« Je puise dans la culture que j’aime… »

Entretien de Maureen Murphy avec Oumou Sy et Michel Mavros

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A la fois styliste et engagée dans la diffusion d’internet au Sénégal et en Afrique, Oumou Sy a ouvert il y a 6 ans, avec son mari Michel Mavros, le premier café internet d’Afrique de l’Ouest, convaincus que l’internet est un facteur de développement durable. En juillet 2002, étouffé par les limites de débit imposées par la Sonatel, filiale de France Télécom, le Metissacana ferme ses portes et tente de se redéployer dans une dimension panafricaine. Puisant dans sa culture sénégalaise, Oumou Sy ne limite sa création à aucune frontière. Rencontre avec un couple engagé.

Quel a été votre parcours en tant que styliste ?
Oumou Sy : J’ai commencé à l’âge de 5 ans, à la mort de mon père. J’ai ouvert mon premier atelier à l’âge de 13 ans. Depuis lors je fais la mode, mais je ne pensais pas que je serais connue. C’est venu petit à petit.
Dessinez-vous des modèles ?
Je coupe directement le tissu, à main levée.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je m’inspire de tout et je puise dans ma culture que j’aime. Ça dépend de ce que je dois faire. J’ai trois thèmes différents : le prêt à porter, la collection des rois et des reines d’Afrique (une collection unique) et la haute couture. Tout dépend de ce qui est demandé pour les défilés.

Les rois et les reines d’Afrique ?
J’ai reconstitué tous les costumes des rois et des reines d’Afrique parce que je veux construire un musée. Ce sera très grand et différent des musées d’objets d’art. Pour chaque royaume, on présentera le plat préféré du roi, la gastronomie, les costumes, les accessoires, les intérieur, les armes qu’ils utilisaient… C’est un gros projet, et je ne veux pas l’implanter ailleurs qu’au Sénégal. J’ai eu beaucoup de demandes des Etats-Unis et ailleurs, mais je ne le ferai qu’ici, inch Allah.
Etes-vous en train de collectionner ces objets ?
On ne les collectionne pas : j’ai tout reconstitué. Il ne reste rien, tout a été détruit, il faut tout reprendre. Les histoires des rois, j’ai commencé à m’y intéresser quand j’étais toute petite. Ici, on n’a pas de documentation, mais on a des contes. Ma grand-mère ou son entourage me racontait des choses sur les rois et je posais des questions.
Un musée vivant en quelque sorte.
Oui. Il y aura un domaine d’exposition, c’est ce qui fait que c’est un musée, mais il y aura un espace où les gens pourront vivre comme le roi, écouter sa musique préférée, sentir son parfum, essayer de vivre dans l’esprit de son ethnie. Cela concernera tous les royaumes d’Afrique. Le Sénégal avait 22 royaumes, j’ai tout reconstitué. L’Afrique n’était pas divisée, et puis il y a eu des frontières…
En haute couture aussi vous faites référence aux traditions africaines.
Je suis profondément attachée à l’Afrique. Je suis née ici, j’ai grandi ici. Même si je voyage beaucoup, je suis comme un arbre : j’ai des branches et des racines. Il faut les alimenter. Mais dans ma tête, je n’ai pas de frontière. Je mélange tout. On vient tous d’Adam et Eve. Les frontières, ce sont les hommes qui les ont créées, pas Dieu. C’est normal qu’il y ait des couleurs et c’est normal qu’il y ait des plats différents. Il faut tout mélanger dans la création. Quelqu’un qui crée et qui se limite à un continent ou un pays, ça devient réducteur, on n’a pas besoin de ça.
Y a-t-il un marché au Sénégal pour ce que vous faites ?
Oui, les gens achètent, passent des commandes. Pour le prêt à porter, j’ai une boutique au Metissacana, sinon j’ai des dépôts-ventes. Je vends aussi ici, à la maison.
Quand avez vous commencé à vous intéresser à l’internet ?
Ca fait 6 ans, maintenant. Le Metissacana a été le premier fournisseur d’accès internet en Afrique de l’Ouest. J’en ai fait un site pan-africain. On a toujours été fournisseur, on a développé la formation. On voudrait connecter sans fil 13 500 villages sénégalais (ni téléphone, ni électricité). Mais l’Etat refuse d’accorder la licence pour respecter la position dominante de la Sonatel / France Télécom.
Internet va énormément contribuer au développement de l’Afrique. Internet va réduire les distances. On a par exemple lancé la médecine en ligne qui a fait considérablement baisser la mortalité infantile. A Saint-Louis par exemple, un groupe de jeunes va dans les quartiers pour faire la pesée d’enfants. Ils envoient par internet les données au pédiatre, à l’hôpital, et comme ça, il y a un réel suivi des enfants. Le pédiatre peut convoquer les parents par ce biais là. Pour les pêcheurs, le fait d’avoir accès à la météo marine a fait baisser le taux de morts en mer. Sur le plan agricole aussi, les agriculteurs peuvent suivre le cours du riz, les jeunes les formations. Internet est aussi un outil d’alphabétisation…
M. Mavros : Notre engagement part d’une conviction profonde qu’on est peu à partager, en Afrique et en dehors de l’Afrique. On est convaincus qu’internet est un mass media et que c’est un outil de développement pour le plus grand nombre, et qu’on n’a pas besoin d’avoir un haut débit pour commencer à faire des applications utiles. On a fondé le Metissacana en juillet 1996. On a commencé par faire de la vulgarisation, des milliers de gens sont passés au cyber-café, qui se sont formés, se sont initiés à l’outil, même des analphabètes, et qui après se sont connectés chez eux ou dans leur bureau. C’est comme ça qu’on est devenus fournisseurs d’accès. Et puis, ça a servi d’exemple. Si vous avez maintenant des accès publics à internet à tous les coins de rue, c’est parce qu’on a démontré qu’il y avait un marché, une demande. En janvier 97, on a fait une tournée dans les villages, pour sentir les choses. Les gens étaient au courant, mais pour eux, c’était inaccessible. Avec un partenaire (Initiative), on a développé la plate-forme de Saint-Louis et notamment la pesée des enfants, à mon avis l’exemple le plus concret de télémédecine à moindre coût. Les auxiliaires médicaux font trois fois par semaine le tour des parents abonnés, ils font des relevés. De retour au bureau, ils saisissent ça sur la plate-forme en ligne avec le logiciel qui traite les données. Ça se traduit par un diagramme qui est mis à jour et que le pédiatre peut consulter depuis son bureau. En fonction de la courbe, il appuie sur un bouton qui envoie une convocation avec la référence. Les auxiliaires vont tout de suite voir les parents concernés, les convoquent, ils amènent l’enfant. Parfois ils se déplacent pour rien mais c’est de la prévention.
Oumou Sy : Chaque parent paie 100 francs CFA par mois.
M. Mavros : C’est une économie à l’échelle des moyens des gens. Imaginez que ce soit étendu à l’échelle nationale, c’est tout à fait viable. L’idée des services sur internet, c’est pas de faire du profit, c’est de couvrir les frais. On compte la pénétration d’internet en Afrique en nombre d’ordinateurs. C’est une erreur, puisque les gens se connectent dans des lieux publics : il faudrait parler de bénéficiaires. Les mamans de Saint-Louis et les bébés sont des bénéficiaires. Ils n’ont jamais vu d’ordinateurs. Mais là, on ouvre une autre conception de l’internet qui déplait considérablement à France Telecom, entre autres, et que les Etats ne s’efforcent pas de développer parce que ça les obligerait à des politiques de télécommunication qu’ils risquent de ne pas maîtriser.
Il vous faudrait le soutien du gouvernement ?
M. Mavros : Non, il faudrait qu’on ait des partenaires financiers qui osent s’investir, qui partagent cette analyse. Comme le mobile explose en ce moment en Afrique, internet peut aussi exploser, dès l’instant où on y adjoint une industrie de services. Là où l’Etat est nécessaire, c’est que la législation des télécommunications n’est pas libéralisée.

Metissacana – 30 rue de Thiong – BP 6491 – Dakar, Sénégal
Tel : 00 221 821 90 19 – Fax : 00 221 826 92 54
[email protected] – http ://www.metissacana.sn///Article N° : 2726

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Les images de l'article
Les modèles d'Oumou Sy sur l'île de Gorée © DR
Robe vanneries © DR





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