Kinshasa : la scène rap enflamme le festival MiMi Sud 2007

Print Friendly, PDF & Email

En mars dernier s’est tenue à Kinshasa la troisième édition du festival MiMi Sud dédié à la jeune scène hip hop congolaise. Initié par le Centre national de développement pour les musiques actuelles, fondé à Marseille, ce festival est le point d’orgue d’un large programme de coopération entre cette structure française et des acteurs culturels congolais.

Vendredi 2 mars 2007, 17 h. La tension monte au Centre culturel kinois, le Zoo, situé en face du parc zoologique, qui accueille pour la première fois le festival MiMi Sud. Dans quelques heures, les premiers concerts débuteront. Au programme : quatre jeunes étoiles montantes de la scène hip hop en République démocratique du Congo (Cartel Yolo, RJ Kanierra, Marshall Dixon et Wonderful Music) deux rappeurs de Marseille (Stéphane Le Borgne et Ahamada Smis), les « stars » gabonaises de Movaizhaleine et un groupe de percussionnistes ougandais Percussion Discussion Afrika.
Les groupes terminent leur balance dans la vaste salle un peu désuète. L’impressionnant réseau d’organisation qui prend en charge l’événement fonctionne à plein. Il faut dire que le festival est non seulement préparé depuis des mois mais il vient également clore deux semaines d’ateliers de formation qui ont réuni une cinquantaine de stagiaires. Cette articulation entre formations et festival est l’une des particularités du MiMi Sud. Pour l’Association pour le développement des musiques actuelles (AMI), à l’origine du projet, ce lien est fondamental. Depuis sa création en 1986, l’AMI se donne pour mission d’accompagner et de professionnaliser les acteurs des « musiques actuelles ». Débordant le cadre régional français, elle mène désormais un vaste programme de coopération décentralisée, Cauri (1), qui l’implique en Europe, en Afrique centrale, au Maghreb et au Moyen Orient.
Le festival MiMi Sud, qui fait écho au festival annuel MiMi organisé à Marseille, fait partie de ce programme. Pour l’AMI, les enjeux autour de sa réussite, sont de taille : reconnaissance de son programme de coopération, de ses approches pédagogiques, « légitimation » auprès du milieu culturel kinois… Pour les jeunes acteurs culturels congolais avec lesquels la structure travaille, il en est de même. Les quatre ateliers et le festival organisés représentent des opportunités, rares et précieuses, de renforcer leurs compétences et de tisser des liens avec des professionnels extérieurs.
Une scène rap décidée à se faire une place
21 heures. Le duo marseillais formé par le rappeur d’origine comorienne Ahamada Smis et le multi-instrumentiste Cyril Benhamou ouvre le concert. Dans la salle, de jeunes Kinois, fans de rap, en jeans baggy et baskets, sont venus écouter les figures de la scène locale telles Marshall Dixon et découvrir les nouveaux venus. Malgré l’entrée payante (au prix de 400 francs congolais), la salle se remplit progressivement. Il faut dire qu’au pays du soukouss et du ndombolo rois, les concerts de rap ne sont pas si fréquents. Depuis des années, les leaders de cette jeune scène bataillent pour se faire une place sur le marché national si foisonnant, si exubérant de la musique. Grâce à leur talent, leur pugnacité et leur réel sens de l’organisation, ils sont sur le point d’y arriver. La tenue du festival MiMi Sud, parrainé par le ministère de la Culture, constitue pour eux une victoire.
L’histoire mythique de la musique congolaise doit désormais compter avec ce mouvement. Compter avec Yolande Ngoy, dite « Oracle de Brigade » : sans conteste l’une des révélations de ce festival. Cofondatrice de Wonderful Music Group, en 2006, Yolande, 26 ans, est un volcan hip hop. Sa présence électrique, la rage qu’elle laisse jaillir dans ses textes et son look improbable emportent l’adhésion du public. Dans cet univers essentiellement masculin, celle que l’on surnomme également « Virus » s’impose et clôt son concert en lançant à la salle : « Il faut respecter la femme car c’est elle qui t’accouche ! ».
Autre révélation : RJ Kanierra, jeune artiste originaire de la province du Katanga. Il remporte d’ailleurs, avec Wonderful Music Group, le concours organisé par l’association Vicanos Club, l’une des structures congolaises associées au festival (2). Puisant dans de multiples influences, de la rumba congolaise aux mélodies mandingues, le hip hop de RJ Kanierra parvient à se forger une singularité appréciée dans ce mouvement où se retrouvent trop souvent, du Nord au Sud, les mêmes samples, les mêmes flows.
Dans sa région, RJ Kanierra, 25 ans, est déjà reconnu. Son « posse », Casse-Tête, a remporté l’an dernier le prix du meilleur groupe lors du festival « Nzenze Ngoma Ya Kwetu » organisé à Lumumbashi. Cette année, le public kinois le plébiscite et attend la sortie de son nouvel album intitulé « Treize lois de la jungle ».
Si la musique est omniprésente en RD Congo, les rappeurs se distinguent de la plupart des autres musiciens par leurs textes engagés, qui n’hésitent pas à évoquer la misère sociale que connaît le pays. En Afrique comme ailleurs, les jeunes font de cette musique un outil de dénonciation et de revendication qui clame leur ras-le-bol.
Au Congo, loin de tout complexe à l’égard de leurs aînés et de leur succès, les rappeurs les jugent plutôt sévèrement : « Ils passent leur temps à chanter des conneries : les femmes, l’argent, la gloire, avoir de belles voitures… Comme s’il ne se passait rien dans le pays ! », résume l’un d’entre eux. Á l’inverse, la jeune scène rap chronique souvent avec courage les maux et le chaos du Congo d’aujourd’hui. Ainsi, Cartel Yolo, autre jeune groupe kinois à se produire durant le festival, s’est-il fait connaître en 2006 avec un titre, « Molotshange » (« Calomnie » en lingala) qui raconte les extravagances d’un diamantaire du Kasaï à Kinshasa.
Bref, si la scène hip hop se dit « encore naissante » et peine à s’imposer sur l’important marché de la musique congolaise, elle témoigne d’un dynamisme, un potentiel et une détermination qui devraient lui permettre d’émerger aux plans national comme international dans les prochaines années.
Une nouvelle génération d’opérateurs culturels
Le succès local de cette troisième édition du MiMi Sud doit beaucoup à un jeune artiste qui semble s’imposer comme le chef de fil du rap à Kinshasa : Alex Dende alias Lexxus Legal. Il réussit un pari difficile : être à la fois l’un des rappeurs les plus engagés et les plus populaires du pays et un opérateur culturel très dynamique. Cette année, l’association qu’il préside, Racines Alternatives, co-produit et co-organise le festival MiMi Sud.
L’AMI, la structure marseillaise, n’est pas peu fière de son partenaire. « Lors de la première édition, Lexxus a été programmé en tant qu’artiste et a participé à l’atelier sur le management culturel, rappelle Ferdinand Richard, directeur de l’AMI et du festival. L’an dernier, il intègre l’équipe d’organisation en tant que stagiaire, dans le cadre de la cellule Cado (Cellule d’appui au développement des opérateurs). Cette année, avec son association, nous produisons ensemble le festival. Tous nos objectifs et notre philosophie sont là : renforcement des capacités locales et transfert de compétences ».
Alex Dende ne désavoue pas cette exemplarité. Il reconnaît volontiers les opportunités offertes par le projet de l’AMI, qu’il a su saisir : « J’ai beaucoup appris. Cela m’a permis d’être repéré, confie-t-il au journal du festival. Le bénéfice aujourd’hui, c’est que nous sommes parrainés par le ministre de la culture et des arts. Nous ne passerons donc plus inaperçus. C’est beaucoup plus simple pour canaliser les discours sur le rap, et demain, je l’espère, organiser une autre édition ou un autre festival. »
Lexxus voit loin et grand. Son combat pour la reconnaissance du hip hop au Congo ne date pas d’hier. Au tournant des années 1990, alors étudiant en commerce extérieur, il écrit ses premiers textes de rap. Dix ans plus tard, il crée le groupe Pensée Nègre Brute (PNB). En 2003 et 2004, alors que le hip hop est interdit de diffusion sur les chaînes de télévision de la capitale, il proteste vigoureusement dans les médias. Il y explique inlassablement que cette musique n’est pas intrinsèquement liée à la délinquance. Pour défendre la cause de tous les rappeurs du Congo, il va jusqu’à plaider au Parlement de transition…
La sortie de son premier album, en 2006, « Artiste Attitude », confirme son ascendance. Le titre éponyme devient un tube, un « cri de ralliement » du mouvement rap kinois. Lors du festival, le public a d’ailleurs réclamé à corps et à cris ce titre fétiche. Présentateur des soirées, Lexxus a donc improvisé une prestation scénique, démontrant toute sa polyvalence et son talent d’artiste… devant une salle en délire. Un grand moment du MiMi Sud.
Mais Alex Dende et sa structure Racines Alternatives, s’ils sont les principaux partenaires congolais de l’AMI, ne sont pas les seuls à intervenir dans le projet Cauri. La cellule Cado (Cellule d’appui au développement des opérateurs), dirigée par Emmanuelle Choin, réunit cinq autres acteurs culturels qui tous ont joué un rôle déterminant dans l’organisation du festival.
Hamidou Elebe, 28 ans, infographe et webdesigner, était en charge de la commission Communication du festival. Il dirige le premier site web consacré à la scène hip hop congolaise : ndule2kin (« ndule » signifie musique en lingala, voir www.ndule2kin.com). Mine d’informations et forum interactif, ce site rencontre un vif succès et témoigne de l’intérêt des jeunes Congolais pour les technologies numériques.
Patrick Mudekereza, 24 ans, secrétaire général adjoint de l’une des associations culturelles les plus dynamiques de Lumumbashi : le Vicanos Club (Vicanos provient de l’expression latine « vicus noster », « notre village »), prenait part activement à l’administration de l’événement, aux côtés de l’équipe de l’AMI et d’Alex Dende. Egalement rédacteur en chef du très beau magazine culturel du Katanga, Nzenze, et responsable du site Internet du centre culturel lushois la Halle de l’Etoile, Patrick s’apprête à gérer dans quelques mois, avec son association, un important projet inédit : le forum citoyen de la jeunesse, subventionné par la délégation de la Commission européenne en RDC.
Paul Strong Ngeleka et Rigobert Mbila N’dakambo sont tous deux à la tête d’associations locales – Dynamusik pour l’un, « Musique pour Tous » pour l’autre – qui œuvrent au développement des musiques « marginales » au Congo. Dynamusik répertorie et protège les œuvres émergentes non commercialisées et réalisées par des artistes du pays. Elle réalise des maquettes, promeut ces musiques dans les médias et organise des stages de formation et des concerts. « Musique pour Tous » travaille à diversifier le marché musical congolais en valorisant d’autres musiques que le ndombolo, notamment « tradi-expérimentales ». Ces deux structures ont été étroitement associées à la programmation du MiMi Sud.
Enfin, Nerry Gelezi, qui dirige l’association Aaprocul’Art (Association africaine pour la promotion culturelle et artistique) se consacre au management et à l’administration de groupes depuis quatre ans. Il travaille entre autres avec Jean Goubald, Djonimbo et Nsumuenu. L’AMI lui avait délégué, entre autres tâches, une grande part de l’accueil des artistes et de la logistique.
Ces six acteurs culturels ont donc joué, aux côtés de l’équipe de l’AMI (composée de Ferdinand Richard, Emmanuelle Choin, Elodie Le Breut et Sylvie Moriset) un rôle capital dans l’ancrage local du festival et des ateliers. Et si les concerts ont doublé leur public comparativement à l’édition précédente en 2005 (1000 spectateurs cette année), cela témoigne en grande partie de leur investissement considérable.
Objectif principal : le transfert de compétences
Cet investissement croissant des opérateurs congolais fait partie, pour l’AMI, des objectifs principaux du programme Cauri. Les ateliers organisés deux semaines avant le festival ont la même mission : le renforcement des capacités locales. Quatre formations étaient assurées et destinées à une cinquantaine de professionnels congolais : régie son, prestation scénique, nouvelles technologies et « k-dense » qui proposait l’exploration des interactions entre l’image et les autres formes artistiques, notamment la danse. Chaque atelier, animé par un professionnel européen, se déroulait dans un lieu différent (CCF Halle de la Gombe, Centre Wallonie Bruxelles, Centre culturel le Zoo et Agence universitaire de la Francophonie à Kinshasa).
L’originalité et l’intérêt de ces formations tiennent dans leur articulation avec le festival et dans leur continuité. Contrairement à de nombreuses initiatives pilotées depuis le Nord et souvent décontextualisées, ces ateliers, organisés à chaque édition, tentent de poursuivre d’une année sur l’autre un apprentissage avec les mêmes personnes. Ils se présentent comme des « exercices grandeur nature » qui s’appliquent à la préparation du festival.
L’atelier « régie son » regroupait sept régisseurs son congolais, la plupart autodidactes. Á chaque édition, le formateur retrouve les mêmes professionnels et parvient donc à inscrire son approche dans la durée. La dynamique impulsée par l’atelier a d’ailleurs donné envie aux « stagiaires » de créer une « cellule d’échange d’expériences » : Nouvelle culture sonore.
De même, Pierre Vignes, responsable de l’atelier Nouvelles Technologies, travaille avec une même poignée d’artistes et d’opérateurs sur les stratégies de communication et de promotion d’activités à travers l’usage du web et des NTIC.
L’atelier prestation scénique s’adresse aux trois jeunes groupes hip hop locaux sélectionnés pour se produire durant le festival. Yolande, de Wonderful Music Group, reconnaît l’apport de cette expérience pour sa première grande prestation kinoise : « C’est ce dont le groupe avait besoin. J’ai pris conscience de l’importance de la concentration avant d’entrer en scène et, grâce aux exercices vocaux, je gère mieux ma voix maintenant. »
Enfin, l’atelier k-dense, animé depuis trois ans par le musicien et cinéaste belge Thierry de Mey et le réalisateur Rudi Maerten, est sans doute le plus expérimental. Il a réuni sept jeunes artistes congolais parmi les plus talentueux (Kens Mukendi Kakona, vidéaste et percussionniste ; Junior Tchiteya, vidéaste ; Michel Ngongo, arrangeur musical ; Dinosaure, danseur hip hop ; Mamie Claudine Mambu, musicienne et comédienne ; Bibish Mumbu, journaliste et écrivaine et Papy Ebotani, danseur et chorégraphe). Chacun d’eux a pu y développer son propre projet audiovisuel en bénéficiant du regard et de l’expérience des deux formateurs.
Au final, les ateliers semblent avoir largement bénéficié aux « stagiaires ». Tous mettent en avant l’importance de leur continuité et de leur articulation avec le festival. Cette réussite n’évacue pas cependant quelques questions. Pourquoi tous les formateurs sont-ils européens ? Ne peut-on faire appel aux professionnels africains pour assurer ce type d’atelier sur le continent ? Les Européens sont-ils les mieux placés pour comprendre les attentes et les contraintes des acteurs culturels africains ?
De même le relatif succès du festival n’empêche pas certaines interrogations de poindre. Au regard du budget considérable et de l’immense énergie collective investis dans cette manifestation, son impact local reste très réduit. Á cela plusieurs raisons : le choix du lieu de la manifestation (le CCF puis le centre culturel du Zoo cette année n’étant pas des espaces très populaires), l’entrée payante des concerts mais surtout l’absence de partenariat avec les plus grands producteurs et promoteurs de musique congolaise. Ainsi le festival semble-t-il cantonné à un milieu culturel restreint. Nombre de journalistes n’ont d’ailleurs pas manqué de relever ces différents points.
Á travers son concept de « festival-atelier », l’AMI tente de renouveler une certaine approche de la coopération culturelle autour de deux idées force : d’une part ne plus concevoir d’événements ponctuels sans retombée durable sur le secteur culturel local, et d’autre part s’attacher à la formation de ses acteurs afin de les considérer comme de réels partenaires. Il est sans doute encore trop tôt pour pouvoir mesurer si la structure française a atteint ses objectifs. Son initiative est incontestablement à saluer mais elle nécessite d’être menée encore quelques années avant de pouvoir en tirer un bilan approfondi.

1. Pour plus d’informations, voir le site de l’AMI : www.amicentre.biz
2. Les deux lauréats sont invités à la fin de l’année à se produire en tournée dans le Katanga, dans le cadre d’une « caravane citoyenne » organisée par Vicanos Club.
///Article N° : 6732

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article
ALEX DENDE DIT "LEXXUS LEGAL". © DR.
Yolande et le Wonderful Music Group, l'une des révélations du festival. © Gislain Gulda Elmagambo
RJ Kanierra, rappeur de Lumumbashi, a su conquérir le public kinois. © Gislain Gulda Elmagambo
Marshall Dixon, figure du hip hop kinois et un ami. © Ayoko Mensah
Hamidou ELEBE, directeur du site web de référence sur le hip hop et le r'n'b congolais : Ndule2kin. © DR.
ATELIER DE PRESTATION SCÉNIQUE AVEC LES JEUNES GROUPES DE HIP HOP CONGOLAIS. © SYLVIE MORISET





Laisser un commentaire