Fiche Film
Cinéma/TV
COURT Métrage | 1990
Fragile [dir: M. Fatmi]
Pays concerné : Maroc
Durée : 7 minutes
Type : essai

Français

On peut penser qu’une œuvre telle que « Fragile » diffère et ne diffère pas de l’ensemble des recherches formelles menées par Mounir Fatmi, artiste qui ne manque jamais de confronter toute donnée sociale et politique du monde en général et du Maroc en particulier. Pourtant « Fragile » nous place au cœur d’une totale décontextualisation, hors de tout monde possible, sans que ceci nous éloigne un seul instant de l’humain et de ses grandes interrogations existentielles.
Avec maîtrise accomplie, l’artiste agit de sorte que nous n’ayons nulle appréhension visuelle exhaustive de scènes en noir et blanc dépouillées, quasi « autistes » que marque un puissant coefficient d’abstraction. Tension électrique et anxieuse aussi, proche de l’asphyxie, entretenant le spectateur en une expectative qui tour à tour l’approche et l’éloigne – tel le mouvement d’un inquiétant métronome – de l’insolite vers le familier et vice versa.
L’ « Objet » nodal de ce film (qui, au-delà d’une identité propre au champ de l’art mérite amplement de s’inscrire dans la filiation d’une cinématographie purement expérimentale), esquisse entre deux personnages un enjeu lourd de sens et opaque. Cet « Objet » tangible qui, d’entrée, occupe comme le centre absent de l’œuvre, n’est autre qu’une horloge fixée à un arbre, marquant peut-être l’Heure de la vie, et dont la corrélation avec un jardin en bataille semble obscure mais non gratuite.
Que vise cette scène maximalisée par ces macro lenteurs et cette insolite densité intérieure ? Un questionnement qui, en vérité, n’est pas étranger aux données sociales, politiques auxquelles je faisais référence, car il ne s’agit de rien moins ici que d’une communication entre humains – et au surplus, d’une communication blessée.
Au fond, n’est-ce pas ainsi que nous la connaissons ? A travers codes et rituels convenus, masquant à notre insu nos interactions psychologiques et sociales ? Un authentique échange est aujourd’hui devenu si rare – parallèlement à un climat de surchauffe et d’affolement médiatique – que lorsqu’il nous arrive de le capter, de le vivre, celui-ci semble relever de l’épiphanie.
Mais l’artiste plonge plus loin encore en cette réflexion, en la « décharnant » pour ainsi dire, à travers une dure et poétique algèbre qui nous met en présence d’un « impossible échange », échange rêvé, paroxystique, pour le meilleur comme pour le pire, (d’où, aussi, le caractère onirique de ses figures syncopées).
Il est rare d’accéder à cette « visibilité »de l’indicible, à cette figuration sensorielle d’une telle impasse de la relation. De même, est-il peu fréquent d’en percevoir, en filigrane, l’issue possible. Celle-ci nous est suggérée par l’artiste à travers sa seule confrontation lucide. Ca et là, de vibratiles arbustes, un chaos aux bruitages lointains, une Nature alentour dense et noire, de ternes échappées de ciel hérissé d’antennes feront ainsi de cet insituable verger, le cœur même d’une perception raréfiée où l’ « horloge », reliée à sa corde comme un pendu, paraît aussi incongrue que centrale. Or le frisson de cet austère îlot sonore réfère surtout à une secrète Structure du Monde. Structure sémiotique éminemment nue et contrastée, et à ce titre, sans nulle concession possible.
Michèle Cohen Hadria Juin 2003

Un film de Mounir FATMI

1990 – Maroc – 7 min, Fiction

Réalisateur : Mounir Fatmi

English

Fragile [dir: M. Fatmi]
One may think that a work such as « Fragile » both differs and does not differ from all the formal researches undertaken by Mounir Fatmi, an artist who never fails to confront any social and political fact of the world i n general and of Morocco in particular. However, « Fragile » places us in the heart of a total decontex-tualization, outside of any possible world, and nevertheless it does not in the least take us away from humanity and its great existential interrogations. With an accomplished command of his art, the artist acts in such a way that we do not have the slightest exhaustive visual apprehension of bald black and white scenes, virtually « autistic » scenes which are characterized by a powerful coefficient of abstraction. There is also an electric and anxious tension, close to asphyxiation, which keeps the spectator in a state of expectancy which, in turn, draws him close to or takes him away from what is unusual towards what is familiar and vice versa, like the movement of a frightening metronome.The nodal « Object » of this film (which, beyond its specificity as a work of art, amply deserves to be characterized as a work belonging to purely experimental cinematography), outlines both meaningful and opaque stakes between two individuals.

An excerpt from the text « fragile » by Michele Cohen Hadria.
Partager :