Féminisme(s) en Afrique et dans la Diaspora

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« Féminisme(s) en Afrique et dans la Diaspora » est le fruit d’un appel à contributions lancé en mai dernier sur internet, dans les universités et cercles féministes de France, d’Angleterre, d’Afrique et d’Amérique du Nord. L’idée de ce thème est née à la suite du numéro 72 de la revue Africultures, paru en février 2008, intitulé « Diaspora : identité plurielle ». Un dossier réalisé en partenariat avec le Musée du Quai Branly, à l’occasion de l’exposition « Diaspora ».
« Diaspora : identité plurielle » est un numéro dont les auteurs furent invités à partager leurs savoirs et recherches dans un champ universitaire relativement récent en France : les études postcoloniales ou culturelles (aussi connues sous le nom de postcolonial ou cultural studies). Conçu comme un apport théorique à l’expérience sensorielle que fut l’exposition « Diaspora », il offrait à Africultures l’opportunité de participer à une démarche consistant à ouvrir le champ des sciences sociales aux théoriciens de la « marge ». Edward Saïd (1935-2003), Stuart Hall, Homi K. Bhabha, Paul Gilroy, Kobena Mercer, font partie des penseurs cités dans le numéro 72. Mais force fut de constater l’absence des « marginales de la marge » ; le silence pesant des femmes de la Diaspora ; notamment des Africaines-Américaines qui ont joué un rôle déterminant dans la déconstruction des systèmes de pensée et structures sociopolitiques hégémoniques. On pense notamment aux travaux d’Audre Lorde (1934-1992), Angela Davis, Patricia Hill Collins et bell hooks. Confrontées au sexisme de leurs « frères », marginalisées dans un mouvement féministe occidental, elles ont entrepris de développer une pensée et un activisme communément appelés « féminisme noir » (black feminism). Et puis, plus près d’un terrain que nous connaissons bien, l’Afrique, l’histoire garde la trace de femmes qui ont exprimé la condition féminine. Parmi elles : Mariama Bâ (1929-1981), Awa Thiam, Fatou Sow, Tanella Boni et Obioma Nnaemeka.
« Féminisme(s) en Afrique et dans la Diaspora » n’est pas une anthologie. Ce dossier d’Africultures ne se veut en aucun cas essentialiste, ni ne prétend à une quelconque exhaustivité. Témoignage de l’intérêt que lui ont porté lecteurs et chercheurs, il est une coupe transversale de l’histoire, de l’état des recherches, et des débats actuels sur la condition féminine africaine et diasporique. Il s’articule autour d’une question principale : la cause des femmes est-elle universelle ? Ou, comme le posait notre appel à contributions : « le féminisme pourrait-il s’affranchir de l’histoire, de la culture, des hiérarchies sociales, des facteurs économiques et politiques ? […] Quel rôle le fait culturel joue-t-il dans la compréhension et le soutien apporté aux femmes victimes de violences conjugales ? Qu’en est-il de la lutte contre les pratiques d’excision, pour l’éducation sexuelle, la prévention du SIDA ? Quels obstacles reste-il à surmonter en milieu professionnel ? »
Certaines de ces questions sont ici traitées et ont donné forme à un dossier en quatre parties :
1. Le féminin : entre vécu et théorie rassemble trois articles retraçant les différentes approches féministes d’Afrique et d’Amérique du Nord. Obioma Nnaemeka analyse la tendance hégémonique des discours féministes occidentaux et africains-américains et énonce des alternatives africaines ancrées dans des réalités locales, dont son concept de négo-féminisme ; Patricia Hill Collins, théoricienne du féminisme noir états-unien en rappelle l’histoire et les enjeux actuels. Tanella Boni s’interroge sur la « question féminine » dans la quête d' »autonomisation et réalisation de soi » propre à chaque être humain.
2. Femmes et faits de société examine trois types d’expériences affectant tant le corps, que la place de la femme dans la société. Philomène-Nicole Carton explique les raisons de l’absence de prise en considération du fait culturel dans le soutien apporté aux femmes victimes de violences conjugales. Rebecca Weber propose pour sujet d’étude sociologique « le rôle du genre dans les changements socioculturels des femmes migrantes ». Télesphore Mba Bizo prend le parti de la femme camerounaise dans une chronique signalant le « simulacre d’émasculation du pouvoir par les femmes ».
3. Femmes, féminismes et représentations cinématographiques met la femme en image. Cette partie s’ouvre sur un rapport d’Olivier Barlet rédigé à l’issue de la table ronde « Femmes et cinéma – femmes au cinéma » tenue au Festival International du Film de Salé (Maroc) en 2004. Dans « Cinéma au féminin », Melissa Thackway s’emploie à déconstruire le regard que l’Occidentale porte sur l’Africaine et analyse la façon dont trois réalisatrices : Safi Faye (Sénégal), Anne Laure Folly (Togo), et Fanta Régina Nacro (Burkina Faso) traitent des questions de femmes dans leurs œuvres. Jean-José Mesguen nous ouvre une fenêtre sur le cinéma brésilien, rappelant à notre mémoire le film Xica da Silva (1976) de Carlos Diegues et soulignant l’image de la femme noire dans l’imaginaire érotique brésilien. Jyoti Mistry prend acte de l’usage de la violence comme seul recours à la violence conjugale en Afrique du Sud, à travers Jesus and the Giant (2008), court-métrage du Nigérian Akin Omotoso.
4. Écrits de femmes s’arrête sur les plumes africaines. Marlene de la Cruz-Guzman met en relief l’importance des savoirs indigènes dans l’émancipation de la femme nigériane et sa survivance au trauma colonial (et postcolonial) dans Le Meilleur reste à venir de Sefi Atta. Elizabeth F. Olfield propose une lecture négo-féministe d’œuvres littéraires d’Afrique de l’Est. Enfin, nous concluons ce dossier par une brève note de Taïna Tervonen sur Ce que vivent les Femmes d’Afrique de Tanella Boni.
Les lecteurs noteront cette fois le silence des voix du Maghreb, pourtant elles aussi conviées à prendre part à ce dossier. Nul doute qu’elles se manifesteront dans un prochain numéro. Au nom d’Africultures, je tiens à remercier tous les auteurs, ainsi que les musées et galeries qui ont contribué aux illustrations : le Musée Dapper (Paris), le Hood Museum of Art et le San Diego Museum of Art (Etat-Unis) ainsi que le Centre d’Art Contemporain de Lagos (Nigeria).
L’œuvre figurant en couverture de ce dossier est une photographie de la Camerounaise Angèle Etoundi Essamba, présentée au San Diego Museum of Art dans le cadre de « Black Womanhood » – une exposition organisée par le Hood Museum of Art – et au Musée Dapper, à l’occasion de « Femmes dans les arts d’Afrique ». L’image d’une femme enceinte pourrait sembler contraire à l’idée que l’on se fait du féminisme. Or, son choix se justifie tout d’abord pour sa sobriété. Car, comme le lecteur le découvrira, d’une manière générale, les féminismes d’Afrique ne jouent ni sur la provocation, ni sur l’antagonisme. Cette image dévoile le corps sans céder à l’impudeur. Elle montre la femme au paroxysme de la féminité sans pour autant en faire un objet. Enfin, et c’est là une nuance importante induite par cette image, elle reflète un fait prégnant dans nombreuses contributions de ce dossier, à commencer par celle d’Obioma Nnaemeka : l’histoire du féminisme, en Afrique, se distingue du modèle occidental en ce qu’il n’a jamais rejeté, ni dénoncé la maternité comme non-féministe. L’universitaire gallo-jamaïcaine Hazel V. Carby rappelle, elle aussi, que dans l’histoire de la Diaspora, pendant l’esclavage et la colonisation, la famille a constitué une source de résistance culturelle et politique face au racisme.
La maternité est un moment charnière dans la vie d’une femme, qui se présente parfois comme un « dilemme », si l’on me permet l’expression, entre les aspirations propres à chaque individu – comme le rappelle Tanella Boni – et les pressions de la société contemporaine.
Derrière cette douce incarnation de la maternité, se cache un tiraillement entre devoir de mère, et aspirations personnelles ou professionnelles, soulevant bien souvent un questionnement d’ordre féministe. Le dossier « Féminisme(s) en Afrique et dans la Diaspora » tente d’en aborder les différents thèmes et enjeux.

///Article N° : 8333

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