Kouka Aimé Zongo : un battant parti trop tôt

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Le cinéaste burkinabè Kouka Aimé Zongo est mort à 36 ans suite à une rechute d’une hépatite à l’hôpital de Ouagadougou dans la nuit du 16 avril 2012. Ceux qui l’ont connu savent quelle énergie il a déployé pour s’imposer, parti de rien, dans le petit monde du cinéma burkinabè. Retour sur l’itinéraire d’un ami et hommage à sa détermination.

C’était au Fespaco de 1995. Kouka était de toutes les conférences de presse des cinéastes, non seulement présent mais actif, posant des questions, cherchant à les rencontrer, se faisant tirer le portrait avec eux ! Nous avions échangé de temps à autre. Il me disait son envie de faire du cinéma. Il ne pensait qu’à ça. Il avait 19 ans. La cérémonie de clôture était très éloignée du centre-ville. J’étais arrivé en retard et le Président du Faso étant déjà sur place, les portes avaient été fermées. Kouka était bloqué aussi et je lui avais proposé de le ramener à califourchon sur la vieille mobylette P50 « fatiguée » qui me permet de me déplacer aisément à Ouaga. Nous avons parlé : une solide amitié est née.
Depuis, il ne se passait pas un mois, voire une semaine, sans que nous ne nous téléphonions, échangions des messages et bien sûr nous voyions à chaque Fespaco. Kouka venait d’un milieu très modeste : il n’avait pour seul atout que sa force de caractère, d’ailleurs redoutable ! Comme Drissa Touré ou Cheick Fantamady Camara, il a appris sur le tas et est vite devenu un premier assistant-réalisateur efficace, une compétence appréciée dans le cinéma burkinabè qui en manque. Dominique Zeyda, également décédé, avait à cet égard laissé un vide difficile à combler.
Mais il ne voulait pas en rester là. Son but était de réaliser et il avait très tôt créé pour cela sa propre maison de production, Eth’nik Production (devenu plus tard Focus), avec des locaux spacieux non loin du cinéma Neerwaya, à la Cité de l’an III, qu’il comptait partager avec d’autres initiatives de cinéma. Il était conscient que réaliser demande une vision du monde et voulait muscler son savoir et sa pensée. C’est ainsi qu’il a suivi des études de sociologie et a obtenu une maîtrise qu’il voulait pousser jusqu’au doctorat. Il visionnait en outre tous les films qui lui tombaient sous la main et ne cessait de me soumettre ses scénarios tout en posant mille questions d’esthétique et de montage.
Les quelques films qu’il a réalisés témoignent de ce souci de construire un regard. C’est manifeste dans sa série télé Le Garage du peuple où Kouka se posait ardemment la question du cadre, de l’angle de la caméra, de la distance au sujet, des stratégies de mise en mouvement, etc., ce qui lui permettait d’éviter l’image plate que nous délivrent souvent les séries télé. Il multipliait ainsi les perspectives et une mise en scène cherchant à servir l’action pour dynamiser le récit (cf. [critique n° 8309]).
Ce travail trouvait sa meilleure expression dans sa dernière réalisation, Alima, une série d’interventions pédagogique diffusée sur les chaînes burkinabèes et présentée au Fespaco de 2011, qui suit les déboires conjugaux d’une jeune femme victime de fistule obstétricale. Réalisé en collaboration avec Guy-Désiré Yaméogo, le scénario de la saison 2 du Garage du peuple était prêt et les démarches engagées auprès de CFI qui avait acheté la première saison. Dans un entretien avec Emmanuel Sama, Kouka avait détaillé le parcours du combattant qu’il avait dû suivre pour arriver à finaliser la première saison (cf. [entretien n° 10706 sur Africiné]).
J’avais encouragé Kouka à profiter des opportunités de résidence d’écriture offertes par Africadoc et il avait été retenu pour une session au Togo : un projet de documentaire sur la situation des prisonniers en attente de jugement, Avant l’audience, en était sorti qu’il avait tourné ces derniers mois. En accord avec son producteur Yves Billon, son assistant Yssouf Koussé va terminer ce qui restait à tourner et le film sera monté. Là encore, Kouka s’était posé toutes les questions esthétiques qui pouvaient soutenir son passionnant sujet. Finaliser et voir ce film sera un dernier hommage, non seulement au cinéaste combatif mais aussi à l’homme engagé, fervent croyant, père de famille dont les deux petites filles, Grâce et Nicole, réaliseront plus tard combien leur papa s’est battu pour pouvoir créer.
Dans Ouaga Paradiso (2011), Thierry Robert avait choisi quatre jeunes cinéastes burkinabés pour témoigner de la force de volonté de la nouvelle génération. Kouka en faisait partie. La scène où il se battait pour rouvrir à Zorgho, son village natal, une salle de cinéma fermée depuis longtemps pour y projeter son film à sa grand-mère en même temps qu’au reste du village est extrêmement touchante : la coupure électrique empêche la projection mais tout le monde se serrera finalement autour d’un poste de télé pour le visionner quand même !
J’ai devant moi la belle photo que Jean-Michel Humeau avait faite de Kouka lorsqu’il était premier assistant sur Voyage à Ouaga de Camille Mouyeke. Quel dommage qu’il n’ait pu continuer son périple ! Les morts ne sont pas morts : nous pleurons leur absence mais ils continuent de nous accompagner. Il y a dans son sourire autant que dans son regard une extraordinaire volonté. Kouka ne laissait jamais tomber : une belle leçon pour les vivants !

///Article N° : 10713

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Les images de l'article
Aimé Kouka Zongo © Jean-Michel Humeau
Aimé Kouka Zongo, février 2011 © Olivier Barlet
Dans les locaux de Focus © O.B.
© O.B.
© O.B.
A Laongho, juin 1996 © DR
en 2007 © O.B.
en 2003 © O.B.
© Kaz en 2003





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