Festivalier fidèle, passionnément éditeur

Entretien de Sylvie Chalaye avec Emile Lansman, éditeur

Juillet 1998
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Emile Lansman, lorsqu’on vous croise au Festival International des Francophonies, on a l’impression que vous faites – permettez-moi l’expression – un peu partie des meubles. Vous coordonnez certains séminaires et vous animez notamment les désormais fameux  » Cinq à sept au bistrot francophone « . En outre, depuis 1989, vous avez publié une quarantaine de pièces en rapport direct ou indirect avec la programmation du Festival. Comment s’est faite cette rencontre ?
Je serai sans doute cette année l’un des rares spectateurs à pouvoir se prévaloir d’avoir assisté aux quinze premières éditions du Festival. C’est vraiment par hasard que je me suis retrouvé à Limoges. Bien qu’encore enseignant à l’époque, je m’occupais déjà de la programmation d’une grosse maison de la culture en Wallonie. On nous avait parlé d’un spectacle monté par Pierre Debauche. J’ai donc fait pratiquement un alller-retour pour venir assister à une représentation avec un ami… sans savoir qu’il s’agissait d’un nouveau festival qui allait en quelques années devenir l’un des plus importants de France.
Vous êtes donc ensuite revenu chaque année.
Oui. Avec différentes casquettes. En tant que programmateur d’abord ; comme journaliste ensuite pour un quotidien belge et une revue québécoise ; puis avec des groupes de jeunes comédiens et d’enseignants dans le cadre de mes fonctions de responsable de l’association  » théâtre-éducation  » en Belgique francophone ; et enfin, bien sûr comme éditeur.
Qu’appréciez-vous dans le Festival ? Qu’est-ce qui explique cette fidélité ?
Je l’avoue, j’aime le côté  » bon-enfant  » que le Festival a su garder comme fil conducteur de son évolution, au-delà de la qualité intrinsèque de chaque spectacle qu’il faut parfois resituer dans son contexte, à travers le projet qui le porte, pour mieux en comprendre les enjeux. Le chapiteau joue un grand rôle dans cette convivialité renouvelée en permettant de discuter avec les artistes et les invités en toute simplicité, sans devoir passer par des relais qui alourdissent les rapports professionnels et humains.
Vous avez été marqué par certaines rencontres ?
Justement. Si je suis resté fidèle au festival de Limoges, c’est avant tout parce qu’il ma permis de rencontrer des hommes et des femmes qui m’ont sans nul doute ouvert de nouveaux horizons. Je n’en, citerai que quelques-uns : Paul Tabet, le directeur de Beaumarchais, dont la confiance m’a conféré cette crédibilité immédiate que j’aurais mis plusieurs années à conquérir sans son coup de pouce désintéressé ; Bernard Magnier qui m’a profondément culpabilisé en me renvoyant l’image du gouffre d’inculture que je traînais avec moi en ne connaissant rien des  » littératures du Sud  » ; Pierre Lavoie et Lorraine Camerlain qui m’ont largement aidé à mieux comprendre la réalité culturelle québécoise ; David Joamanoro et Pius Ngandu Nkashama qui furent les premiers auteurs africains avec qui j’ai dépassé le stade des relations  » professionnelles « . Et bien sûr celui à qui la maison doit sans doute indirectement le plus ; à savoir Sony Labou Tansi qui, sans le vouloir, a orienté notre travail de manière irréversible.
C’est effectivement le premier auteur africain de votre catalogue ; également le premier ouvrage publié en collaboration avec le Festival. Comment ce projet est-il né ?
Lorsqu’en septembre 89, j’ai décidé – dans des circonstances trop longues à évoquer ici – de créer une maison d’édition théâtrale, le projet consistait à imprimer, une ou deux fois l’an, de jeunes dramaturges belges. J’en ai parlé à Limoges. Sony m’a offert de publier la pièce qui était à l’affiche cette année-là. J’ai d’abord décliné l’offre : il n’était pas belge, et je ne voyais pas comment je pouvais lui donner un coup de pouce, lui qui était déjà très connu par ses romans au Seuil. Il a beaucoup insisté de sorte que, quelques semaines plus tard, sortait Qui a mangé Mme d’Avoine Bergotha ? La première entorse aux projets… qui allait me mener à fêter  » 5 ans / 100 titres  » puis  » 8 ans / 200 titres / 35 nationalités au catalogue « . C’est également lui qui m’a – sans ménagement – convaincu que la plupart des auteurs de théâtre attendaient un véritable éditeur, pas un imprimeur.
Vous avez ensuite, presque chaque année, publié plusieurs ouvrages de dramaturges d’Afrique noire et du Maghreb, accueillis en résidence à Limoges, ou créés dans le cadre du Festival. Sans vouloir revenir au cercle vicieux de l’oeuf et de la poule, qui découvre en premier ces auteurs : le Festival ou vous-même ?
Soyons clair : je n’ai pas la prétention de découvrir – seul dans mon coin – des auteurs. Ni de les rendre  » intelligents « . Simplement, en décidant de publier au moins 40 % de pièces sur lesquelles il n’y a aucun projet de création au moment de leur sortie, je prends – c’est vrai – un maximum de risques mais je multiplie aussi mon potentiel de chance d’être parmi les premiers à avoir aidé un nouvel auteur à se faire connaître. En cela, l’édition ressemble quelque peu au poker : on paie pour voir.
Dans le cas du Festival, il est clair qu’au début, la plupart des auteurs africains que je publiais, je les découvrais à travers les choix de Monique Blin avec qui – après quelques années d’apprivoisement mutuel – j’entretiens des rapports francs et constructifs. Je lui dois notamment de m’avoir présenté Kossi Efoui, Koulsy Lamko, Slimane Benaïssa et M’hamed Benguettaf, quatre auteurs qui font aujourd’hui partie des  » piliers  » des éditions Lansman.
Mais depuis les choses n’ont-elles pas sensiblement évolué ?
Bien sûr. Nous siégeons de concert dans certains jurys qui déterminent le choix d’auteurs en résidence ; nous nous retrouvons dans des manifestations théâtrales de Montréal à Dakar en passant par… Bruxelles à la recherche de nouvelles écritures ; nous rencontrons souvent les mêmes auteurs ; nous lisons à peu près les mêmes manuscrits et échangeons régulièrement nos impressions de manière informelle… Cela doit sans doute influencer davantage nos choix respectifs qu’une véritable volonté de convaincre l’autre.
Même si de temps en temps j’essaie bien entendu, là comme ailleurs, de défendre la présence d’auteurs qui me semblent pouvoir apporter un plus au Festival. Dans le même esprit, je tente également d’établir une complicité sur des projets que je trouve porteurs comme, par exemple,  » Une scène pour la démocratie  » dont je pense que la mise en lecture des textes lauréats cadrerait parfaitement avec les objectifs et stratégies du Festival. Mais je n’ai sans doute jusqu’ici, pas été assez persuasif.
Une dernière question. Avez-vous des projets particuliers pour cette 15e édition du festival ?
Il est encore tôt pour préciser notre programme éditorial définitif. Nous sortirons probablement avec Beaumarchais le coffret  » Théâtre Francophone V  » où l’on retrouvera le troisième volume consacré au théâtre de Sony Labou Tansi, trois ouvrages déjà parus de Koulsy Lamko (Comme des flèches), Koffi Kwahulé (Bintou) et M’hamed Benguettaf (Arrêt fixe) et un cinquième titre encore à déterminer. Quelques pièces programmées devraient également sortir pour la circonstance (notamment Fama de Koffi Kwahulé), de même qu’un ouvrage  » clin d’oeil  » marquant le 15e anniversaire,  » concocté  » avec la complicité de l’équipe du Festival et d’un certain nombre d’auteurs.

///Article N° : 436

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