Rencontre avec Sylvestre Amoussou, acteur et réalisateur originaire du Bénin, à l’occasion de la sortie parisienne de son film Un pas en avant – les dessous de la corruption qui lui a valu le prix d’interprétation masculine au dernier Fespaco.
Vous vous êtes illustré comme comédien dans plusieurs fictions françaises comme Black Mic Mac 2, Fantôme avec chauffeur, ou Élisa, pourquoi êtes-vous passé derrière la caméra ?
Au cinéma, j’ai remarqué que l’on ne me proposait que des rôles caricaturaux. Alors j’ai observé des amis réalisateurs pour apprendre. J’ai d’abord réalisé sept courts- métrages puis, en 2006, j’ai signé mon premier long-métrage intitulé Africa Paradis.
Comment avez-vous trouvé les deux millions d’euros nécessaires à la production de votre dernier film Un Pas en avant – les dessous de la corruption ?
La France finance beaucoup le cinéma africain mais la France finance uniquement le cinéma africain qu’elle veut voir ! Mais elle n’a pas le monopole du financement et c’est ce qui est important aujourd’hui. Un pas en avant – les dessous de la corruption a donc été financé par des partenaires africains et de la diaspora. J’estime qu’en Afrique on sait faire autre chose aussi et ma démarche est celle-là.
Comment avez-vous choisi les acteurs pour ce film ?
J’ai écrit les rôles en pensant à certains acteurs qui eux aussi en ont marre d’être caricaturés. Ils sont tous professionnels et ont été rémunérés comme tels. Nous avons fait des répétitions chez moi à Paris avant le tournage au Bénin.
Pourquoi les dialogues du film sont-ils en français ?
Une des seules choses que l’on a en commun entre descendants des pays colonisés par la France, c’est la langue. Tous ces acteurs, qu’ils viennent de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Congo et même des Antilles, parlent le français. C’est la raison pour laquelle mes films sont en français. Je souhaiterais que dans les écoles du continent, on enseigne une langue africaine commune et à ce moment-là nous pourrions tourner les films dans cette langue, mais pour l’instant c’est le français qui nous unit. On fait partie de la francophonie et d’ailleurs c’est la seule institution qui a soutenu le film.
Avez-vous rencontré des difficultés pour diffuser ce film en France ou sur le continent africain ?
Oui, c’est difficile de montrer le film en France car le cinéma africain est marginalisé. On n’a envie de montrer que le côté misérabiliste de l’Afrique, parce que les Africains on veut bien les aider mais à condition qu’ils ne pensent pas ! Un pas en avant – les dessous de la corruption a été montré en avant-première à Strasbourg. En ce moment, il est diffusé à Paris et on va essayer de le projeter à Marseille et à Montpellier. Mais comme le film a été tourné en 35 mm, on n’a pas beaucoup de copies. En Afrique, il a fait l’ouverture du dernier Fespaco et il a reçu un très bon accueil dans les festivals au Maroc, au Burundi et au Cameroun. Le problème est de trouver des salles. Je ne suis pas pour le cinéma itinérant gratuit parce que mon film est un uvre donc si les gens peuvent se payer à boire, j’estime qu’ils peuvent aussi payer pour voir un film.
La Françafrique revient souvent dans vos films, pourquoi ?
Il y a beaucoup de mensonges, de manipulation et on est pris dans un engrenage sans fin. Il est tant que les Africains inventent une autre façon de gouverner et qu’ils se rendent compte qu’ils ont aussi leur rôle à jouer dans la mondialisation d’aujourd’hui.
Dans Un Pas en avant – les dessous de la corruption, vous abordez ce sujet sur un ton léger, pourquoi ?
J’ai choisi le ton de la légèreté pour dire des choses graves car ça passe beaucoup mieux. Si j’étais Américain ou Européen, on aurait parlé de mon style mais là on me reproche d’utiliser la légèreté. Pourtant, ce n’est pas le ton que j’emploie dans le film qui agace, c’est le sujet, alors que mon but est de divertir les spectateurs tout en les amenant à réfléchir. Je donne des clefs pour ouvrir à une discussion, à un débat. Je ne dis pas que je détiens la vérité mais c’est un sujet qui nous touche. J’ai écrit ce film avant qu’on ne parle des valises de la Françafrique, tout comme j’avais parlé de la crise économique dans Africa Paradis avant qu’elle n’arrive en Europe. Je suis à l’écoute de nos populations, donc en tant que cinéaste je me réapproprie ce que les gens disent et j’analyse, je synthétise et puis j’en fais des films. Je n’ai pas la prétention de donner des leçons aux gens. Je soulève des sujets qui interpellent. Je suis concerné par ce qui se passe en Afrique et par ce qui se passe dans la mondialisation parce qu’on ne peut pas rester renfermer sur nous-même et on ne peut pas dire que l’Afrique est en marge de la planète. On continue de piller le continent africain, on continue à nous mettre à l’écart et à nous donner des leçons. C’est un film de divertissement qui a un fond, un message porteur. Peut-être que je ne m’embarrasse pas de subterfuges cinématographiques mais mon but est aussi de dénoncer, de dire ce qui ne va pas dans la société.
Vous pensez vraiment que le cinéma peut inciter à une prise de conscience ?
Oui, le cinéma aide à sensibiliser à éduquer et à revendiquer. Il peut faire évoluer beaucoup de choses aussi. La jeunesse africaine est en train de se mobiliser parce qu’elle en a assez que le continent soit mis à l’écart des enjeux économiques mondiaux et qu’on nous donne des leçons de bonne gouvernance. Comme je le dis dans mon film, voter c’est faire un pas en avant.
Quels sont vos projets après Un pas en avant – les dessous de la corruption ?
J’ai terminé mon prochain scénario qui va parler encore de la Françafrique. Il s’agira d’un film sur la nationalisation des matières premières en Afrique. Cette fois, ce ne sera pas une comédie mais un drame. Je cherche encore des financements en Afrique pour, si tout va bien, le tourner courant 2012. On verra. Tant que des Africains continueront à me faire confiance et à financer mes films, je continuerai à les représenter. Toutes ces images que j’ai faites dans Un pas en avant – les dessous de la corruption je ne les ai pas inventées, elles existent réellement. Ce ne sont pas des décors construits. Pourtant, on m’a reproché que le village soit trop propre, comme si j’avais eu le temps de le nettoyer ! Dans Un pas en avant – les dessous de la corruption, je demande que l’on balaye devant notre porte avant de se plaindre tout le temps des autres. Il faut qu’on arrive à trouver enfin un équilibre entre les Africains et les Européens pour que tout le monde soit gagnant. On peut ne pas aimer le film mais on ne peut pas m’enlever ma sincérité et l’envie de bien faire et de me battre pour mes idées.
BA. Un pas en avant – les dessous de la corruption
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