La Coupe du monde approche, un événement planétaire unique dans la carrière d’un footballeur. 32 pays et 736 joueurs disputeront l’édition 2014. Pour chaque sélection nationale et pour chaque footballeur, il est très difficile de se qualifier pour y participer. Une des stratégies parfois décriée mais qui s’est développée ces quinze dernières années est la naturalisation sportive. La pratique est devenue courante en Afrique où on rapatrie les jeunes de la diaspora : les « oriundi africains ».
Étaient désignés Oriundi les Argentins, et notamment les footballeurs et rugbymans qui, grâce à leur filiation italienne plus ou moins lointaine, rejoignaient la sélection nationale italienne. Ainsi en 1934, l’Italie de Mussolini remporte la Coupe du monde qu’elle organise avec en son sein trois ex-internationaux argentins : Luis Monti, Enrique Guaita, Raimundo Orsi. Monti réalise ainsi la performance de disputer deux finales de Mondial consécutives avec deux sélections différentes : l’une italienne, et l’autre argentine. Dans les années 1950, l’Espagne franquiste fait, elle, appel aux naturalisations de joueurs argentins, uruguayens et même hongrois. C’est ainsi que la Roja va compter dans ses rangs Alfredo Di Stéfano (qui avaient joué avec l’Argentine et la Colombie) et Laszlo Kubala (Tchécoslovaquie et Hongrie). À la même époque, la France profite grandement de son Empire colonial pour recruter des joueurs dans ses territoires africains. C’est ainsi que des footballeurs tels que le Sénégalais Raoul Diagne (1931-1940), le Marocain Larbi Ben Barek (1938-1954) ou l’Algérien Rachid Mekhloufi (1956-1957) ont défendu la bannière tricolore.
En 1962, en pleine période de décolonisation, la Fédération internationale de football (FIFA) interdit les naturalisations sportives avant de les autoriser en 1964 sous condition qu’un des parents du joueur soit né dans le pays de la naturalisation sportive. Dans son ouvrage Traîtres à la nation, le sociologue Stéphane Beaud revient sur un cas précis : celui de Basile Boli. Ce défenseur ivoirien a été recruté par l’AJ Auxerre de Guy Roux à 15 ans. Guy Roux va convaincre le jeune Basile de demander la nationalité française pour contourner le règlement de l’époque qui n’autorise que trois étrangers par club. En 1983, le père Boli récupère la nationalité française perdue à l’indépendance de la Côte d’Ivoire et ses deux fils Basile et Roger peuvent prétendre désormais au maillot bleu. « Les journaux [ivoiriens]titrent comme un deuil national « Boli ne jouera jamais avec les Éléphants » [
] « Adolescents, je suis un traître estampillé
Mes séjours africains tournent au calvaire » raconte le plus célèbre des défenseurs de l’Olympique de Marseille.
C’est ainsi que l’équipe de France, jouissant de sa supériorité sportive a presque toujours eu la faveur des binationaux. Les choses évoluent au début des années 2000, principalement à l’initiative des fédérations africaines. Les Bleus de Zidane, Thuram, Henry et Barthez sont sur le toit du monde et la France, reconnue pour la qualité de ses centres de formation, bénéficie d’un grand réservoir de joueurs de bon niveau. De nombreux footballeurs de qualité ne pourront espérer plus qu’une poignée de sélections. De l’autre côté de la Méditerranée en revanche, on propose aux joueurs une « seconde chance » de vivre une carrière internationale. L’histoire de Fousseni Diawara illustre bien cette situation. Le défenseur du Tours FC, club de deuxième division, aujourd’hui 33 ans, revient sur son expérience avec les Aigles du Mali. « Je suis né dans le 18e arrondissement de Paris, avant d’emménager à Épinay-sur-Seine en Seine-Saint-Denis. Fin 2001, je jouais à l’AS Saint-Étienne (le club évoluait en deuxième division NDLR) et le Mali s’apprêtait à accueillir la CAN (Coupe d’Afrique des Nations NDLR) en 2002. La fédération malienne avait des personnes chargées de repérer des joueurs maliens en France et dans le monde Ils m’ont convoqué pour rejoindre l’équipe nationale. À l’époque en équipe de France il y avait Thuram et compagnie
J’ai vu la CAN comme une opportunité. » Fousseni Diawara a pu évoluer avec le Mali parce qu’il n’avait eu aucune sélection ni en équipe de France A, ni en Espoirs.
Les sélections espoirs ont longtemps été un moyen de « verrouiller » la nationalité sportive des footballeurs. La solution va venir de la fédération algérienne de football qui va faire du lobbying au sein de la FIFA pour modifier le règlement. La première victoire est obtenue en 2003 avec un décret stipulant que tous les joueurs peuvent changer de sélection nationale tant qu’ils n’ont pas encore joué en équipe A mais doivent faire leur choix avant d’avoir 21 ans. Le décret est rétroactif et une première série de joueurs va rejoindre leur pays d’origine ou celui de leurs parents pour disputer la CAN 2004 au Maroc. Parmi eux, Frédéric Kanouté, alors attaquant des Tottenham Hotspurs en Angleterre. Kanouté est né en 1977 à Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône-Alpes), la même année que Thierry Henry et David Trézeguet. Joueur prometteur formé à l’Olympique lyonnais, il n’a jamais pu franchir le cap d’une sélection en équipe de France A malgré une participation au championnat d’Europe Espoirs à 21 ans. En rejoignant la sélection malienne, « Freddy » va prendre une nouvelle dimension. Sacré meilleur buteur de la CAN 2004, Kanouté devient une icône au Mali qui termine demi-finaliste de la compétition. Après 23 buts en 39 apparitions, il est aujourd’hui le recordman de buts avec les Aigles du Mali et est rentré définitivement dans le panthéon du football malien.
La success-story de Kanouté a encouragé bien entendu d’autres pays africains à aller dénicher des « stars » en France. L’Algérie est certainement la nation la plus agressive à ce jeu. Le vivier de footballeurs professionnels franco-algériens est très important et prometteur. L’Algérie espère pouvoir « chiper » le futur Zidane à la France et va tenter de convaincre des pépites telles que Karim Benzema ou Samir Nasri. En 2009, la FIFA change une nouvelle fois la loi. Désormais, il n’y a plus aucune limite d’âge pour changer de nationalité sportive à condition de ne pas avoir disputé de rencontre officielle avec une équipe nationale A. La FIFA cède ainsi aux désirs des fédérations africaines au grand désarroi des Européens. Ce revirement de situation tombe au plus mauvais moment pour les Français : la génération Zidane est à la retraite et la relève est difficile. De plus, le développement d’un discours de plus en plus stigmatisant envers l’immigration, l’islam et les jeunes de cités instaure un climat nauséabond autour de l’équipe de France, cristallisé par les événements de Knysna. L’affaire des quotas quelques mois plus tard va empirer la situation, créant un véritable malaise. Il est intéressant de se pencher sur le cas de Younès Belhanda, milieu de terrain du Dynamo Kiev, sacré meilleur espoir du championnat de France en 2012. En mai 2010, il dispute le célèbre et prestigieux Festival international de Toulon avec les Espoirs français mais six mois plus tard il rejoint l’équipe nationale du Maroc. Voici ce qu’il dit dans les colonnes du Midi Libre daté du 5 mai 2011 : « Au départ, entre la France et le Maroc, c’était du 50-50. Mais quand j’ai vu les réactions après le fiasco du Mondial, je me suis dit : « Heureusement qu’il n’y avait pas de Maghrébins dans cette équipe de France ». [..] Avec la France, je suis passé au travers de toutes les sélections chez les jeunes. Quant aux Espoirs, malgré une première saison en L1, je n’ai été appelé que pour jouer le tournoi de Toulon, avec l’équipe bis. Et puis, j’ai regardé la sélection pour le Mondial. Il n’y avait pas Nasri ni Ben Arfa ni Benzema. Du coup, je n’ai regardé aucun match des Bleus. J’étais dégoûté. »
La lutte entre la FFF et les fédérations africaines est de plus en plus âpre et c’est de là qu’est née la polémique des quotas. Dans le verbatim de la conversation relayée par Médiapart, il est question « d’aider les jeunes à se déterminer » et c’est ce problème qui est renversé dans tous les sens et qui va aboutir à l’idée d’instaurer un quota de joueurs binationaux dans les sélections de l’INF Clairefontaine. Fousseyni Cissé est né en 1989 à Paris et a grandi dans 19e arrondissement. Aujourd’hui attaquant du FC Sion en Suisse, il a connu les sélections de jeunes sénégalaises et françaises. Il témoigne : « J’ai connu ma première sélection internationale avec les moins de 20 ans du Sénégal. Je venais de faire mes premières apparitions avec Le Mans en Ligue 1. Quelques performances ont permis de me faire connaître. À ce moment-là tout était clair : je jouerai pour le Sénégal. Après quelques sélections en Espoirs, j’ai eu une période où le sélectionneur ne m’appelait plus et je n’allais donc pas être retenu pour disputer les Jeux de la Francophonie. Vu que je continuais à être bon, l’équipe de France m’a proposé de disputer la compétition avec les Bleuets. À la fin du tournoi la fédération sénégalaise m’a contacté, ils m’ont dit qu’ils avaient des projets pour moi et qu’ils voulaient que je joue avec l’équipe A. De l’autre côté en France on me demandait d’être patient, que tout pouvait aller très vite. Ma priorité étant de franchir les paliers un à un, j’espérais jouer avec l’Équipe de France Espoirs. En Afrique on a trop tendance à faire monter rapidement les jeunes en équipe A et on néglige la formation. » On voit à travers cet exemple la juxtaposition entre les stratégies des joueurs et celles des fédérations qui donnent lieu à des choix complexes pour des jeunes dont l’avenir peut basculer en six mois. Un exemple plus récent dans l’actualité est celui de M’Baye Niang, 19 ans joueur du Milan AC exclu pour deux ans de toute sélection française pour une virée en boite de nuit pendant un stage en Espoirs. Le Sénégal en a profité pour le convoquer en A. Après quelques hésitations, l’attaquant s’est finalement rétracté et a reporté sa décision.
La polémique sur les quotas est passée mais le problème reste entier pour la fédération française de football. « Peut-être par arrogance, les dirigeants du football français n’avaient pas vu venir un tel phénomène, persuadés que les meilleurs choisiraient toujours la France » explique Stéphane Beaud. Un phénomène qui est amené à prendre plus d’ampleur dans les années à venir compte tenu de la composition sociologique des joueurs de football. « C’est un retour des choses assez amusant vu que la France a profité de nos compatriotes partis travailler dans les usines et les chantiers dans les années 1950, 1960 et 1970 », ironisait Rabah Saâdane, sélectionneur de l’équipe algérienne de 2010. Nourrie par des discours identitaires ou de revanche sociale et historique la problématique des « oriundi africains »n’a pas fini d’alimenter les polémiques.
Traîtres à la nation ?Un autre regard sur la grève des Bleus en Afrique du Sud, Philippe GUIMARD, Stéphane BEAUD, La Découverte, mars 2011///Article N° : 12087