Intervention de Sotigui Kouyaté au festival de Cannes 2009

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« Sotigui Kouyaté est un passeur, un reculeur de bornes comme l’aurait dit Césaire », indiqua Olivier Poivre d’Arvor, directeur de Culturesfrance, avant de le décorer de l’ordre des Arts et lettres. Réunis au Pavillon des cinémas du monde le 21 mai 2009, de nombreuses personnalités du monde du cinéma ont rendu hommage au conteur et comédien burkinabé. Toujours friand d’anecdotes qui rappellent l’apport des cultures du Sud, le scénariste Jean-Claude Carrière se souvint avoir demandé à Sotigui Kouyaté comment on disait « bienvenue » dans sa langue et qu’il lui avait donné une soixantaine d’expressions et leur signification. Dans une intervention enregistrée et télévisée, Peter Brooks rappela la qualité de l’apport de Sotigui Kouyaté, à commencer par le Mahabharata auquel il fut fidèle au point de perdre les bénéfices d’une longue carrière dans la fonction publique où il était responsable des promotions. Sotigui a aussi été capitaine de l’équipe nationale de foot du Burkina Faso : « c’est un homme de dépassement » dira encore Olivier Poivre d’Arvor, rappelant qu’il mène de front quatre carrières : comédien de théâtre, metteur en scène, acteur de cinéma et compositeur de musique de films. Fatigué par son insuffisance respiratoire, Sotigui Kouyaté s’est assis mais a tenu à répondre, sans notes, à ces orateurs.

« Cette décoration, c’est grâce à vous, ceux qui m’ont aimé, qui continuent à m’aimer, qui m’encouragent dans mon parcours. Parce que je n’ai pas de carrière. Nous avons tous un parcours. C’est grâce à leur estime, amour, encouragement. Je ne vais pas citer de noms, puisqu’il y en a beaucoup, et j’en oublierais, pas volontairement, et cela nous prendrait des heures, puisque mes différents voyages à travers le monde m’ont permis de m’enrichir avec beaucoup de personnes. Parce que chez nous, comme je le disais tout à l’heure, les rencontres, sont au centre de la civilisation africaine. Donc, toute activité, toute organisation, qui consiste pour les peuples à se rencontrer, échanger leur culture, leur patrimoine, est à saluer. Et j’ai toujours appris et je continue à apprendre.
Mais je vais parler d’abord de certaines personnes qui ont bien voulu m’accompagner ici : spécialement, Son Excellence Monsieur Jean-Claude Carrière parce qu’il m’a beaucoup apporté dans la voie que je suivais sans que je lui dise, parce qu’il a brisé les barrières. Pasolini, que les Italiens me pardonnent, peut-être que je prononce mal le nom, aurait dit que la Grèce est la mère de la culture occidentale mais que l’Afrique en est la grand-mère. Mais en ceci, je ne pense pas qu’il voulait parler de l’infériorité ou de la supériorité d’un État par rapport à un autre. Ce sont des gens qui, je pense, avaient mérité de briser les barrières culturelles. Ce pavillon aujourd’hui, qu’on dit « pavillon des cinémas du monde » mérite son nom, qui était avant « le pavillon du sud ». Cela veut dire qu’il y a eu un grand pas. Or, Jean-Claude Carrière, que j’appelle toujours « Son Excellence », et depuis ce temps beaucoup l’appellent « Excellence » aussi, continue, par ses écrits, par ses oralités, à véhiculer toutes les cultures qu’il a pu toucher et approcher. Il n’y a donc pas meilleur ambassadeur que lui.
J’ai beaucoup appris aussi, j’ai découvert le Mahabharata par eux, lui et Peter Brook. Voilà pourquoi j’ai commencé par le remercier. Peter Brook aussi. Il est un grand frère pour moi, plus qu’un ami. Peter, chaque fois qu’il a eu l’occasion d’aller en Afrique pour rentrer saluer mes parents, il faisait deux choses : ma petite maman, c’est-à-dire la dernière épouse de ma mère, heu, de mon père, excusez-moi, c’est l’effet de l’émotion ; Peter, pour la saluer, se met à genoux comme moi. J’ai dit : « Mais Peter, tu n’es pas obligé de faire cela. » Il me répond : « puisque tu le fais, pourquoi ne pourrais-je pas le faire ? »
La dernière, c’était en décembre 2003, mon oncle malade, il est rentré dans la chambre déchaussé et il s’est agenouillé pour le saluer. C’était au Mali. Nous avons continué au Burkina. Je suis rentré déchaussé et je me mets à genoux pour saluer ma mère, et Peter s’est encore agenouillé. Puisque Son Excellence avait demandé, j’étais venu à une consultation un an et quatre mois avant le début du Mahabharata. Là, après trois jours, Peter m’a pris les mains et m’a dit « Soti, tu fais désormais partie de la famille. » Il n’a pas dit « du groupe », il n’a pas dit « de notre théâtre », il a dit « famille ». Et pour un Africain, le mot « famille » est important. Alors je tiens à leur dire un grand merci ici. Ils m’ont beaucoup ouvert le chemin.
Je suis aussi venu avec une rigueur de travail, parce que la maison tient d’abord par sa fondation. On me demande souvent : « que retenez-vous comme moments les plus importants de votre parcours ? » Je réponds : « ce sont tous les moments passés en Afrique, puisque c’est là qu’est ma fondation. » Et si la fondation est solide, l’édifice peut monter. On dit aussi que le jour où tu ne sais plus où tu vas, souviens-toi d’où tu viens, tu ne seras jamais perdu. C’est pour dire et pour répondre à ceux qui nous questionnent ici. Je ne vais pas rentrer dans le détail, si on me demande de me définir, je dis : « je suis fils de l’Afrique et citoyen du monde. » Donc, ici, le pavillon « cinémas du monde » me correspond. Sans compter que c’est ma troisième venue à Cannes. Les deux premières fois, c’était toujours par Culturesfrance, par voie détournée. C’était en 1993, où j’ai reçu le Prix de la Francophonie. À cette époque, j’étais encore méconnu, sinon même inconnu. Mais en 1999, je suis venu par RFI pour le film de Cheick Oumar Sissoko, La Genèse, qui a eu quand même aussi une aide de l’AFAA à l’époque, qui est aujourd’hui Culturesfrance. Cette fois-ci, je suis là. La famille a grandi par la diligence de Cultures France, TV5, RFI. Donc, c’est la continuité ; voilà pourquoi j’ai dit : « la famille a grandi. »
Je ne voulais pas parler trop, puisqu’on dit « on t’a donné une bouche et deux oreilles, donc parle une fois, mais écoute deux fois. » Je crois que j’en ai abusé. Merci à vous tous.

///Article N° : 8676

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Les images de l'article
Sotigui Kouyaté © toutes photos d'Olivier Barlet
Sotigui Kouyaté et Jean-Claude Carrière
Jean-Claude Carrière rend hommage à Sotigui Kouyaté
Olivier Poivre d'Arvor rend hommage à Sotigui Kouyaté
Souleymane Cissé, Mahamat-Saleh Haroun, Fantamady Camara étaient présents, ainsi qu'une foule de journalistes





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