Farafinko de Aly Keïta

Contrejour

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« En Afrique, tout le monde aime être bien vu par les autres, même s’il faut prendre des raccourcis, de mauvais chemins pour arriver à ses fins. Certaines personnes qui ont dû pouvoir, trichent, mélangent le travail et l’intérêt pour leur famille ou leur clan. Mais j’ai l’espoir que cela change. »

Ainsi se résume Faranfinko, le titre-éponyme en ouverture de cet album, selon son auteur. Une manière pour lui d’évoquer les tensions vécues dans son pays, la Côte d’Ivoire, même à mots couverts. A moins que ces mots ne rendent compte d’une lubie de notre part, à un moment où l’on interroge à l’excès les artistes sur ce pays parti en vrille. Que ne souhaite-t-on à l’écoute d’un album d’aussi bonne facture ?
Voulant échapper aux incertitudes d’une scène politique ivoirienne mise sens dessus dessous depuis 2000, Aly Keïta vit actuellement à Berlin. Il feint l’éloignement et n’en parle pas beaucoup. A la place, il joue merveilleusement bien et irradie de son sourire dévastateur. L’homme se prétend autodidacte et ne doit rien au conservatoire des arts. La musique, il y est venu tôt, avec son propre père comme mentor. Le balafon est une affaire qui roule pour les Keïta depuis des siècles. Les publics en joie, les cérémonies aux nuits sans fin, les corps en sueur et en transe, Aly connaît et s’y complaît depuis l’enfance. C’est là qu’il déjoue les mystères de ce tambour à lames, ancêtre consacré du marimba et du xylophone, en petit maestro. La polyphonie à l’horizontale, les sons démesurés ou encore la puissance d’envoûtement, seront sa nécessité de survie. C’est là aussi qu’il a appris à fabriquer et à customiser son instrument. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Il en fera sa devise…
Puis arrivera ce jour de 1986, où la rencontre avec un touriste allemand l’arrache à l’agitation des rues et l’installe sur le plateau du centre culturel français à Abidjan. C’était un 3 octobre, se souviendra-t-il ensuite. Sa première fois devant un public de mélomanes assis. Un artiste était né. Il n’avait pas encore dix-huit ans et vivait là son premier dialogue avec un pianiste. Une expérience qui le transporte, quelques années plus tard, dans un monde à géométrie variable, où il se retrouve vite aux côtés de quelques allumés de la sono mondiale. Etienne Mbappé, Joe Zawinul, Paco Sery, Omar Sosa, Trilok Gurtu, Jan Garbarek ou encore Rhoda Scott. La liste est loin d’être exhaustive et la passion du jazz l’étreint à cœur ouvert. Il se fabriquera même un super balafon, passant du pentatonique à plus d’harmoniques, grâce à quelques notes et calebasses rajoutées dans le but d’ébranler son héritage le plus figé.
Rendre hommage au patrimoine légué par l’ancêtre apporte les honneurs. Mais le renouveler annonce le génie à venir. Aly Keïta n’a guère eu à choisir. Il lui a suffi de se frayer un chemin entre les deux possibilités. Ainsi est-il devenu l’un des meilleurs interprètes de sa génération au balafon, tout en étant l’un des plus prometteurs. Sans doute qu’il faudra quelques années à celui qui se prétend autodidacte (en respect des canons occidentaux) pour finir de démocratiser l’instrument-fétiche, jadis choisi au détriment du djembé et de la kora. Sans doute aussi que sa méthode dite du balafon beat, diffusée sous dvd aux éditions Improductions, ne suffira pas pour perturber l’arrogance des grandes écoles de musique établie. En attendant, on peut l’écouter. En concert ou en disque, l’enfant terrible du balafon en errance exulte.
Akwaba iniséné, son premier album, sorti en 2007, sacrifiait au piquant des rencontres improbables entre des univers aussi fournis que ceux de Pierre Vaiana, un saxophoniste belge, de Boris Tchango, un batteur Togolais, de Dobet Gnahore, la chanteuse, et de Manou Gallo, une bassiste, toutes deux venues, comme lui, de cette Côte d’Ivoire aujourd’hui en feu. Farafinko, le petit dernier, paru chez Contre-Jour en Belgique, sonne néanmoins plus juste que le premier. Une galette pondue en solo, à l’exception du titre Lafia, sur lequel apparaît furtivement un autre virtuose, Keletigui Diabaté. Farafinko traduit comme une envie de rassembler les morceaux épars d’un parcours éclaté en exil. Un album aux mélodies tenaces, étrangement passe-partout, qui flirte de loin avec l’esprit du jazz en fusion. Une suite africaine aux accents inédits. Keïta y cause de la paix, du respect et de la confiance, du devoir et de l’errance, de mémoire et d’espérance. Le son y est tendre, humble, dépouillé. Balafon à touches de noires et de blanches pour instants de zénitude relâchée. De quoi confondre une oreille en quête de sons qui rassurent…

Aly Keïta à Bruxelles le 04/02, à Paris le 09/02, à Lyon le 11/02/11.
Plus d’infos : [alykeita] ou [Crepuscule Prod] ///Article N° : 9905

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