FIFOG 2021 : des courts métrages face à la rudesse du monde

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Le 16ème Festival International du Film Oriental de Genève (FIFOG) a lieu du 21 au 27 juin 2021 dans le canton de Genève et ses communes (Suisse). Parmi la quarantaine de films, exploration de l’excellente compétition des courts métrages.

Force est de constater que les courts orientaux sont sombres, dans l’air du temps. Même lorsqu’ils convoquent l’humour, ils sont un « tragique vu de dos », comme disait Genette. Certains le font pourtant rudement bien, à commencer par Omé, du Libanais Wassim Geagea (2019, 17′). « Un homme ne pleure pas ». Le jeune Elias vient pourtant de perdre sa mère. Il demande à Jésus de la lui ramener, et comme ça ne marche pas, organise un échange pour mettre la pression ! La disparition de la statue de la vierge met le village en émoi, les musulmans sont accusés, voire molestés… Très réussi, le film porte l’épitaphe : « pour tous nos péchés » !

Bien sûr, avec un enfant aussi mignon et naïf, ça marche à tous les coups. C’est aussi le cas pour Ward, 7 ans, qui déclenche un esclandre dans Ward et la fête du henné, de l’Egyptien Morad Mostafa (2020, 23′), où sa mère Halima, une Soudanaise qui fait des tatouages au henné, l’emmène dans le quartier de Gizeh, proche des pyramides, pour préparer une jeune mariée. Tandis que les femmes dansent ensemble et qu’Halima réalise les hennés, un homme vient la presser, ouvertement raciste et méprisant. Ward va intervenir à sa façon et tout va se cristalliser jusqu’à un excellent final parfaitement inattendu. Très réussi, le film marque par la perception qu’il offre des coutumes et croyances autant que des libertés prises par les femmes.

Et que dire de Hedi, 5 ans, qui se retrouve seul avec son père dans Le Bain, de la Tunisienne Anissa Daoud (2020, 15′) ? Ici, ce sont les abus sexuels le sujet mais la finesse d’Anissa Daoud est de ne les évoquer que dans le traumatisme du père qui les a subis (cf. critique n°15056). Ce qui était comédie devient grave jusqu’à une fin elle aussi toute en subtilité.

Quant au Marocain Saïd Hamich Benlarbi, par ailleurs auteur du magnifique Retour à Bollène (cf. critique n°14432), c’est sa propre enfance qu’il évoque dans Le Départ (2020, 25′). Le jeune Adil, 11 ans, vit au Maroc avec sa mère. Arrivent en vacances son frère et son père qui vivent en France, lequel voudrait ramener aussi Adil. Mais celui-ci resterait plus volontiers avec ses copains, avec qui il se passionne pour les performances aux Jeux Olympiques de 2004 du champion du monde marocain de course de fond Hicham El Guerrouj. Le film orchestre ainsi deux tensions : la douloureuse séparation de la mère et de l’enfant mais aussi l’exil vers l’inconnu. Sensible et sans pathos, il permet de sentir avec subtilité le trouble d’Adil, ce moment de construction d’une identité en devenir.

On comprend que mettre en scène un enfant n’est pas seulement vendeur : c’est capter ce moment décisif de la vie dans sa complexité tout en conservant la simplicité et les limites de son appréhension par un enfant, c’est-à-dire poser sa dimension historique pour la vie d’un être sans en faire une affaire. Là est sans doute un enjeu du court métrage : construire le recul qui ouvre à davantage que ce que l’écran nous montre, une question qui taraude plus d’un spectateur et que le film aidera à préciser, faisant naître ainsi son émotion.

 

Face à la violence

La violence rattrape ceux qui veulent y échapper. Comment garder son humanité ? se demandent deux films remarquables. Dans Bruxelles-Beyrouth, du Belge Thibault Wolhfahrt et du journaliste et romancier libanais Samir Youssef (2019, 30′), Ziad qui s’est installé en Europe depuis plusieurs années rend visite à sa famille au Nord-Liban, à la frontière syrienne. Mais le village affronte les militants djihadistes : la tension est à son comble alors que Ziad est simplement venu annoncer la future naissance de sa fille à sa mère et son jeune frère. Son décalage est exprimé par des plans où le village est vu en film négatif, comme abandonné à son sort. Les amis d’enfance de Ziad ont pris les armes, comme son frère Rami. Alors que les choses se cristallisent, Ziad perçoit qu’il n’est plus d’ici sans être vraiment d’ailleurs.

Quant à la vieille Asho, elle est la dernière à partir pour fuir les bombardements. Dans The Last Bleat, de la Syrienne Yara Khalil (2020, 12′), elle va prendre le dernier bus mais voudrait emmener son compagnon, le bélier Sahab. Dans la nervosité ambiante, ça ne passe pas bien !

 

Destins de femmes

Le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont piégées ! C’est d’ailleurs le titre d’un court métrage qui avait été présenté à la Semaine de la critique à Cannes en 2019. Le Piège (The Trap), de l’Egyptienne Nadal Riyadh (2019, 23′) réunit un jeune couple non marié qui trouve dans un logement délabré dans une station balnéaire un refuge pour se voir loin des regards indiscrets. Mais voilà que la femme veut mettre un terme à leur relation, sans trop savoir comment le dire… Les rats qui infestent le lieu et la saleté ambiante soulignent le poids des interdits, les relents du patriarcat et la difficulté à communiquer. Tableau bien sombre, le film aligne les contradictions de chacun pour suggérer que rien n’est simple.

Parce qu’elle aime Adam, elle est enfermée depuis deux mois à la maison, sans le droit de sortir. Je crains d’oublier ton visage de l’Egyptien Sameh Alaa (2020, 15′), palme d’or du court métrage au festival de Cannes 2020, est un drame épuré et sensible où le focus se déplace sur le jeune Adam lorsqu’il invente un stratagème (que nous ne dévoilerons pas) pour aller la voir et ne pas oublier son visage. La force du film est dans le mouvement d’Adam, son positionnement corporel, sa progression à la fois résolue et désespérée vers celle qu’il aime, dans une quête proche du road movie, jusqu’à ce qu’il intègre le sens de son geste et puisse enfin tomber le masque, venant de vivre l’enfermement imposé à sa bien-aimée. Le format en 4/3 (16 mm) renforce le risque qu’il prend dans son parcours, de même que l’ambiance sonore très travaillée qui semble forger l’image plutôt que le contraire. Cela renforce le jeu des regards : Adam doit se faire invisible et silencieux pour aller voir celle que l’on cache à ses yeux. Ce n’est qu’ainsi qu’il peut transgresser les normes tant sociales et familiales que religieuses que le film fait apparaître sans jamais les dénoncer frontalement. Du grand art !

Dans The Black Veil, de la Qatari A.J. Al-Thani (2020, 17′), Reem, une jeune femme irakienne, s’échappe de chez elle au milieu de la nuit. Elle vit à Mossoul après avoir été forcée d’épouser un soldat de l’Etat islamique. Ahmed, un chauffeur de taxi, l’aide à fuir pour retrouver sa famille, mais tous deux mettent leur vie en danger et rien ne se passe comme prévu. La montée en tension, renforcée par un traitement énigmatique basé sur des objets, est à la mesure des risques qu’ils prennent, rappelant la dure réalité.

Un homme gifle violemment une femme. C’est ainsi que commence Yocheved, de l’Iranienne Sahar Khoshcheshman (2020, 16′). Il s’agit en fait d’arnaquer un patron et d’obtenir au tribunal une indemnisation. Car il faut de l’argent pour payer les passeurs et quitter l’Iran pour les Etats-Unis. C’est rude. Mais ce qui l’est plus encore, c’est que l’argent ne suffira pas pour les deux. La femme trinque, l’homme profite… Ne lui reste plus que ses atouts. C’est encore plus rude. Le film est aussi glaçant que son histoire, mais parfaitement cohérent.

Yocheved trailer from Kaaffilm on Vimeo.

Quant à la jeune femme qui ne peut accéder à un bâtiment administratif à cause de son hijab non réglementaire dans Nahan (Inner Self), de l’Iranien Mohammad Hormozi (2021, 14′), elle devra poireauter dans la salle d’attente en espérant attendrir la sbire qui contrôle les entrées. Violoniste, la situation lui inspire une mélodie et voilà que la situation se retourne. On croit rêver. Ce que les hommes projettent sur les femmes…

Dans Le Chant du péché, du Marocain Khalid Maadour (2020, 14′), ce sont des musiciens poètes qui sont mis au ban de la société. L’art traditionnel des Imediazens, tribu du rif située dans le Nord-Est marocain, avait fondé l’amour de Sufunis et Youba : elle chantait de sa voix d’or et dansait tandis qu’il jouait du tambourin à merveille. Mais voilà qu’aujourd’hui, la femme est rejetée lorsqu’elle s’aventure à s’exposer. Oseront-ils résister et défendre ainsi leur culture ? Ces hauts plateaux balayés par les vents marins offrent un décor ample et aride à ce dilemme.

Ce qui frappe au final est la différence entre réalisateurs hommes et femmes pour aborder ces questions. Les femmes ne tournent pas autour de la question de la violence. Leurs films sont durs, à l’image du réel. Rien d’un conte de fée ! Les femmes y sont piégées, exploitées, châtiées. Il n’y a pas de miracle. Alors que les hommes s’arrangent toujours pour trouver une fin heureuse au scénario. Tiens donc !

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