« J’ai 80 ans, mais j’ai toujours des projets. »

Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Mohamed Aram

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Il est rare de rencontrer un précurseur dans le domaine du 9e art. En Algérie, le premier auteur de BD est Mohamed Aram (1933) qui, en 1967, publia la première série BD de l’histoire de son pays. Rencontre lors du 6e Festival International de la Bande Dessinée d’Alger (FIFDA), sur le stand de la maison d’édition créée par sa fille, MIP-design.

C’est vrai ce que l’on dit, le papa de la BD algérienne, c’est vous ?
J’ai en effet débuté dans la BD avec Nâar, une sirène à Sidi Ferruch, ma première histoire longue. C’était en 1967 dans l’hebdomadaire Algérie Actualités. La parution de la série a duré plus de sept mois. C’était la première BD publiée en Algérie, ce qui fait que maintenant quand on parle de BD algérienne, on pense à moi.

Nâar, une sirène à Sidi Ferruch a une fin étrange…
En fait, il manque l’équivalent de deux pages. Chaque parution étant composée d’un strip de six cases, cela représentait environ deux semaines de publication en plus. En fait, Slim avait proposé à Algérie Actualités une BD sur la guerre de libération nationale. L’hebdomadaire avait hâte de publier cette histoire qui sera d’ailleurs publiée plus tard en album sous le titre Moustache et les frères Belkacem. Alors, une histoire de science-fiction comme était Naâr contre une histoire de la guerre de libération, cela n’a pas tenu la distance. Les responsables n’ont pas voulu attendre deux semaines de plus et ont écourté mon histoire. C’est ce qui a donné cette impression bizarre dans la fin de ma série. Aucune volonté de ma part !

C’était votre première publication ?
Non, en fait, en 1965, je travaillais déjà pour la revue de la police : Police secours. Je faisais des planches et des strips qui illustraient des faits-divers de l’époque. Je me souviens de l’une de ces histoires, un policier qui s’était fait voler sa mitraillette.

Vous avez fait une formation en beaux-arts, je crois…
Oui, c’était dans les années 1945 – 1946. En fait, tout est parti d’une Française, Mme Dalmattou, la femme d’un pilote. Elle a découvert que je dessinais au charbon sur les murs de sa maison. C’était des têtes de cow-boy, avec des traits d’acteurs connus de l’époque. Elle est allée voir mon père et lui a dit que j’avais un don pour le dessin. Mon père a refusé dans un premier temps car il y avait un clochard dans notre quartier qui dessinait très bien. Il avait fait l’amalgame entre le dessin et le destin de ce monsieur. Puis il a cédé.

Comment a commencé votre goût pour le dessin ?
Mon père avait des moutons. Souvent, très jeune, j’accompagnais le berger en charge du troupeau. Un jour, je suis tombé par hasard sur une feuille de couleur où était écrit « Imprimez vos propres documents chez vous ». C’était une publicité de la société Nardigraf. Je leur ai écrit et j’ai reçu un colis. J’ai fait ma première BD, à l’âge de 12 ans Un homme avec son fils font naufrage avec son yacht dans le Pacifique suite à une tempête. Ils échouent sur une île où vivent des indigènes dirigés par une femme blanche.

Et ensuite ?
Ensuite, ce fut la guerre d’Algérie. Le vide. On ne pouvait rien faire pour ne pas être accusé de distribuer des tracts. Pendant ce laps de temps, j’ai travaillé à la boucherie de mon père. Puis, tout a redémarré avec l’indépendance.

Donc, votre carrière commence en 1962 ?
Oui, mais pas en matière de BD. Cette année-là, je postule à la télévision nationale comme décorateur. La concurrence était féroce, alors on m’a pris comme accessoiriste et j’ai commencé à travailler. J’y ai découvert par hasard une bibliothèque pleine de livres dont un en particulier : Comment faire un dessin animé ? Je l’ai lu puis j’ai emprunté une caméra 16 mm et j’ai commencé à créer des petits films animés. Je faisais des petits gags sous forme de dessins animés, image par image pour illustrer les lettres de l’alphabet. Il faut savoir qu’à cette époque, la population était analphabète à 80 %, alors pour faire passer des messages à la télévision il fallait beaucoup passer par l’image.

Vous avez donc été aussi précurseur en matière de dessins animés…
Oui, mon travail a été présenté au Directeur général et mon petit film a été diffusé en même temps qu’un documentaire. Je me souviens ce dessin animé, il m’a coûté 729 dessins, le mouvement, c’est beaucoup de dessins… Le directeur général s’était même étonné et m’avait demandé : « c’est beaucoup, peut-on l’imprimer ? »

Vous avez travaillé longtemps pour la télévision ?
Ah, mais jusqu’à ma retraite ! En parallèle à l’illustration et à la bande dessinée. Je me suis occupé des bancs – titres de la télévision nationale en tant qu’opérateur pendant trente ans ! En dehors de ma production d’ouvrages, c’est aussi une source de fierté.

Vous avez également illustré des ouvrages pour la jeunesse ?
Oui, pour la Société nationale d’édition, une quarantaine d’albums jeunesse, à partir de 6 ans. J’ai pu construire ma maison grâce à ça. À partie de 1972, ce fut l’aventure du journal Guenifeld, qui veut dire écureuil en arabe. Cela a duré 28 numéros, jusqu’en 1978. Je l’ai fait en tant que fonctionnaire de la télévision nationale.

C’est-à-dire ?
À cette époque, il n’y avait qu’un seul parti, le parti unique était le FLN. Celui-ci avait une organisation qui s’appelait la jeunesse du FLN. Je suis allé les voir pour leur dire qu’il fallait plus parler à la jeunesse de la guerre de libération nationale. J’ai donc commencé avec d’autres dessinateurs cette revue qui était une revue gouvernementale pour la jeunesse. Chaque numéro avait une page de jeux, une page éducative, une histoire de l’Algérie…

Mais la télévision nationale n’a pas financé cette revue ?
Non, absolument pas ! J’ai fait mes BD et illustrations en parallèle à mon travail là-bas. À la télé, on n’avait même pas de budget pour faire des dessins animés, ni même d’équipes dédiées. Sans manquer de respect à qui que ce soit, ils payaient les femmes de ménages mieux que nous qui faisions de la télé.

Vous avez aussi travaillé pour M’quidech(1)…
Oui, dès 1969. Le responsable cherchait des auteurs pour un journal pour les enfants, j’ai fait partie de la première fournée. J’ai proposé quelques BD jusqu’à la fin du journal. Il y avait en particulier les histoires de Douïeb, un loup affamé, voleur et menteur qui perd à chaque fois la partie mais aussi les aventures de Rogga, une sorte de Tarzan. J’ai aussi travaillé pour d’autres revues comme Châaba, un média du nouveau FLN.

Quand avez-vous commencé à faire des dessins animés pour vous-même ?
À la retraite en 1994, je suis parti avec 24 mois de salaires. Avec ce montant, j’ai pu acheter du matériel informatique et là, j’ai enfin pu commencer à travailler et faire ce que j’aimais. Résultat, depuis 1995, j’ai produit plus de 80 dessins animés ! Mon astuce est de proposer le film avec la BD, dans le même emballage. Je capture les images, je rajoute des phylactères. Je grave le dessin animé sur un Cd que je distribue avec le petit fascicule – BD issu du film. Cela a donné ma dernière production, Les aventures de Seroîn, qui est présenté à l’occasion du FIBDA. La télévision n’a pas voulu de ma production, mais c’est pas grave.

Vos films parlent de quoi ?
De beaucoup de choses, c’est très varié. Il y a une série sur la prévention routière, sur la vie quotidienne. Mon objectif est de faire quelque chose sur l’histoire de l’Algérie. Partir de l’époque des romains ou même avant, de la prise de Carthage, de l’arrivée des Phéniciens… Parler également de la vie dans le sud. Il me faut beaucoup de documentations sur les habits, les bateaux, etc.

Et l’avenir, justement ?
J’ai 80 ans, mais j’ai toujours des projets. J’ai cédé l’ensemble de mes droits à ma fille, c’est elle qui gère maintenant. Je peux me consacrer à l’aspect artistique. Quand je serai mort, c’est elle qui sera propriétaire. Pour moi, la BD toute seule, c’est fini, pas à cause de mon âge, non ! Mais parce que ce n’est plus comme avant, les journaux algériens ne s’intéressent plus à la BD. Alors, je mène ma barque de mon côté.

(1)M’quidech est la première revue de bande dessinée d’Afrique avec Jeunes pour jeunes. Les deux commenceront la même année (1969) et s’éteindront également dans les années 70.Alger, le 18 octobre 2013.///Article N° : 12027

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Les images de l'article
Extrait de Naâr, une sirène à Sidi Ferruch © DR





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