Badibadi a un ventre. Et quel ventre ! Voilà qu’un matin Badibadi pisse du pétrole… et soudain, ce drôle de ménage à trois que le désoeuvrement poussait à faire des palabres sans queue ni tête sur n’importe quoi, comme la couleur du pain par exemple… voilà qu’il échafaude une autre vie : luxe, gloire, médias… Opolo, l’ami de la famille, orchestre le grand ballet médiatique : procession de journalistes, tourbillon de curieux… Topitopi, le mari, se laisse embarquer tandis que Badibadi enfle comme une baudruche avant d’exploser et de se métamorphoser finalement en » une femme orchidée aux bras de pain « , phénomène encore plus merveilleux qui, cette fois, pourrait bien les conduire jusqu’en Amérique.
Avec des étudiants de l’Université d’Avignon, Yves Sauton, qui avait rencontré Koffi Kwahulé lors d’une résidence au Centre national des Ecritures du Spectacle de la Chartreuse et avait eu un coup de coeur pour ce texte, décide d’en proposer une mise en scène pour le festival off. De conception très simple – seulement quelques gros bidons (de pétrole bien sûr !) font toute la scénographique – le spectacle présenté au Théâtre Pulsion est malheureusement aussi trop sage, sans les inventions de potache qu’on aurait pu attendre d’une farce aussi déjantée.
Cette pièce parle sur un mode burlesque des rêves de ceux à qui on ne donne jamais la parole, ceux que l’on compte seulement dans les statistiques de l’immigration et qui pourtant ont aussi un imaginaire. Mais la dimension ubuesque de la pièce n’a pas été explorée par Yves Sauton qui en propose une mise en scène trop « propre », trop rationnelle. Et si l’on perd la dimension loufoque de la farce, on perd aussi l’allégorie qui s’y développe et le rituel de l’imaginaire qui s’y joue.
La trinité que met en scène la pièce n’est pas celle simpliste du mariage à trois vaudevillesque. En fait, elle fonctionne surtout comme une nativité. Badibadi, c’est la vierge dont le ventre providentiel n’accouche pas d’un messie, mais de la manne salvatrice des temps modernes, de cet or noir devenu eau bénite. Topitopi joue les Joseph, tandis que Opolo est le Saint-Jean Baptiste qui colporte la nouvelle. Rien d’étonnant alors que la pièce s’ouvre sur une discussion qui concerne un pain que l’on s’apprête à rompre, ce pain que l’on retrouvera à travers les bras de la femme orchidée à la fin de la pièce.
L’allégorie que nous offre ici cette histoire est celle d’une eucharistie, où la communion passe par l’imaginaire que l’on partage, une histoire que l’on décide de partager, par convention, comme au théâtre ! C’est ce mensonge que l’on se raconte et qu’un groupe décide de croire pour survivre, ce rêve qui nourrit et sauve aussi l’humanité, ce qui reste à ceux qui ont choisi l’exil pour survivre, ceux qui ont préféré s’inventer une autre vie et partir, ceux qui ont fait le pari qu’ils trouveraient une autre vie au bout du voyage.
1.Koffi Kwahulé, Il nous faut l’Amérique, Editions Acoria, Paris, 1997Cie Théâtre de la Mouvance
avec le soutien de la Fondation Beaumarchais
avec : Sophie Heynssens (Badibadi), William Lassi (Opolo), Yves Sauton (Topitopi)///Article N° : 1499