Hugues Diaz : le Sénégal en sélection à Cannes, résultat d’une « volonté politique »

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Entretien bilan avec Hugues Diaz, directeur de la cinématographie du Sénégal, sur la présence d’un film sénégalais en compétition officielle au festival de Cannes 2019 et sur les activités de la délégation sénégalaise au festival.

Le Sénégal joue un rôle important dans le projet international Sentoo destiné à accompagner les films dans leur élaboration et favoriser les coproductions Sud-Sud. Quelle est l’importance pour le Sénégal d’un tel projet ?

Nous avons pensé Sentoo l’année dernière ici à Cannes, à l’initiative de notre collègue tunisienne Chiraz Latiri, alors que nous voulions développer des accords de coproduction entre nos pays. Les professionnels connaissent mal les cadres que nous construisons et nous sommes donc partis d’une action commune aux six Etats de départ (Tunisie, Maroc, Burkina Faso, Mali, Niger et Sénégal). Nous voulions renforcer la qualité d’écriture des scénarios et les conditions de production. Et cela en partant de nos moyens propres. L’appel à projets a été lancé au Fespaco. Un candidat est retenu dans chaque pays, qui est pris en charge par son pays pour les transports aériens et une bourse nécessaire aux trois résidences d’écriture et de coproduction prévues. Il s’agit de soutenir un projet depuis son écriture jusqu’à sa production pour qu’il puisse aboutir.

Cette dimension Sud-Sud, pour laquelle Med Hondo s’était battu avec Sarraounia ou Sembène Ousmane avec Camp de Thiaroye, est un vieux rêve des cinémas d’Afrique et prend une dimension essentielle aujourd’hui !

C’est vrai. On a trop perdu de temps. Etre en coproduction permet de donner une envergure au projet, tant dans les contenus thématiques que dans la dimension technique et artistique. Cela ouvre un marché plus large et renforce les liens entre les peuples.

La production sénégalaise du film et l’aide du FOPICA ont permis à Atlantique de Mati Diop de figurer en tant que film sénégalais dans la compétition officielle du festival.

Effectivement, le FOPICA donne de la dignité à nos productions ! Les financements se raréfient et il est du ressort de l’Etat de monter au créneau pour soutenir les professionnels, notamment pour rendre visible leur travail. La stratégie du producteur d’Atlantique, Oumar Sall, est un modèle de mobilisation des financements. Les accords de coproduction avec la France stipulent qu’un producteur minoritaire doit apporter au moins 20 % du budget, sinon on perd la gestion des droits d’exploitation et de diffusion. Le FOPICA peut compléter. Ce fut le cas pour Atlantique qui est tourné au Sénégal en langue sénégalaise. Ce sont des enjeux de taille.

Le Sénégal était invité d’honneur aux dernières Journées cinématographiques de Carthage et l’on voit ainsi le Sénégal acquérir une visibilité croissante. Selon quelles modalités d’action de votre part ?

C’est d’abord une volonté politique. Les autorités les plus élevées de la République croient au cinéma. Nous allons prochainement rénover tout l’arsenal juridique et réglementaire. Un autre projet structurant sera la cité du cinéma. A cela vient s’ajouter une renaissance : il y a un engouement pour les métiers du cinéma. Il faut l’encourager tout en l’encadrant pour que les professionnels se sentent en confiance. Nous faisons parfois des erreurs mais nous sommes dans l’action pour que ceux qui bougent soient soutenus par l’Etat. Le FOPICA permet d’envoyer chaque année trois à six personnes en formation dans des métiers assez pointus. Avec l’aide de nos partenaires, la Direction de la Cinématographie soutient aussi pour qu’elles ne restent pas dans les tiroirs la diffusion des œuvres, leur sortie en salles mais aussi la finalisation des séries. Nous avançons pas à pas mais avec pour objectif la construction d’une véritable industrie cinématographique, avec des organisations professionnelles fortes dans chaque domaine.

Cette restructuration professionnelle se donne-t-elle aussi pour objectif d’attirer des tournages étrangers et donc d’abonder l’économie sénégalaise ?

C’est déjà le cas. En 1992, nous avions 30 à 40 tournages. On compte 175 projets audiovisuels en 2018. Nous avons des partenaires étrangers qui nous envoient des tournages de films. Il est même arrivé que nous ayons deux longs métrages en cours et qu’un troisième vienne se greffer, si bien que nous avions du mal à trouver des techniciens. Notre but est aujourd’hui de couvrir ces besoins en logistique technique. Un plateau de tournage est la meilleure école des techniciens. Plus des films sont tournés, plus nous progressons. Les autorisations sont accordées en un temps record et nous facilitons les tournages auprès des différentes administrations.

Vous avez été présent au festival durant toute sa durée. Cela a-t-il permis d’ouvrir des perspectives ?

La sélection de Mati Diop nous a motivé à être davantage présents. Notre ministre est resté cinq journées, avec une délégation d’une trentaine de personnes. Toute l’équipe du film était là, ainsi que des journalistes. Les déclarations et conférences de presse ont permis un maximum de visibilité du cinéma sénégalais. Notre présence ici nous a permis de rencontrer un grand nombre d’institutions de tous pays. La France manifeste ainsi de l’intérêt pour le projet de Cité du cinéma et de l’audiovisuel du Sénégal. Nous avons discuté de la question des archives audiovisuelles. Le soutien de la culture cinématographique au Sénégal était aussi abordé, avec l’accompagnement des ciné-clubs. L’Institut français est prêt à mettre son catalogue au service de ce projet. Nous avons également travaillé à l’ouverture de nouvelles salles de cinéma. La préparation d’accords structurants était aussi sur la table : la Côte d’Ivoire et le Sénégal sont prêts à signer un accord de coproductions. Les professionnels sénégalais ont signés de nombreux contrats et le fait d’avoir cette année un stand au marché du film a grandement facilité la logistique globale et la prise de contacts avec toutes sortes d’organismes et institutions. Notre présence était nécessaire : Cannes reste le plus grand marché du film et le plus grand festival de cinéma au monde.

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