FIA 2001 : Kinshasa, sur les traces de Sony

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A Kin aussi, on se bouscule pour voir du théâtre. Mais les conditions sont autres. Les contenus aussi. Impressions de la 6e édition du Festival international de l’acteur.

Sony Labou Tansi disait que le ciel de Brazzaville était le plus ciel du monde. Et si Kinshasa était la ville la plus ville du monde ? On sent bien qu’elle fut Kin la belle mais aujourd’hui, après une dizaine d’années d’enclavement, d’incertitudes, d’émeutes, de pillages, de guerre, Kin a gonflé en un ventre tendu prêt à éclater. Pour 5,5 millions d’habitants recensés en 1990, on estime que près d’une dizaine de millions s’entassent dans ce refuge à l’abri du conflit. Même si les portables ont résolu, au moins pour une élite, la déliquescence du réseau téléphonique, et si les coupures d’eau ou de courant sont moins fréquentes, se déplacer à Kin tient encore de l’ensardinage dans de rares taxis ou des combis style apocalypse now serpentant entre trous et fossés.
Quoi de plus urbain donc que ce « scandale qui n’est pas drame » (encore Sony), cette ville grouillante, où tout est rythme ? Ici, ont dit que celui qui ne fait pas de bruit est mort : les sonos des innombrables sectes promettent miracles et bonheur facile, celles des maquis crachent les derniers tubes de Wera Son ou de JB, des enfants de Papa Wemba ou de tous ces groupes issus de l’éclatement des Wengué Musica et qui déplacent plus de monde que les politiques. Kin continue de vibrer de ses musiciens, sapés comme des mannequins, et sans cesse inventeurs de nouvelles danses manifestées sur scène par une bonne dizaine de danseurs alignés.
Et c’est justement dans « la Cité », au milieu de la Commune de Bandalungwa, ce ventre où naquirent les Wengué, qu’un espace culturel ouvre son ciel à des théâtreux prêts à dévaster le temps. Impressionnant : malgré une entrée payante (200 francs congolais, un peu moins de 5 FF), c’est plein tous les soirs, avec deux spectacles de théâtre venant de toute la sous-région. Le Festival International de l’Acteur (FIA) tenait ainsi sa 6ème édition en juillet. Ce n’est pas le seul festival de théâtre de la ville, loin de là : un multitude d’initiatives arrivent à percer dans les quartiers populaires, autour de groupes de théâtre réalisant avec des bouts de ficelles une véritable agitation culturelle : les Joucotej (journées congolaises de théâtre pour et par l’enfance et la jeunesse) animées par la célèbre Cie Théâtre des Intrigants, le festival Carré (théâtres en cités) de la Cie Marabout Théâtre, les Rencontres des Conteurs et Griots de la Cie Tam-Tam Théâtre, etc. Ce n’est pas le seul mais c’est le principal : organisé par l’Ecurie Maloba, le FIA accueille à l’espace Mutombo Buitshi (du nom de son fondateur, mort en 1998) des pièces venues « d’en face » (de Brazza et de Pointe Noire) mais aussi du Tchad, du Cameroun, du Bénin etc. Le public est là, fidèle. Rien d’étonnant : l’habitude est prise, car chaque vendredi soir il y a théâtre à l’Ecurie Maloba, animée par Nono Bakwa (cf. entretien dans Africultures 39) et Jean Shaka (cf entretien dans Africultures 38). Et les spectacles tournent car tous les espaces culturels se sont organisés pour que la soirée théâtre soit un jour différent de la semaine, toujours le même.
Ainsi, dans cette ville où tout est difficile, où rien ne fonctionne, où l’enclavement international et le manque d’Etat ont coupé toute manne extérieure, ces théâtreux se débrouillent par leurs propres moyens. Une subvention pour acheter des chaises : on les loue pour les mariages et voilà un financement de trouvé.
Ainsi donc, dans un pays où les aides sont peau de chagrin, le milieu artistique arrive à produire un annuaire complet des troupes et des artistes, un agenda culturel détaillé, et à organiser les festivals qui mobilisent leur population. Vieille qualité kinoise de la débrouillardise dans l’adversité.
Le FIA vibre ainsi à l’unisson de cette ville. La Halle de Gombe, le CCF local, très en phase avec la dynamique artistique, relaye les ateliers et rencontres professionnelles, reprend quelques spectacles. Mais c’est à Bandal, au « jardin » (car tout est en plein air), un lieu qui appartient à la Commune et où le secrétariat du festival côtoie un dispensaire, voire même l’entraînement des bidasses du coin, qu’est le centre du FIA.
Les spectacles qui ont marqué : ceux qui retravaillent par l’humour ou par le drame les horreurs vécues dans les guerres ou la dureté de la vie quotidienne. Ils concourent tous à rendre vivante cette vieille idée que l’art pourrait, comme le disait encore Sony, combler l’espace de la mort et réconcilier l’homme avec lui-même.
Deux jeunes comédiens de Brazza se détachent : Criss et Dieudonné Niangouna, deux frères qui forment la Cie Les Bruits de la rue. Le texte est de leur cru, et cru à souhait, déjanté même. Ces deux clochards ne cesseront de s’invectiver, d’échanger jeux de mots, calembours, connivences et insultes. Surtout, ils pourchassent à coups de paradoxes les traces de la guerre qui les hante encore. « Regarde autour de toi : tu traces un espace blanc, OK, joue avec le blanc ». « Carré Blanc » sera donc l’espace du paradoxe établi comme style. C’est enlevé, rythmé, inventif, étonnant, subtil et drôle.
Du Congo-Brazza aussi, un jeune comédien s’affirme sur un texte de Sony Labou Tansi, « Le point-virgule » : Jean-Felhit Kimbirima (Cie Deso). Utilisant un masque tantôt autre et tantôt soi, l’acteur évolue seul en jouant plusieurs rôles. Il incarne un homme partagé, torturé, insatisfait, un homme victime de sa propre condition et qui cherche les échappatoires. Les prostituées ou le meurtre ne seront pas une solution car il est trop vivant pour s’en contenter : « Je bande de l’intérieur, je bande du cœur ». Or le cœur est méchant, il ne marchande pas : le problème est au fond de soi, dans sa capacité à se remettre en cause.
Car ce théâtre désenchanté prend l’humain comme cible, tente de comprendre ses dérives, de chercher les voies d’un deuil, d’un avenir possible. Eric Mampouya, Congolais de Brazza exilé au Bénin, a repris « La femme et le colonel« , un texte fort d’Emmanuel Dongala, pour retravailler la tension intense de la victime qui reconnaît son bourreau. Florisse Adjanohoun retransmet avec une grande intériorité son désarroi. Le texte est poignant et troublant, explorant tour à tour l’envie de vengeance et la redécouverte de l’humain.
Les pièces issues de RDC reprennent ce souci d’un retravail du quotidien. Immergé dans les drames de l’Afrique centrale, on comprend que ce théâtre se soit longtemps fait dénonciation des corruptions et de la mauvaise gouvernance. Il évolue aujourd’hui vers davantage d’humour, comme les dernières productions de l’Ecurie Maloba. « Les dernières nouvelles ne sont pas bonnes« , mis en scène par Nono Bakwa, explore l’impasse d’un homme confronté aux duretés de l’heure avec quelques pointes d’humour, mais c’est carrément le burlesque que choisit Astrid Mamina dans sa mise en scène de « Je plaide coupable« , une adaptation heureusement actualisée par Nono Bakwa d’un texte plutôt sentencieux de Mutombo Buitshi : de truculentes chroniques des corruptions quotidiennes d’un policier, d’un procureur, d’un ambassadeur etc.
C’est souvent le mono-théâtre qui rend possible le théâtre, comme la performance déjà admirée au Masa d’Abidjan de l’acteur Guy Stan Matingou (Congo-Brazza) qui, par la magie du corps fait admirablement vivre sans pratiquement changer de place « La Cérémonie« , encore un texte de Dongala sur une mise en scène de Nicolas Bissi (cf son interview dans Africultures 38). En l’absence de salle après la guerre, il fallait se contenter d’un petit espace pour pouvoir répéter et jouer ! C’est aussi ce qui engage le Tchadien Hassane Keïro le Kaïnkoula à interpréter seul une pièce qui se joue à 10 ! « Moussa Begoto ou le drame d’un fonctionnaire » ne trouve vraiment son souffle que lorsqu’il fait participer le public, lequel ne demande que ça. Car voilà la force de ce théâtre de pauvres : être au plus près de son public. C’est l’immense qualité de toutes les troupes présentes à Kin, et ce public le lui rend bien. Un festival en terre africaine devient alors avant, pendant et après le spectacle une véritable expérience de la relation.

///Article N° : 1909

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Les images de l'article
Carré blanc © Olivier Barlet





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