Il court, il court, le « petit siècle »

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Présentée ces six derniers mois à Munich puis Berlin, l’exposition The Short Century, (Independance and Liberation Movements in Africa, 1945-1994) s’installe actuellement à Chicago (8 sept.-30 déc.) et gagnera New York en 2002 (10 fév.-5 mai). Sa thématique africaine, pluridisciplinaire et synthétique, en fait une première dans son genre. Nous en avons dispersé quelques œuvres dans ce dossier sur l’africanité, tant la réflexion sur l’histoire et la modernité par l’art éclaire cette thématique.

Son ambition : présenter historiquement autant qu’artistiquement l’émergence et l’évolution de la pensée africaine moderne. Sa revendication : enrichir de la sorte l’appréhension générale du concept de modernité ! Ce travail est le fruit d’une considérable collecte d’éléments, orchestrée par le curateur d’origine nigériane Okwui Enwezor, avec la logistique d’institutions culturelles allemandes, américaines et néerlandaises. L’événement devrait marquer un tournant dans la reconnaissance de la création africaine contemporaine, par la lisibilité des principes énoncés et la sensibilisation du public à l’échelon international. Souhaitons donc que l’exposition puisse prolonger ses pérégrinations et touche aussi un public francophone !
C’est tout d’abord la dimension historique de la présentation qui frappe. Ce rassemblement d’effigies et de citations des leaders des indépendances africaines produisent un gros effet, dans le giron d’une bâtisse aussi solennelle que la Martin Gropius Bau, au coeur de Berlin. Le symbole se veut immédiat, rapporté à l’épisode de la conférence historique qui consacra le partage de l’Afrique par les puissances coloniales dans cette même ville, en 1885. Pour l’heure, le projet est co-organisé par la Maison des Cultures du Monde de Berlin, très active dans l’ouverture culturelle apportée au public local. Mais il n’y a que peu de retentissement à attendre de la manifestation auprès d’une communauté d’origine africaine, très réduite dans la ville. Salle après salle, la masse de documents et objets qui témoignent du contexte des indépendances de 1945 à la fin des années 60 (re-)plonge le visiteur dans la prégnance de ses événements populaires, mais aussi dans une atmosphère d’émulation culturelle qui touchait l’ensemble des peuples noirs dans leur lutte commune contre l’ordre colonial. Puis, le mirage de l’unité s’estompe, suit le temps inachevé des devenirs nationaux… sujets aux dénonciations apportées par l’analyse post-coloniale, encore en vigueur. La période couverte est notamment close par l’aboutissement de la lutte anti-apartheid en 1994 et l’organisation des premières élections libres sud-africaines.
Parallèlement à la dynamique historique et politique sont présentés les grands repères idéologiques des intellectuels africains. On y retrouve, entre autres, les trois grands mouvements, le Panafricanisme, la Négritude et le Panarabisme, formulés dans les grandes aires linguistiques et culturelles du continent. Celles-ci se traduisent autant par leur dynamique militante que par des solutions esthétiques qui visent à affirmer la spécificité africaine. Le catalogue de l’exposition, édité chez Prestel (en anglais), condense à ce titre l’essentiel des textes, pamphlets, manifestes ou discours qui ont marqué les esprits, alimenté les débats. La nature conflictuelle des composantes propres à l’énonciation du modernisme africain se poserait là comme condition même de la modernité, dans la revalorisation et le dépassement des modèles traditionnels, autant que dans la réappropriation d’éléments implantés par le système occidental.
Si l’exposition retrace l’émergence des formes contemporaines dans tous les domaines artistiques, les arts visuels restent une référence privilégiée. Avec environ une soixantaine d’artistes exposés, le panorama exhaustif du développement de l’expérience artistique individuelle en Afrique est remarquable. Il est très riche de voir comment il s’est réalisé en s’appuyant tour à tour sur les structures locales et sur l’apport de séjours, le plus souvent volontaires, en Occident. Cette dualité caractérise donc profondément le cadre conceptuel de la création africaine, que les artistes se soient fixés d’un coté ou de l’autre n’y change rien. L’équipe initiatrice de cette exposition parvient ainsi à jalonner de repères tangibles le parcours « initiatique » du néophyte. Mais elle ne réussit cependant par à nous ôter le sentiment que ce versant des productions africaines appartient aussi à un ensemble artistique moins formel, échappant aux critères de présentation d’une telle exposition. Aujourd’hui, de quelle nature serait son impact et son interprétation dans un contexte africain ?
Certaines questions sont sans réponses immédiates. Notre entretien avec Okwui Enwezor permet de mieux cerner la démarche d’une personnalité marquante, trop peu connue du public francophone. Jeune curator d’envergure internationale, ayant déjà travaillé sur des manifestations telles que la deuxième Biennale de Johannesburg, il est l’auteur de plusieurs ouvrages spécialisés. Il sera le directeur artistique de la prestigieuse Dokumenta 11 de Kassel en Allemagne en 2002, un rendez-vous international, pendant lequel toute la ville vit à l’heure des dernières tendances de l’art contemporain.

///Article N° : 1854

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Les images de l'article
Le délégué A.A. Ochwada menant les hommes de la Fédération du Travail kenyane à la All-African Peoples'Conference, Accra, Ghana 1958. © Bailey's African History Archives Johannesburg.
Tshibumba, série L'Histoire du Zaïre, 1973, Lumumba prononce son célèbre discours, 44x79cm. © KIT Tropenmuseum Amsterdam.





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