La compagnie des Griots ou l’ambition d’un « véritable théâtre noir moderne »

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Guadeloupéen, venu à Paris pour faire des études de Lettres, Robert Liensol (qui aura aussi pour nom de scène Omer Sollèn) fréquente la Sorbonne, quand il rencontre Toto Bissainthe, Sarah Maldoror, Samba Ababakar et Timité Bassori, quatre jeunes comédiens noirs originaires des Antilles et d’Afrique qui s’étaient associés pour monter Huis clos de Jean-Paul Sartre. La rencontre sera déterminante : « Lorsque j’ai assisté à leur création de Huis Clos, confie-t-il, ce fut une révélation, un choc. Cette pièce à quatre personnages, montée par des acteurs noirs, m’a fait prendre conscience que ce qui importe pour un comédien, ce n’est pas la couleur de peau, mais la force intérieure qui se dégage du personnage et son talent pour la métamorphose. »(1) Le groupe présente le spectacle au Concours national du théâtre universitaire, se constitue en 1956 en Compagnie et remportera le 2e prix du concours : Les Griots sont nés !

Robert Liensol finit par rejoindre en 1957, la troupe qui travaille alors avec Roger Blin. Celui-ci décide de mettre en scène L’Invité de Pierre de Pouchkine et propose le rôle de Dom Juan à Robert Liensol. Puis en 1958, la troupe s’agrandit. Les Griots montent L’Ombre de la ravine de J.M. Synge qu’ils jouent à Parme dans le cadre du Festival international du théâtre universitaire. Et toujours avec Roger Blin, ils préparent La Fille des dieux de Abdou Anta Ka qu’ils présentent à Parme et à Douvaine en même temps qu’un montage poétique de J.J. Morvan. Robert Liensol va prendre alors la compagnie en main, il devient directeur de la troupe et décide de lui instiller une autre dimension, celle de « grouper tous les comédiens noirs, leur donner les moyens de se perfectionner, et sortir enfin de ce vieux cercle vicieux : pas de rôles valables pour les comédiens noirs, parce que pas de comédiens noirs valables – pas de comédiens noirs valables parce que pas de rôles valables pour les comédiens noirs. »Cercle vicieux que Les Griots se donneraient pour vocation de briser. Ce qui voulait dire avoir aussi l’ambition de « créer un véritable théâtre noir moderne »,(2) autrement dit susciter un répertoire, mais aussi « former les jeunes comédiens, c’est-à-dire instaurer un vrai cours d’art dramatique original, ces pièces et ce cours se distinguant des autres par un style adapté à leur personnalité. »(3)
Arrive enfin Les Nègres, dont l’aventure commence en 1958 en Suisse, puis ce sera la création au Théâtre de Lutèce, la reprise au Théâtre de la Renaissance et une succession de représentations jusqu’en 1961. Mais si la pièce cristallise l’histoire des Griots, c’est que cette pièce, la compagnie s’y était vraiment préparée et savait la provocation qu’elle représentait et la violence des réactions qu’elle ne manqua pas de susciter. « Tout ce que nous avons fait avant Les Nègres« , se souvient Robert Liensol, « a été en vue des Nègres. On avait faim de théâtre et faim de cette pièce. Nous étions conscients de son caractère inédit et provocateur. C’est pourquoi, ensuite, il était hors de question d’accepter n’importe quoi. »(4) En 1963 Roger Blin met en lecture avec la compagnie des Griots La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire au Théâtre de Lutèce, mais c’est Jean-Marie Serreau qui reprendra la pièce un an plus tard. En 1964, l’année où se dissoudra la compagnie, Melvin Van Peebles monte avec Les Griots une pièce adaptée de son roman La Fête à Harlem.
Après la dissolution des Griots, commence alors pour Robert Liensol et d’autres acteurs, comme Greg Germain, un long compagnonnage avec Antoine Bourseiller et ce sera entre autres Chemises de Nuit de François Billetdoux, L’Esclave de LeRoi Jones, L’Allégorie des eunuques noirs d’Eldridge Cleaver.

Quelques noms d’acteurs qui sont passés par la troupe des Griots :
Samba Ababakar, Jenny Alpha, Judith Aucagos, Patrice Bada, Gisèle ka, Timité Bassori, Marie-Louise Baustier, Mathilde Beauvoir, Daniele Bercheycke, Amboise Bia, Toto Bissainthe, Raoul Blirando, Louis Bongor, Line Camprasse, Édouard Coffi, Mamadou Condé, Claudie Congré, Michel Costret, Christiane Edapierre, Lydia Ewandé, Dia Fara, Edmée Fortin, Greg Germain, Georges Hilarion, Anne Kacou, Darling Légitimus, Théo Légitimus, Gérard Lemoine, Robert Liensol, Sarah Maldoror, Astrid Manga, Maïthe Mansoura, Françoise Marie-Catherine, Liane Matouba, Gervais Mavoungou, Raphaël Mounkala, Paulette Renay, Douta Seck, Amadou Sissoko, Tim Sori, Touré Bachir, Franck Valmont, Wand Wiener…

1- « Paroles d’acteurs. Robert Liensol : portrait par Sofia Zerbib », in Racines noires, rencontre des cinémas du monde, catalogue 2000, p. 86.
2- Ibid.
3- Ibid.
4- Entretien accordé à Héric Libong, L’Humanité, février 2001.
///Article N° : 11658

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