Festival du film amazigh 2010 : l’ombre d’un doute

Print Friendly, PDF & Email

Au festival du film amazigh dont la dixième édition s’est déroulée à Tizi Ouzou, Algérie, du 15 au 20 mars 2010, la compétition est scindée en trois parties : 4 courts-métrages, 3 longs et 5 documentaires, qui arpentent l’écran blanc afin de recevoir le prestigieux Olivier d’Or ! 10e édition d’un festival qui fut, à ses débuts, un rendez-vous itinérant (Sidi Bel Abbès, Tlemcen, Ghardaia…), et qui pose maintenant définitivement ses bagages à Tizi Ouzou. Malheureusement, l’émotion du cinéma n’a pas suivi.

Par quoi commencer ? Tizi Ouzou est selon Khalida Toumi, ministre de la Culture algérienne, le  » creuset de l’avant-garde et du renouveau culturels « . Située dans la région de la grande Kabylie, cette ville connue aussi pour son légendaire club de football, la JSK (jeunesse sportive kabyle), abrite pour la première fois le festival du film amazigh. Quel est le principal objectif de cet évènement cinématographique tellement rare dans le pays fennec (citons le festival du film arabe d’Oran, les rencontres cinématographiques de Bejaïa et le festival du court-métrage de Taghit) ? Une question primordiale tant les œuvres visionnées avaient du mal à se détacher de l’amateurisme. Pourtant, Khalida Toumi avait clamé haut et fort :  » Les images projetées traduisent l’imaginaire créatif de nos réalisateurs et leur talent, favorisant le dialogue culturel entre les hommes et les femmes dans leur temps et leur espace « .
Dès la soirée d’ouverture, quelque chose d’officiellement grandiose planait dans la grande salle de la Maison de la Culture, donnant un arrière-goût de (ré)conciliation nationale face à un art que l’État escamote depuis de longues années (à ce jour, aucune école de cinéma n’a vu le jour). Il est difficile de saisir le fond des discours du Haut-commissaire, du préfet, de la représentante de la ministre de la Culture, tant  » la poésie est faite de mots et que parfois les mots sont inutiles « . Lumière éclatante, salle archi-comble, transpiration aiguë et ritournelles humoristiques entre les deux animateurs de la soirée… Le rituel est respecté.
Décevant « Mouloud Feraoun »
Premier film hors compétition mais première déconvenue. Un reportage hagiographique autour de la figure littéraire, Mouloud Feraoun, réalisé par l’enseignant et cinéaste indépendant, Ali Mouzaoui (Mimezrane, la fille aux tresses, 2007). Il manque à cette reconstitution historique peu soignée le soupçon de folie qui aurait pu dénouer son atmosphère figée. S’accaparer un sujet aussi complexe que celui la figure légendaire de l’écrivain kabyle, était prometteur, mais le film l’enveloppe d’un voile sans personnalité évoquant la frilosité ambiante, comme si Mouzaoui voulait inscrire son personnage dans une histoire officielle, sorte de chantre d’une douteuse réhabilitation. La déréalisation de ses propos vient d’une utilisation excessive de mélodies illustrant chaque plan, créant dans la foulée une narration emphatique et une dramaturgie démesurée. Mouzaoui finit par déshumaniser son film, que l’accumulation de séquences assez simplistes ne vient pas sauver : Feraoun seul, se baladant dans une Kabylie agraire, écrivant des livres, déprimant sur sa condition d’artiste solitaire, le tout résumé par des plans d’insert de ses livres… Sa mise en scène démonstrative installe l’ennui.
L’absence des ateliers d’écritures qui enrichissaient les précédentes éditions en est d’autant plus regrettable qu’elles constituaient une véritable passerelle pour former les apprentis-réalisateurs. Entre un panorama du cinéma roumain où il manquait des titres aussi essentiels que 4 mois, 3 semaines et 2 jours ou La Mort de Dante Lazarescu, une carte blanche au festival Signes de nuit, une leçon de cinéma tenue par le conseiller culturel de Khalida Toumi, Ahmed Bedjaoui, dont les propos sur l’histoire du cinéma algérien étaient teintés d’un lourd passéisme, il était facile de choisir ses priorités : la compétition !
Un problème de langue ou une absence de fil conducteur ?
Le doute s’installe sur l’intention du festival. Calquer essentiellement une thématique autour de la langue amazigh peut conduire à des impasses, qui sont apparues lorsque la langue n’a cessé de provoquer un questionnement sur son utilité, sans que des réponses apparaissent. Lorsqu’Arnaud Desplechin, par exemple, adapte Esther Kahn et choisit volontairement de réaliser son film en Angleterre, cela suffit-il à inscrire son film dans le cinéma anglais ? Et lorsqu’Hitchcock, d’origine britannique, en signant Vertigo, caresse le bruit et les odeurs d’un cinéma américain, reste-t-il dans le carcan formaté du paysage anglo-saxon ? Et Truffaut, avec Farenheit 451 ou Les Deux anglaises et le continent, est-il dans la mouvance du cinéma britannique ? Et si me concernant, simple français d’origine algérienne et de culture kabyle, je réalisais une histoire avec des acteurs de l’hexagone et dont la thématique serait par exemple la désagrégation d’un couple, aurais-je des chances de voir mon film sélectionné en compétition ? La conclusion peut heurter : les films projetés ne confirment aucunement la définition d’un tel festival.
De plus, il est bien difficile de trouver une cohérence qui permettrait de lier par un thème récurrent les œuvres visionnées. Voilà ainsi deux films sur la légendaire reine Touareg Tin-Hinan, un portrait de l’excellent auteur-compositeur Kamal Hamadi (dont son réalisateur repartira avec l’Olivier d’or du meilleur documentaire), un reportage sur les cinéastes-maquisards de la guerre de libération, des tranches de vécus quotidiens où le manichéisme est trop fort pour que l’on se permette de démoraliser les films, ou encore un objet bizarre et hybride qui met en scène un extraterrestre surgissant dans un village pour y voler l’intelligence des enfants…
Le cinéma amazigh puise ses convictions dans un maelström de violences sans pour autant prendre du recul et finalement éviter le didactisme ambiant. Qu’un cinéaste se focalise sur une figure importante des Touaregs est parfaitement souhaitable. Qu’il décide de filmer des interviews en continu, et de les entrecouper de paysages provenant tout droit de l’office du tourisme, le tout illustré par une mélodie sans queue ni tête, cela peut engendrer une faille importante ! La réflexion est hors propos et la culture d’une certaine médiocrité prend les reines car il est aberrant de voir autant de choses formatées, filmées à l’emporte-pièce et dénuées de la moindre personnalité. On prend un sujet et on le filme sans songer un instant que la caméra est un outil monstrueux qui peut transcender l’intention première du cinéaste. Exemple : dans 1,2,3 viva l’Algérie, l’auteur avait une remarquable opportunité d’inscrire cette instantanéité du présent en filmant les différentes réactions avant, pendant et après le match Algérie / Égypte du 18 novembre dernier. Malheureusement, le résultat sera une suite d’images clipesques agrémentées parfois de visages radieux et scandant un  » Vive Bouteflika  » assez douteux et sans doute irréfléchi. La notion du documentaire est complètement galvaudée et éclipsée pour ne donner finalement que des reportages simplistes.
L’exception du festival
Seul Omar Belkacemi arrive à se détacher de ce carnaval festivalier. Dihya conte l’histoire réelle d’une mère seule, son mari étant obligé de s’absenter régulièrement pour aller travailler, et qui tente par tous les moyens d’éduquer son fils aux yeux des rumeurs et des on-dit. Certes, le filmage peut parfois dérouter par un trop-plein de dramaturgie qui déréalise progressivement les intentions du cinéaste. Mais nous sommes en face d’un film qui donne les moyens au spectateur de réfléchir sur le sujet. Point de didactisme, point de communautarisme aigu, point de scènes où la caméra deviendrait un outil de bricolage. Belkacemi aère ses plans de mouvements d’appareils évitant la somnolence et, par la même occasion, donnant un liant à sa construction narrative. Le temps est savamment étudié et le fait d’avoir opté pour une présentation du quotidien monotone de cette mère courage, renforce une esthétisation ample. Dihya est un film important qui se détache de l’amateurisme outrancier d’un festival que l’on se désole de voir devenir l’ombre de lui-même. Le jury ne s’y est pas trompé en lui décernant l’Olivier d’or du court-métrage.
Où trouver d’autres images qui chantent, des instants de vie mémorables, des visages aux sourires conséquents, des dialogues crus et respirant une musicalité universelle ? Car tout est de l’ordre de l’émotion et ce leitmotiv devrait être le panache des organisateurs. Où donc dénicher tout cela ? Dans les couloirs de la maison de la Culture où par exemple vers midi, se tient une belle et désolante file d’attente afin de récupérer son déjeuner, dans les navettes affrétées par le festival où des gueules ouvertes donnent des avis en forme de catapultes, dans ce restaurant atypique nommé L’Ambassade où des clients poussent la chansonnette de répertoires d’Enrico Macias, Jean Ferrat ou bien des Beatles et où des acteurs tels qu’Ahmed Benaïssa (que Tariq Teguia met en scène dans Rome plutôt que vous et Inland) qui, de sa voix rocailleuse et attachante, balance des anecdotes sur une Algérie artistique d’antan, sur ces soirées spéciales où un chanteur et accessoirement membre du jury, tels que Cheikh sidi bemol (Hocine Boukella) clame haut et fort :  » Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais tant qu’il y a l’amour.  » devant des hommes et femmes remuant leurs joies débonnaires. Oui, ce cinéma qui nous passionne, qui enregistre un réel touchant et humain, ce cinéma qui donne des allures grandissantes, était malheureusement absent de la compétition de cette 10e édition du festival du film Amazigh. À l’année prochaine ?

Palmarès :
Olivier d’or du meilleur long-métrage : Itto Titrit (Med Abbazi)
Olivier d’or du meilleur documentaire : Kamal Hamadi (Abderezak Larbi Cherif)
Mention spéciale du Jury : Tin Hinan (Rabie Ben Mokhtar)
Olivier d’or du meilleur court-métrage : Dihya (Omar Belkacemi)

article publié en partenariat avec Cinemove.fr///Article N° : 9390

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
la grande salle de projection à la maison de la Culture de Tizi Ouzou
séance de clôture
Mohammed Hilmi, Med Oumouloud Abbazi, Si El Hachemi Assad, Kamel Hamadi, Ben Mohammed, Saïd Lamrani





Laisser un commentaire