Genèse du monde et de l’écriture chez Aimé Césaire et Edouard Glissant de Michel Moukouri Edeme, Yaoundé, CLE, 2004, 462 pages.

Notes de lecture

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L’approche originale d’une sociologie goldmannienne de la littérature s’appuyant sur les techniques de sémiotiques mises au point par Argildas Julien Greimas dans les années soixante manquait au panthéon de la critique des lettres négro-africaines. Avec cet ouvrage, Michel Moukouri Edeme vient combler cette absence…Au passage, l’auteur met en évidence une homologie structurale entre les représentations esthétiques des grands écrivains antillais dont il décortique maintes œuvres et la plupart des représentations sociales des élites intellectuelles négro-africaines de la période dite de la négritude. Cette homologie structurale prend tout son sens dans les débats organisés par la société africaine de culture en 1955 autour du désir des intellectuels noirs francophones de voir émerger une entité communautaire extra-étatique à laquelle ne manqueraient pas les attributs d’une « nation » nègre : la fraternité entre différentes composantes de la diaspora noire, née au début des années trente, pousse alors bon nombre de penseurs à tenter de cerner le barème de leur communauté. Outre le fait qu’il dévoile le passage des générosités emphatiques de Cahier d’un retour au pays natal à la contestation de ce droit de représentation de L’intention poétique par Glissant, l’essai de Michel Moukouri Edeme postule que les points de vue de Césaire et de Glissant se rejoignent. Ainsi en attestent ces propos acerbes attribués en 1962 à Henri Christophe : trop souvent, on voit se reconstituer au sein des sociétés qui constituent des nations libérées du joug colonial, de véritables structures coloniales ou colonialistes. Là se trouve certainement la fore et l’actualité de cette Genèse du monde et de l’écriture qui dévoile l’un des drames les plus redoutables des jeunes Etats dans le monde actuel : le dualisme et le divorce irrémédiables entre peuples et élites intellectuelles ou politiques.
Né le 12 juillet 1951 à Douala, Michel Moukouri Edeme est titulaire d’un doctorat en sociologie de la littérature sur des écrivains noirs antillais obtenu à l’université de Neuchâtel (Suisse) en 1985. En même temps qu’il sert l’enseignement privé protestant à de hautes fonctions, l’auteur se passionne de recherches en didactique et en méthodes de pédagogies participatives et alternatives.
Marcellin Vounda Etoa, directeur de publication de Patrimoine coordonne et livre un travail de lecture et d’analyse de la littérature camerounaise depuis plus de quarante ans. L’ouvrage, qui rassemble vingt trois contributions d’auteurs différents dans des domaines variés de la critique littéraire, s’intitule La littérature camerounaise depuis l’époque coloniale. Figures, esthétiques et thématiques, Presses Universitaires de Yaoundé, 2004, 275 pages.
La question de savoir ce qu’est, ou ce que pouvait être la littérature africaine s’est posée avec la lutte des Africains pour leur reconnaissance culturelle et artistique, prélude à l’accession de leur pays à la souveraineté politique. L’histoire littéraire d’Afrique instruit à suffisance sur les péripéties de cette odyssée, dont le navire a vogué sur les eaux de plusieurs continents, dans l’espoir de rassembler les ténors de la diaspora noire. En 1963 déjà, J. Jahn s’en préoccupait dans présence Africaine : « ni la langue, ni le sujet, ni la conception, ni le lieu de naissance de l’auteur ne permettent de déterminer avec certitude quelle œuvre il convient de classer dans la littérature française et quelle œuvre dans la littérature Carthaginoise ».
L’évacuation des critères linguistique, thématique et géographique pose ainsi la problématique de l’africanité de la littérature africaine. Cette problématique vaut par transposition pour le Cameroun et se résume en une question : qu’est ce qui fait la camerounité de la littérature produite par des Camerounais ? Littérature camerounaise ou littérature au Cameroun ? La question n’est pas mineure, car elle oblige à une incursion dans l’épistémologie de la littérature, qui seule permettrait de savoir si la littérature est une valeur humaine, au-dessus des frontières linguistique, géographique et biologique, ou si elle est une donnée définissable par une nationalité, une langue ou une géographie.
Dati Sabze, Les caillots de vie, Presses Universitaires de Yaoundé, 2001, 161 pages.
Les Caillots de vie ont été longtemps annoncés.
Longtemps attendus aussi. Les Ecarlates parus en 1992 étaient devenus une référence un peu trop unique, un peu trop lointaine. Et du premier au deuxième recueil de poèmes, on est passé de Marie Claire Dati à Dati Sabze. Simple fantaisie d’artiste ? Non, semble-t-il, car par le rameau SABZE et la disparition du prénom Marie Claire, notre poétesse a voulu faire peau neuve et renouer avec sa jeunesse et, donc, avec sa liberté. Cette mue nominale contribue à donner à ce septième livre de poésie de la collection « Plain Chant » des Presses Universitaires de Yaoundé, préfacé par Patrice Kayo, son cachet particulier.
Dès qu’on a sous ses yeux Les Caillots de vie, on est tout de suite frappé par sa couverture, une surface bariolée de rose où une femme assise sur ses jambes offre au soleil son enfant tout nu. Il s’agit d’un acte symbolique et mystique par lequel les bantous mettent leur progéniture sous la protection des forces divines. Pourtant, dès qu’on entre dans ce recueil de 71 poèmes repartis sur quatre chapitres et 161 pages, (certainement l’un des plus gros florilèges jamais publié par un poète camerounais), ce n’est pas le climat mystique qui accueille ou domine, mais davantage la femme face à elle-même et face aux autres, à sa progéniture, à l’homme, son conjoint naturel, à son pays, à son temps…
Les Caillots de vie sont avant tout un miroir à travers lequel la poétesse se regarde, se projette et construit son propre mythe. Dans ce regard de soi sur soi, sorte de parcours de soi à soi ou de mouvement narcissique, prévaut la thématique de la corporalité, pour reprendre le terme de Fernando d’Alméida. L’écriture se transforme en un écran sensuel et parfois lascif où se profile la géographie du corps féminin, souvent comparé à un beau jouet impénitent, à un livre aux contes exquis. Le lyrisme se fait impudique et devient l’interprète des moments les plus audacieux:
Quand les étoiles explosent dans le ciel
Et que les effluves de mon parfum
S’échappent de mon antre de fleur…,
Tout s’emballe soudain. Les fantasmes s’ébranlent et les désirs rêvés se font violents, tyranniques et virulents. Et comme un félin très affamé sur l’haleine d’un gibier, l’espoir d’une future rencontre mâle et la surexcitation deviennent la même chose :
Je trouverai certainement à Edéa
Un rustre poli, un autre
Qui fasse l’amour comme un fauve(…)
Je marcherai les sens en l’air
Juteuse et luisante la grande brochette
Alléchante ouverte et prête »
La poésie est donc monstration et exploration de son corps. Les Caillots de vie sont de ce point de vue une continuation des Ecarlates et en même temps, une exaltation des valeurs dont le quotidien a tant besoin. Le troisième chapitre du recueil intitulé « Sel » donne, à la différence des autres qui sont amers, de la saveur et de la sérénité à la vie à travers une évocation euphorique des thèmes tels que la mère, l’enfant, Dieu, la rencontre, la gratitude, l’amour filial et maternel:
Vous êtes tout ce que
J’ai bien aimé(…)
Vous êtes ma récolte
Et ma survie (…)
Vous êtes mon humble offrande
A notre Dieu.
Si l’enfant, dans ce recueillement euphorique de la poétesse, est aimé, gratifié de berceuses, et la femme décrite comme une mère-poule, le père ou l’homme, quant à lui, est presque toujours négatif, quand il n’est pas totalement absent. C’est l’ivraie. Les Caillots de vie en font un monstre ennuyeux, irresponsable, volage, gauchement orgueilleux et moteur de toutes les rixes conjugales; un bougre matérialiste enclin au maraboutisme, ingrat, sans cœur et insalubre:
Il est, et muet et sale et sonore dans son lit
J’attends un enfant et lui une voiture
Seigneur aide-moi à supporter la laideur de
L’homme
La femme est, dans le livre, l’éternelle victime et l’homme l’éternel bourreau. Et pour se guérir de l’éteignoir qu’est le mariage, elle se trouve obligée de rechercher des euphorisants, comme le rustre d’Edéa, la rumba ou l’homme tout roux qui m’a aimé sans voix à Washington D.C. ou encore un fameux bite dans l’ombre. La quête de soi et de la liberté est soutendue chez Dati Sabze par une constante propension à la dénonciation, à la revendication et surtout à l’accusation. Les Caillots de vie peuvent en effet se lire comme un livre d’accusation. La poésie, bavarde et opposante, est braquée sur le réel perverti, comme une arme. Les mots survoltés sont quelque fois obligés de se dépouiller de leur revêtement esthétique pour se déployer, nus et brûlants, dans une syntaxe quasi prosaïque. Les poèmes s’engagent jusqu’aux dents pour dire le chaos social et humanitaire où gît l’Afrique en général et Yaoundé tout particulièrement: la mort de la démocratie par strangulation, la profusion du sang en lacs et des pieds meurtris au sang », des sectes mangeuses des cœurs d’enfants, la dégradation éhontée des rues… Etre femme dans un tel contexte devient ardu et presque honteux, car comment continuer d’accepter d’
Etre femme
Etre comme l’Afrique
Essuyer sous esclavage continu
Des forêts d’affront(…)
L’homme sexe seul prime
La femme n’a rien à dire
Elle ouvre le match inégal, c’est tout (…)
Le texte et le contexte de sa production sont en guerre. Le langage, par conséquent, déchire son articulation ordinaire. Les mots engagent leur pulsation dans une syntaxe iconoclaste. Ce n’est pas simplement un jeu lexicologique auquel se livre Dati Sabze, ni le banal amour du calembour ou des autres combinaisons sonores ou prosodiques indiquées par la versification. Elle va au-delà de l’opposition formelle des linguistes entre la dénotation et la connotation des mots. Dans le poème intitulé « Je de maux », on résiste difficilement à l’étrangeté féerique et à l’orgueil sonore et bègue des vers suivants:
Murs ! Murs ! mûre mûre…
Peau, hème de Fa fem…f…âmes
Sans santé sans s’entêter sans tez têt taie taire
Tes soul franc sous-France (…)
Les mots, inspirés du handicap expressif du bègue, prennent sens en abolissant ou en amplifiant leur sens connu et secrètent des syntaxes étonnantes et porteuses de significations à la fois nouvelles, simples et complexes. La poésie n’a jamais autant multiplié ses possibilités expressives et signifiantes. On assimilera cela à un délire verbal ou à une hérésie poétique, sans autre préoccupation qu’un épanchement du flux intérieur. Je pense qu’il faut y voir autre chose, une prouesse esthétique, un effort suraigu de singularisation de l’écriture.
Les Caillots de vie confirment tout cela. La vie en caillots, en morceaux, fauchée que ce livre expose nous gave, malgré tout, de
Cette féminité à fleur de peau
De regard, de voix, d’aveu »(qui porte)
Le pouvoir d’être tranquille
Après avoir dit non.
Jacques Fame Ndongo, Le Temps des titans, Presses Universitaires de Yaoundé, mars 2003, 97 pages (poésie)
D’entrée de jeu, Le temps des titans frappe par sa différence d’avec Espaces de lumière, le premier recueil du ministre poète, publié il y a plus cinq ans. Le livre frais émoulu des PUY s’offre au lecteur, dépouillé de ces discours d’escorte (liminaire, introduction), notes infra-pagninales, pyramide, « poème en prose » ou « manuscrit de papa » extrait de Pour le libéralisme communautaire… qui encadraient les trente huit poèmes du recueil de 1999. Malgré cette distance, il reste un pont, suffisamment large et fort, entre les deux livres. La subdivision du premier en « clairières » cède le pas aux « tableaux » dans le second. Quatre tableaux au total concentrant quatre vingt pages de poésie auxquelles il faut ajouter quinze autres pages d’une interview accordée à Fernando d’Alméida. Un retour certain de l’ascenseur de l’auteur à un compatriote qui ne cesse de lui faire des amitiés littéraires depuis un certain temps. Les trente questions du poète de l’estuaire donnent au descendant Fong de Nkolandom l’occasion de se dire de fond en comble, avec les mots flambants et truculents qu’on lui connaît. Mais il y a surtout les vingt cinq poèmes du livre dont la forte teneur oratoire, le démentiel attachement à la sonorité, la brièveté des vers, la structure en escaliers des textes et leur longueur, le goût excessif du qualificatif, de l’énumération et du mot tonnant, rappellent point par point Espaces de lumière et constituent les éléments fondamentaux caractéristiques de l’esthétique poétique de Fame Ndongo.
Il y a ensuite le royaume d’enfance et l’âge de ce qu’il appelle dans le poèmes « Meri » les inquisitions et les injures. Ces moments prennent « racine » (deuxième tableau) dans sa famille et connaissent leur apogée au bout d’un « itinéraire«  (troisième tableau) marqué par onze étapes. Ces étapes sont des lieux réels que le poète a parcourus depuis sa tendre enfance jusqu’à un âge plus avancé. L’enfance échoue à être ici le thème d’une partie du livre qui voudrait pourtant revenir sur l’enfance du poète. Au lieu de larcins et de fredaines, la rétrospective se laisse envahir par l’image de la mort, celle du père, de la sœur coincée dans son royaume fatal et nébuleux, celle de la grand-mère, Reine Bikomo à qui il demande conseil. Les racines et la mort se confondent et forment la mythologie du poète. Si le grain ne meurt…, pourrait-on dire. Le passé est donc inventeur de vide, porteur de regret, de nostalgie, de mystère et de turbulence. Entre l’exaltation et la turbulence, c’est cette dernière qui l’emporte dans la longue traversée que le poète fait des onze villes et lieux qui font le troisième tableau. L’enfance ici sert de prétexte à l’évocation des moments de l’Afrique sous diverses fureurs: le Congo de Lumumba, le Cameroun sous maquis, pollués de ce que le poète choisit d’appeler (au risque d’effaroucher les upécisants qui y ont toujours vu les nationalistes) les terroristes, les félons, les rebelles. Le poète sait être nostalgique : la Yaoundé coloniale est regrettée (Yaoundé muselée avant l’indépendance/Mais fière de sa limpide adolescence) et opposée à l’actuel favela infesté de fêtards, de soûlards, de fille dévergondée, de Santa Barbara, de Koweït City
Signalons enfin la réalité éponyme du livre: les titans. Les titans sont signalés à deux reprises dans le troisième tableau (Vogt et Nice). Mais ils s’intègrent surtout dans l’infini du dernier tableau et finissent par l’intégrer à leur tour. Pas un seul de ces monstres légendaires ne jaillit d’un poème du Temps des titans. Les attentes pharaoniques et chevaleresques qu’il créé déchantent parfois le lecteur qui a le sentiment, au bout du parcours, d’avoir été bluffé. Pourtant Fame Ndongo parle bien des titans dans ses poèmes. Seulement, ses titans sont, non pas le « dinosaure » de Louxor qu’il évoque, mais des situations, des oeuvres et des hommes que l’histoire a érigés en repères, en références et qui nourrissent l’imaginaire général des peuples. Le mythe du paradis perdu et regretté fonctionne merveilleusement bien ici. L’Egypte antique, symbole de l’Afrique millénaire, pétillante de ses savants grecs aux secrets cosmiques, partout distinguée par ses hypogés royaux et ses temples monumentaux est convoquée pour sauver notre Cameroun de ses gouffres. Quand le présent est échec, on donne la parole au passé ou au non-humain. Au non-humain. De ce point de vue, Le Temps des titans est d’une extraordinaire richesse. Le livre est tout un bestiaire, un site propice au safari. Seuls trois ou quatre poèmes sont exempts du lexique faunique qui foisonne dans le livre. Les animaux de tous les milieux, de toutes les tailles, de tous les âges, de tous les caractères et de tous les noms y sont représentés: les volatiles, les amphibies, les terrestres, les mammifères…Les classer demande de l’exercice ! Un relevé isotopique de l’élément faunique révèle une dizaine de références dans le premier poème du recueil, et près d’une trentaine dans le dernier: caïmans, guenon, lion, hiboux, éléphant, touraco, escargot, aigle, boa, gazelle, scolopendre, potamochère, faucon, iule, grenouille, libellule, cancrelat…Le safari est infini et la collection inouïe ! Les exégèses futures de l’esthétique de Fame Ndongo ont là une entrée de lecture pertinente à explorer.
Au bout du compte, Le temps des titans, par rapport à Espaces de lumière, semble un livre dépouillé, modeste et dont la charge littéraire est accrue. La poésie ici n’est pas un épanchement lyrique gratuit. Le chant est obsédant, porté par un rythme qui ne cache pas ses ambitions de pionniers du texte poétique. Fame Ndongo ne va pas de lui, mais du monde pour créer. Il prend à l’histoire la matière de son oeuvre, il prend au monde ses plages, ses noms, ses hommes, ses villes… Il va de l’extérieur vers l’intérieur. Il ne rêve pas. Il évoque. Il n’est pas optimiste dans ce livre. C’est un logico-intuitif. C’est un véritable titan.
André Mvogo Mbida, Réflexes des temps rois, Yaoundé, Editions de La Ronde, 2003, 52 pp. (poésie).
Du réel au poème, du poème à l’auteur, le trajet dans lequel Mvogo Mbida nous embarque est encore clair obscur. Survol méticuleux d’un imaginaire poétique naissant. On entre forcément avec des questions dans les trente sept poèmes qui font le premier florilège d’André Mvogo Mbida, professeur de lettres au Lycée Moderne de Mbankomo et auteur d’un roman, Au bout du compte. Quels sont en effet ces temps rois qui provoquent chez le jeune poète tant de réflexes ? Et, inversement, quels sont ces réflexes qui suscitent dans son esprit l’idée majestueuse des temps rois ? Dans un sens comme dans l’autre, cette question constitue l’inévitable bréviaire dont doit se pourvoir l’aventurier qui veut se mouvoir dans les méandres d’une poésie qui s’offre à nous dans une logique qui lui est tout à fait propre. La préface du professeur Simplice Ambiana ne répond que très imparfaitement à cette question,-le temps est un thème éternel, écrit-il- en raison des contraintes et des exigences qui sont liées à un texte qui n’est qu’une escorte aléatoire.
Au cœur du présent recueil, il y a donc l’idée du temps, véritable socle thématique et idéologique où l’auteur vient mouler ses rêves et ses nostalgies. Le temps est ici envisagé sous un aspect antithétique, sombre et lumineux; maladroit et libérateur. Comme chez Baudelaire, il est souvent présenté comme un monstre affamé qui « mange la vie » et génère des « âmes déchirées ». Dans une telle perspective, le temps roi se fait esclave de toutes sortes de faillites naturelles et humaines faites de crimes, de guerre, de viols, de catastrophes…un véritable cocktail de situations « lugubres comme un déluge d’acier / De feu et de fumée ». Ces ombres humaines sont rendues avec sobriété, le poète faisant un choix d’écriture autre que celui de la violence verbale. C’est d’ailleurs ce ton modéré, malgré la virulence de l’adversité, qui présente le versant euphorique du temps chez Mvogo Mbida, même si dans certains poèmes comme Synergies africaines, éclate un soupçon de dithyrambe. Le poète se veut, dans son temps positif, chercheur de feu et d’azur; il fait allégeance aux mots, leur fait confiance et dit avec eux sa foi en la paix, « voûte bleue » sous laquelle il souhaite abriter son monde: « …Aux chantres pacifistes / J’envoie mon cantique d’universaliste / Aux sirènes de la déchirure / Ma tendresse érigée en armure ». Un tel lyrisme pacifique et pacificateur pousse bien plus loin que l’évidence quotidienne l’aliment qui lui donne de la consistance. C’est ainsi qu’il demande au cosmos de faire briller pour les gens des mines, les éboueurs et les laboureurs, un « soleil à minuit » et de leur procurer un « blé sempiternel », par le biais d’une poésie qui cherche encore à s’initier au chant.
Et comme le chant sait parfois porter ou annoncer la mort, le poète ouvre ses poèmes aux stèles sous lesquelles ploie son destin. En plus des êtres nombreux, lointains et anonymes tombés sous les horreurs humaines, il sait trouver dans le mot le lieux d’exhumation des figures familiales et intimes qui ont quitté la vie. Le poème Consolation dédié à Mireille recrée le « câlin paternel effacé »; il en est de même de l’image indélébile de celle qui est « partie », c’est-à-dire la mère du poète qui renaît toujours de sa mort et vient éveiller dans son esprit toutes sortes de nostalgies et de souvenirs. Et pour saluer la mémoire de tant de morts, le poète fait paix de tout bois: « En paix, rejoins l’immensité », lance-t-il à sa défunte génitrice.
A la mort, il faut sans doute opposer le bourgeon hédoniste qui jaillit des profondeurs de ce recueil. Sans atteindre les ciels éthérés et iconoclastes d’une Angeline Solange Bonono, il annonce toutefois un poète dont le mot lascif, la fougue corporelle sera un élément non négligeable des futures créations. Son poème « Premiers frissons » foisonne d’un lexique érotique frappant; certains personnages du livre assouvissent des phantasmes macabres: le poème « amoureux jusqu’à la tombe » met en scène un ténébreux érotomane appelé Carigori qui est surpris dans une morgue en flagrant délit de viol du corps de celle qui, vivante, lui avait échappé. Mais les amours les plus récurrentes dans les poèmes sont les plus simples et les plus anodines : l’affection paternelle, l’amour de la patrie, l’hommage de la terre génitrice, le respect et l’amour de Dieu…Dieu est d’ailleurs si présent dans les poèmes que certains sont de véritables prières, non pas de résipiscence, mais de glorification et d’adoration ; la volonté divine par exemple est  » comme la liberté / Apte à consoler / Mais fermée au malheur ».
Résidence d’une somme de valeurs qui font défaut à notre temps, Réflexes des temps rois a ses lumières, mais ses ombres aussi. Il ne rappelle pas une grande plume et ne dégage pas encore une ligne de force susceptible d’imposer sa couleur ou son identité. Le langage pulsionnel et très souvent narratif, n’a pas encore la pleine conscience de ses déterminations lyriques, prosodiques, métaphoriques et torrentielles ; il est encore à l’écart de ces écarts qui font du poème le lieu de tous les possibles et de toutes les combinaisons. Mvogo Mbida s’est signalé. On attend qu’il s’établisse dans l’Odéon. Quoi de plus logique dans un pays où, comme on le pense au ministère de la culture, la poésie est en quête vertigineuse de ses marques.
Jacques Nguémen, The crown (poèmes), Yaoundé, Editions de la ronde, 2003, 58p (poésie).
Un recueil en anglais, publié par un locuteur francophone et traduit en chinois qui chante beaucoup. L’élégant bangantois pose sa couronne sur une vie d’amour, de rêve et d’émerveillement. The crown (traduire : La couronne) est une pétulante fresque de la vie quotidienne du commun des hommes vu par un homme à coup sûr hors du commun, tant il réussit l’exploit de saisir et de cristalliser le temps, les évènements et la vie en une fantastique gerbe de l’humaine condition. Ainsi, à l’amour si merveilleux, si fugace et si tragique se mêlent la pauvreté, les maux profus, la religion et toutes les colorescences de l’existence qui lui donnent sa fragrance d’exquisité et la puissance des vertiges des chaos, que par-dessus le sort inconstant, Jacques Nguémen aborde avec une profondeur et une lucidité dignes des grands sphinx bravant le mouvement perpétuel. Ce, par surcroît, dans une langue anglaise tout magie tout charme qui, tout bien considérée, vaut à son auteur la palme- et non la moindre- d’un parfait créateur. Que ne trouver là alors autant de raisons aussi bien de rendre hommage que de faire la rencontre de ce jeune auteur qui fait son baptême de feu dans le fabuleux (prestigieux) monde de la poésie. Et quel feu ! Bilinguisme.
Fernand Nathan Evina, Ecchymoses, Lomé, agbétsi, 2003, 40 pages (poésie).
Ecchymoses. Voilà un terme qui renvoie de prime abord à un lexique médical. Ecchymoses. Une formule noire, presque dégoûtante, dont la sémantique ramène à des images moins lumineuses : la violence, la déchéance, la mort. Mais c’est ce même terme à la fois répugnant et séducteur que choisit Fernand Nathan Evina pour baptiser une collection de trente deux poèmes repartis sur quarante pages, poèmes que le lecteur imagine à première vue tout aussi sombres que le titre. Même s’il n’en est rien, comment pourrait-il s’y méprendre, tant il existe une parfaite concordance entre le titre et une illustration qui met à jour le visage tuméfié d’un nègre ? C’est dire que le titre donne le ton de l’œuvre. Loin cependant de se restreindre dans une terminologie proprement médicale, l’auteur réussit à en faire non pas un mot anodin, mais une rainure, un gouffre même, où viennent s’agglutiner des maux divers. Fernand Nathan Evina y peint l’Homme à merveille : l’Homme médiocre, l’Homme bafoué, l’Homme corrompu, paresseux, vil, fourbe ; s’il ne fait aucun doute que l’écriture du poète est une merveilleuse ambivalence entre rage et espoir, dénonciation et foi, il n’est pas moins vrai que de ces poèmes découle une expressivité rayonnante, scintillante, sournoise mais envoûtante, et que l’auteur met à profit pour rappeler que l’utile peut s’agrémenter du beau ; le résultat n’en est que trop exaltant.
Le pari le plus réussi de l’auteur aura été de faire d’ecchymoses un chant à la dignité, un onguent anti-ecchymoses, une lueur dans la pénombre. Bel appel à la lutte. Difficile enfin de ne pas succomber à la verve poignante de ce poète qui vit le jour le 09 10 1970, et dont la plume virulente (et militante) promet dors et déjà de briller de mille étincelles dans le sillage des faiseurs de beau : les poètes.
Moshe Liba, Le Vin de palme, Presses universitaires de Yaoundé, 1999, 72 pages, collection « plain chant
Un titre. 72 pages. 55 poèmes. Moshé Liba : un nom qu’on croirait tiré de la Tora ou de quelque ouvrage Hébraïque. Le vin de palme est un recueil de poèmes qui s’ajoute au répertoire aussi florissant qu’imaginatif de l’auteur de Trinité Africaine. Maîtrisant soigneusement une inspiration largement débordante, Moshé Liba, ancien ambassadeur de l’Etat d’Israël au Cameroun, se sert des mots pour séduire les consciences de la même manière qu’une femme userait de ses beautés pour assujettir un mâle. D’un style pourtant prosaïque, ce poète-écrivain-peintre parvient à transcender les âges, l’histoire et les frontières, et célèbre l’union sacrée de Juda et de l’Afrique, terres d’holocauste et d’esclavage. Le prosaïsme affiché dans Le vin de palme résulte d’une volonté de l’auteur de pénétrer à fond le Cameroun dont il sculpte savamment les us, à tel point qu’en fin de compte, il est impossible – même pour les esprits les moins illuminés – de ne point céder à l’extase que suscite ce style aéré, pénétrant, limpide. Entre autres, on aura un faible pour La maison du peuple, Le vin de palme – qui donne son nom à l’œuvre – et, bien entendu, la Ronde des Poètes en séance.
Enfin, nous notons d’un bon œil la généreuse appréciation faite de l’auteur par d’honorables renommées telles Yitzhak Navon et Shimon Perès, respectueusement anciens Président et Premier ministre d’Israël.
Moshé Liba vit actuellement en Hollande. Ancien journaliste et correspondant de presse, il possède… douze (12) diplômes universitaires ! Pas moins !

Le temps des titans trace à travers ses quatre tableaux un itinéraire à la fois physique et spirituel. C’est le regard et le cœur d’un homme attentif aux flux et reflux de sa vie et de sa terre. Le poète commence d’abord par évoquer sa terre, l’Afrique ou muette civette prise dans le piège contradictoire de ses ombres et de ses lumières; plus des premières que des secondes, car sa terre dépecée vivante/Et saignante/Sur une feuille de bananier à Berlin a vu son destin scellé une fois pour toute. Aujourd’hui, envahie de félons et de Lucifers, elle nous rapproche de l’animal. Par une sorte de romantisme égyptianisant, le poète fait face à cette situation en convoquant les antiquités africaines pour conjurer le drame : Egypte mille fois sublime/(…)Enseigne les splendeurs de tes hiéroglyphes (…) Réveille tes scribes ensevelis/Dans la tourbe.///Article N° : 4010

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