Fences, de Denzel Washington

Des barrières et des hommes

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Le troisième long métrage de Denzel Washington sort sur les écrans français ce 22 février 2017. Malgré les codes conventionnels de son esthétique, il constitue un bon outil pédagogique sur les espoirs sans cesse déçus de la communauté noire américaine.

Fences est d’abord une pièce de théâtre du prolifique dramaturge noir américain August Wilson. Ecrite en 1985, elle se déroule en 1950, à l’aube du mouvement des droits civiques et de la déségrégation de la société américaine. Lauréate du prix Pulitzer et d’un Tony Award, Fences fut souvent comparée à Un Raisin au soleil, la pièce de Lorraine Hansberry adaptée au cinéma en 1961 avec Sidney Poitier dans le rôle principal. Même période, mêmes espoirs et mêmes frustrations, même étude de la masculinité noire et des rêves que cultivent les hommes mais aussi les femmes, pour les voir au final « sécher comme un raisin au soleil », en référence au poème de Langston Hughes sur les espoirs sans cesse déçus de la communauté noire. Dans Fences, Denzel Washington, qui n’en est pas à son premier essai à la réalisation, incarne magistralement l’homme de la rue (littéralement, puisqu’il y travaille) comme allégorie de toute une nation dans la nation.

Stephen McKinley Henderson et Denzel Washington © MMXVI Paramount Pictures Corporation. All Rights Reserved. / David Lee

Fences méritait d’être adaptée au cinéma et que les personnages principaux soient incarnés par Denzel Washington et Viola Davis, deux des acteurs les plus talentueux du moment. Leur position dans l’industrie et le respect qu’ils inspirent est une forme de garantie de justesse par rapport au thème. Cette justesse, c’est ce qui fera de Fences un magnifique outil pédagogique malgré ses lourdeurs formelles, ses performances trop parfaites, sa théâtralité subie. L’esthétique sans doute trop conventionnelle tend à aplanir l’imaginaire littéraire qui fait la richesse de la pièce, où le poétique est politique. Et pourtant, Denzel Washington excelle dans la représentation de l’ordinaire, alors qu’il joue le tombeur de ses dames pour son meilleur ami, sa femme et, fatalement, ces dames. Le pathos du personnage est palpable dans ses tirades de bonimenteur, comme s’il s’inventait une fonction sociale et intellectuelle là où la société la lui refuse. Meurtri par le travail éreintant d’éboueur avant toute mécanisation, la frustration de ne pas avoir eu accès à la ligue de baseball professionnelle dans sa jeunesse, rongé par l’alcool dont l’usage relativement modéré finit par le rattraper, Troy Maxson incarne toute une histoire noire américaine que le mois de février célèbre aux Etats-Unis, dans la gloire et la reconnaissance, mais aussi dans le sentiment d’injustice et la revendication. Fences incorpore beaucoup d’éléments de la réalité des années 50 qui trouvent leur écho aujourd’hui. Le frère de Troy, Gabe, revient du combat handicapé mentalement suite à une blessure à la tête ; mal pris en charge, il est régulièrement ramassé par les autorités qui ne le relâchent que contre caution, perçue comme une taxe absurde de l’Etat envers la famille. Cette blessure est à la fois un drame et une aubaine, puisqu’elle engendre un revenu que Troy culpabilise d’avoir utilisé pour se payer une maison, où il héberge bien sûr son frère, maison que ses revenus n’auraient jamais pu lui offrir. Troy se bat contre le syndicat blanc pour obtenir un rendez-vous plus haut, risquant sa place, sans allié dans son combat pour l’égalité en bas de l’échelle. Surtout, il limite lui-même les ambitions de son fils, afin de lui épargner des déceptions, au prix d’un conflit inéluctable entre générations. Il ne comprend pas mieux son autre fils qui tente d’échapper à la condition ouvrière par la musique, sans parvenir à véritablement en vivre.

Jovan Adepo © MMXVI Paramount Pictures Corporation. All Rights Reserved. / David Lee

Viola Davis © MMXVI Paramount Pictures Corporation. All Rights Reserved. / David Lee

Enfin, le thème religieux est omniprésent. Ironiquement porté par Gabe et son handicap mental, la religion n’est jamais reniée au sein d’une communauté pour laquelle elle est souvent une bouée, envers et contre les injustices et les malheurs. Tout au long du film, Gabe relate ses conversations avec Saint Pierre, les places au Paradis qui attendent les uns et les autres, introduisant le thème de la mort dont Troy va s’emparer pour constamment la défier dans des monologues poignants. Fences réussit ce qui faisait déjà la force de la pièce : la mise en scène parvient à exposer le contexte historique et social de la condition ouvrière noire américaine sans y emprisonner les personnages. Troy est alcoolique et tyrannique, il est aussi dévoué, responsable et drôle ; sa femme Rose est résignée et excessivement compréhensive, elle est aussi déterminée et puissante face à son mari. Chaque personnage s’explique dans une ou plusieurs tirades explosives où le point de vue est renversé par rapport au reste du film. Chacun accepte et s’approprie son destin, se construit avec, à l’intérieur et autour des barrières du titre, celle que Troy doit construire pour entourer la cour où se déroule l’essentiel de l’action, mais aussi celles érigées pour circonscrire leurs vies.

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© MMXVI Paramount Pictures Corporation. All Rights Reserved. / David Lee
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