration clandestine assortie de tous ses dangers. Et je vous assure, dès maintenant, qu’aucune pirogue ne quittera le port pour l’Europe ce jour-là. Nous y catapulterons un message en faveur d’un nouveau type d’homme !

source : Echos de la Banque mondiale – Magazine du Bureau de Dakar.///Article N° : 4543

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire