Koffi Koko lance un festival au Bénin

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Initiée par le chorégraphe béninois Koffi Koko, la première édition du festival « Atout African » a eu lieu à Ouidah, en janvier 2002.

L’époque est au retour. On ne compte plus les grands artistes africains, qui après avoir obtenu un succès occidental, cherchent à s’investir à nouveau sur leur terre natale. Ce mouvement est particulièrement sensible chez les chorégraphes. La Sénégalaise Germaine Acogny, les Burkinabés Salia Sanou et Seydou Boro, en ouvrant des centres chorégraphiques dans leurs pays respectifs, en sont trois exemples éclatants. Koffi Koko, danseur-chorégraphe béninois de renommée internationale (on a pu le voir récemment dans la magnifique adaptation chorégraphique des Bonnes de Jean Genêt par le Japonais Yoshi Oida), pionnier d’une danse africaine renouvelée dans le sillage d’Elsa Wolliaston, amorce lui aussi ce retour. On lui doit la première édition du festival « Atout African » qui s’est déroulé, du 3 au 21 janvier 2002, dans l’historique cité négrière de Ouidah, sur le littoral béninois.
Entre vodun et modernité
Une dizaine de compagnies de danses traditionnelle et contemporaine africaines était programmée, pour la plupart béninoises, les autres venant de cinq pays de la sous-région : Mali, Tchad, Burkina Faso, Sénégal et Côte d’Ivoire. Le mot d’ordre du festival ? Revendiquer non une rupture mais une continuité dans la création chorégraphique africaine contemporaine. « Rendre hommage à la tradition avant de s’ancrer résolument dans le présent et la création contemporaine » résume cette position qui anime bon nombre de pionniers de la nouvelle danse africaine tels Germaine Acogny, Souleymane Koly ou Alphonse Tierou. Pour Koffi Koko comme pour eux, la création contemporaine doit se fonder « sur la richesse immense de la tradition séculaire ». Pas question de renier, de délaisser ce vocabulaire premier sous prétexte de modernité. Cette génération aînée prône en général un enracinement de la danse dans sa culture d’origine et met souvent en garde les jeunes qui s’orientent davantage vers une rupture.
« La danse n’est rien d’autre qu’un moyen par lequel je peux envoyer des messages. Il est important à travers elle d’installer un réseau de signes à la fois universels, mais aussi spécifiques à ma culture d’origine », souligne Koffi Koko. Son art est « l’expression d’une liberté intégrale, mais qui part de ses souches. Sa danse, comme celle contemporaine en général, se rapproche du sacré et du secret », ajoute Florent Eustache Hessou.
Atout African, avec sa programmation couvrant un vaste champ d’expressions, a illustré cette volonté de ne pas exclure, séparer, compartimenter souvent abusivement. Du Ballet national béninois aux jeunes compagnies prometteuses de danse contemporaine (Kongo Ba Teria du Burkina Faso, Les Tréteaux du Tchad, La 5ème Dimension du Sénégal, Ori-Dance Benin ou encore La Jeune Compagnie de danse malienne) en passant par le solo de la chorégraphe italienne Sabina Ignoti, l’éclectisme affiché du festival a eu le mérite de permettre à des acteurs très différents de la danse de se rencontrer et d’échanger.
Autre spécificité d’Atout African, sa liaison avec la journée nationale du vodun le 10 janvier qui donne lieu à d’importantes festivités à travers tout le pays. On connaît l’attachement de Koffi Koko aux cultes animistes vodun. La danse est chez lui inséparable de ses convictions religieuses. « Mes premiers hommages, dit-il, je les rends d’abord aux divinités. Chaque année, je célèbre le vaudou protecteur. C’est pourquoi j’ai eu envie de programmer le festival à cette période, afin de reconsidérer la dimension chorégraphique de ces célébrations et de revaloriser encore nos traditions. »
Entre revalorisation et risque de subversion, la marge de manœuvre semble relativement faible. Cela n’effraie pourtant pas Koffi Koko qui a pris soin d’associer à l’organisation du festival les dignitaires vodun de Ouidah, le président du comité local du festival n’étant autre que le fils aîné du Daagbo Hounon, chef spirituel du vodun au Bénin, Robert H. Hounon. Cette association entre fêtes vodun et création chorégraphique se veut l’une des originalités du festival. Si elle n’a pas manqué de plaire aux invités occidentaux, elle a aussi été critiquée par des artistes africains. »Nous, les pratiques animistes, on connaît, affirmait ainsi l’un d’eux. Cela nous dit peu de choses et je ne crois pas que ce soit un aspect de nos cultures à encourager. »
Sensibiliser le public
Le débat autour du sempiternel dilemme de la création africaine prise entre tradition et modernité a été au cœur du colloque organisé en marge du festival. Sur le thème : « De la tradition à la création artistique et littéraire contemporaine », il s’est déroulé durant trois jours à la Maison de la Culture de Ouidah. Y ont pris part de nombreux intellectuels et personnalités culturelles béninoises notamment le sociologue Emile Désiré Ologoudou, le linguiste Toussaint Tchitchi, l’historien Emmanuel Karl ou encore le jeune dramaturge et directeur adjoint du Ballet national Eustache Florent Hessou. L’objectif principal de ce colloque était de jeter les bases « d’une réflexion scientifique sur la création » qui puisse éclairer la conduite et la philosophie d’un futur centre chorégraphique. Son caractère transdiciplinaire n’a pas manqué d’intérêt.
D’autres manifestations ont eu lieu en marge des spectacles et du colloque : concerts, stages de formation, exposition-vente d’arts plastiques… Le programme de cette première édition d’Atout African a peut-être voulu voir trop grand. Quelques problèmes d’organisation ont été soulevés. Mais la grande réussite du festival est indéniable. En donnant aux Ouidahniers un accès gratuit à tous les spectacles, il a permis à un public populaire de découvrir une nouvelle danse africaine, de le sensibiliser à de nouvelles formes. Lorsqu’on sait la difficulté qu’ont les jeunes compagnies de danse contemporaine africaines à se produire devant un public populaire, se heurtant souvent à une forte incompréhension lorsque ce n’est pas une franche hostilité, on ne peut qu’encourager toute entreprise de sensibilisation. N’est-ce pas la condition sine qua none pour que la danse continue de se développer sur le Continent ? Les chorégraphes peuvent-ils perpétuellement se couper de leur public local ?
A Ouidah, 2500 personnes étaient au rendez-vous chaque soir, au Musée d’Histoire de la ville, pour assister aux spectacles. La première édition d’Atout African, réalisée dans des conditions financières (seule l’Agence intergouvernementale de la Francophonie y a apporté une aide substantielle) et logistiques difficiles (avec un trafic aérien très perturbé) a porté pour la ville et plus largement pour le Bénin de grands espoirs. La pose de la première pierre du centre de formation et de recherche chorégraphiques, qui devrait s’élever sur la route de Kpomassè, a été un des temps fort de cette manifestation qui doit se renouveler en janvier 2003.
Décidément, la danse contemporaine a le vent en poupe en Afrique.

///Article N° : 2418

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