Flic ou Caillera

Polar de banlieue sur fonds de réalisme social

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> »Le 93 a son roman le plus noir : flic ou caillera ». Les affiches placardées, par Rachid Santaki lui-même, sur tous les murs de banlieue, annoncent la couleur du troisième polar de cet enfant de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Sorti le 6 mars 2013, Flic ou Caillera, nous embarque à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) pour une intrigue sombre et rocambolesque.

Octobre 2005, alors que des violences urbaines secouent les banlieues françaises après la mort de deux adolescents, Mehdi Bassi, la vingtaine, vit seul avec sa mère, « Mama ». Grapheurs à ses heures perdues, il trie le courrier pour l’Agence du médicament et tente grâce à son petit salaire de venir à bout des retards de loyers. Orphelin de père depuis son adolescence, ses deux frères ont quitté le domicile familial, l’un pour la maison d’arrêt de Villepinte, l’autre a déserté pour Paris.

Mehdi, s’il côtoie le crime au quotidien – son meilleur ami Julien est un pro du braquage sur l’autoroute – a toujours été un gamin sans histoire. Pourtant, au fil du roman, il se retrouvera sans cesse mêlé à des affaires qui le dépassent. Manipulé tour à tour par une jeune policière de mèche avec un avocat du milieu, et par les Bensama, les caïds de la cité, Mehdi semble être le spectateur de sa propre vie.

Comme dans ses précédents romans Des chiffres et des litres ou encore Les Anges s’habillent en Caillera, Rachid Santaki a installé l’intrigue de son dernier opus à Saint-Denis. Les Dionysiens y reconnaîtront leur ville, les autres en découvriront les lieux emblématiques au fil des courses-poursuites : la basilique, la place du 8 mai 1945, le 129, célèbre sandwicherie. La ville devient un personnage à part entière du roman, témoignant ainsi de l’attachement que l’auteur porte à « son Saint-Denis ». Mais « Saint-Denis, c’est beau et c’est moche » et nombreux sont les personnages tiraillés entre partir et rester.

Le livre est empreint de réalisme social par les lieux qui y sont dépeints et par les réalités historiques qui y sont évoquées : les cicatrices du 17 octobre 1961, la mort de Zyed et Bouna après une course-poursuite avec la police en 2005, les mots de Nicolas Sarkozy qui voulait « nettoyer » les cités au « Karcher », etc. Les personnages s’expriment dans un langage parlé, le « langage des banlieues ». Langage qui s’inscrit dans la continuité du français dit populaire des classes ouvrières. L’arabe dialectal, des langues d’Afrique centrale et de l’Ouest, l’espagnol ou encore le portugais en plus selon les situations, les villes, les quartiers (cf. [notre article sur le langage des banlieues n°11165])
Les protagonistes de Rachid Santaki mélangent ainsi le verlan, les mots d’arabe et d’argot, au point que l’auteur a pris soin de mettre un glossaire pour les profanes du « wesh ». Ce lexique permet de mettre en valeur la diversité des origines et la richesse d’un langage, souvent l’objet de préjugés négatifs et en bonne partie étrangers à Monsieur et Madame tout le monde. Ce style presque slamé donne du rythme à la narration, mais dépourvu de poésie, au bout de plusieurs centaines de pages, le phrasé perd de son effet, au risque d’essouffler le lecteur.

Dans Flic ou Caillera, référence au titre du film de Georges Lautner, Flic ou voyou, la police flirte avec le crime pour les mêmes raisons que les bandits : l’appât du gain. Les trajectoires et la vie de chacun permettent de comprendre leurs choix. Seul le caïd de la famille Bensama semble inexcusable. Les notions de bien et de mal sont sans cesse redéfinies et les mêmes personnages nous seront tour à tour sympathiques et antipathiques. En somme, Rachid Santaki parvient à décrire des personnages profondément humains

Santaki ne s’inspire pas uniquement du cinéma pour élaborer les titres de ses livres. À la manière de Tarantino, la bande-son du livre se veut intra diégétique et accompagne les personnages dans leurs actions. Lorsque Mehdi perd sa mère, il se laisse ainsi porter par la voix du rappeur américain 2pac : « Dear mama, / Place no one above ya, sweet lady / You are appreciated / Don’t cha know we love ya? ». (http://www.youtube.com/watch?v=Mb1ZvUDvLDY) De Fifty Cent à Claude François, Rachid Santaky ne s’interdit rien.

Au terme des 260 pages de ce dernier roman, le lecteur ne comptera plus le nombre de tués par balles, de côtes cassées, de visages ensanglantés et de vies brisées. Du petit fumeur de shit aux trafiquants de stupéfiants en tout genre, les fumeurs de crack, sans oublier les flics ripoux, tout y passe et les âmes sensibles vont probablement devoir s’accrocher. Là où Rachid Santaki aura réussi à construire des personnages nuancés et complexes, les péripéties sont pour le moins caricaturales, au point qu’elles ne peuvent être confondues avec une quelconque réalité et, bien que se déroulant sur fonds de réalisme social, sont finalement regardées pour ce qu’elles sont : des exagérations.

///Article N° : 11475

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Les images de l'article
© Camille Millerand
Rachid Santaki © Camille Millerand





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