La confrérie des chasseurs de l’Ouest-Africain, une histoire plus que millénaire

Entretien d'Alexandre Mensah avec Youssouf Tata Cissé

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Ses racines plongent au plus profond de la mémoire des peuples africains et de leurs migrations. Le moindre passage de son histoire suffit à révéler qu’il s’agit d’une gigantesque « institution » des civilisations d’Afrique de l’Ouest. Youssouf Tata Cissé, ethnologue et chercheur au CNRS, est spécialiste des civilisations mandingues.

En tant qu’ethnologue malien, quel est votre rapport à l’univers des chasseurs traditionnels ?
Je suis moi-même membre de la confrérie des chasseurs depuis mai 1959. C’était à Kiniégué, au sud du Mali, à 130 km de Bamako. Les chasseurs, sachant que j’étais un ancien de la coloniale, m’y ont fait adhérer à mon corps défendant, car un peu partout en Afrique de l’Ouest, tous les anciens combattants, même ceux qui comme moi n’ont pas combattu, sont introduits dans la confrérie des chasseurs. On gratifie d’ailleurs ceux qui ont combattu du titre de mafa donso, chasseurs tueurs d’hommes. C’est le titre que l’on donne à Bitton Coulibaly. Vous savez, dans la guerre, c’est l’ennemi qui devient le gibier. Vous le tuez ou il vous tue. On m’a donc amené au dankun, ce triangle des chasseurs, à l’occasion de la levée de deuil d’un très grand chasseur de Kiniégué. C’était le chef de la confrérie de ce village, un Traoré, descendant de Tiramakan, le général en chef des armées de Soundjata. Comme j’habitais chez eux, je ne pouvais pas m’y soustraire. Par la suite, ils ont su que dans ma famille, mes oncles, mon père, mes grands-frères avaient chassé, et que moi-même, je chassais comme ça au petit bonheur la chance. Et depuis, je n’ai pas arrêté de suivre les chasseurs. Je me suis intéressé à leur musique, à leurs croyances et à leurs rituels qui sont vraiment emprunts de sagesse et de savoir. Je ne peux pas depuis lors échapper aux lois des confréries de chasseurs. Partout où je vais en mission, je fais en sorte d’aller rendre visite aux maîtres de la chasse, chose que beaucoup de chasseurs ne font plus, et cela, même si je ne chasse plus depuis longtemps.
Est-ce cela qui vous a motivé dans la publication de votre ouvrage sur les confréries de chasseurs traditionnels ?
J’ai écrit cet ouvrage pour m’acquitter d’une dette envers un vieux chantre des chasseurs, Bougoba Djiré, de Tjébala, qui m’a transmis le récit initiatique de Boli Nyanan. Je l’ai fait aussi pour honorer la mémoire d’une femme de chasseur, Ba-Bintou Doumbia qui, la première, m’a raconté le mythe de Sânènè et Kòntròn, les divinités tutélaires de la chasse. Mon projet initial était d’y mettre tous les aspects des confréries Malinké, Bambara et Dogon. Je me suis aussi intéressé à la chasse chez les Peul, les Bozo, les chasseurs du Bélédougou, du Wassoulou et chez les Némadid. Mais pour étudier ces derniers, il fallait aller jusqu’à Tishit, ce qui m’était impossible à l’époque. Oui, je n’ai pas pu tout faire et j’ai dû alors pousser d’autres jeunes à la roue. En ce qui me concerne, j’ai recherché les origines de la chasse les plus reculées qui soient : ce qui est enseigné aux jeunes chasseurs par les maîtres. Car on ne peut pas parler des confréries sans parler de ce qui se passait avant. Puis j’ai abordé la fondation de la confrérie des chasseurs, le donso tòn, telle qu’elle est évoquée de nos jours. Ce n’est pas un culte, que l’on appelle djo et qui est lié au mystère, mais un tòn, c’est-à-dire une association de personnes tendant vers un même but. J’ai étudié ensuite son fonctionnement, son enseignement et ses différentes manifestations, telles que les musiques et cérémonies, le contenu philosophique, politique, spirituel, bref, tout ce qui se fait et se dit au niveau de la confrérie des chasseurs. Dans cet ouvrage, j’ai commencé par les Diaruw, les chasseurs itinérants qui, il y a six mille ans et même avant, allaient de la vallée du Nil vers celles du Niger et du Sénégal. Ils suivaient toujours cette fameuse étoile qu’est Sirius, au coucher et au lever. A l’époque, l’activité principale n’était pas l’agriculture mais la chasse. Hommes, femmes, enfants chassaient à certaines époques de l’année sous formes de battues. Cette forme de chasse a perduré jusque dans les années 50 où elle fut interdite, notamment dans la région du centre du Mali qui la pratiquait encore. Ces Diaruw se déplaçaient par clans. Ils se connaissaient et fréquentaient les mêmes grands centres de célébrations, sur l’étendue d’une très grande région. Vous n’avez pas idée de la distance qu’un chasseur pouvait parcourir. Aujourd’hui, les chasseurs du centre du Mali se rendent encore jusqu’au bord de la mer en Gambie. D’autres allaient jusqu’au cœur du Burkina actuel. D’autres remontaient jusque dans le grand nord chasser l’élan derby, les biches robert et les girafes. Il n’y a pas longtemps, c’était encore comme ça. Le chasseur était nomade, d’où son titre dioula. « Dioula » ne veut pas dire commerçant, comme d’aucuns chercheurs le croient, mais chasseur itinérant. On appliquait l’appellation aux chasseurs Soninké itinérants qui partaient de l’actuelle Mauritanie, où se trouvait l’Empire du Ghana, pour aller chercher la noix de cola au nord de la Côte d’Ivoire. Certains d’entre eux ont d’ailleurs fini par s’y sédentariser il y a 1500 ans. Le Worodougou et le Diouladougou en Côte d’Ivoire sont de leur fondation, alors que les Baoulé ainsi que les ancêtres du général Guei n’y étaient pas encore. Ces gens ont défriché des pays comme Samatiguila, Kòro ou Kon. Mais revenons aux Diaruw. On retrouve des cercles de pierres levées, depuis l’Egypte et l’Ethiopie jusqu’à l’océan atlantique, qui marquent leurs itinéraires. Ils réalisaient de même dans des auvents des peintures pariétales. Celles du sud algérien ont incontestablement pour auteurs les Diaruw. Leurs descendants directs sont les Kakòlò au Mali, certains Senoufo, Dogon et Gabibi. Ces peuples de chasseurs sont, au fur et à mesure des sécheresses, descendus vers le sud. C’est pourquoi on constate une unité culturelle indéniable dans tous les rituels de chasse d’Afrique de l’Ouest, à travers les tenues, les coiffures, la musique et la mythologie.
Qu’est ce qui a amené ces peuples de chasseurs à la sédentarisation ?
Ce sont ces grandes sécheresses dont on parle tant. Nous, Soninké, nous nous situions dans la vallée du Nil, d’où nous sommes originaires. C’était il y a six mille et quelques années, avec Mâmy, un roi chasseur devenu guerrier, au lieu dit Saï, une métropole de l’époque. D’autres grands centres s’échelonnaient de là jusqu’en Afrique de l’Ouest. C’est pourquoi les chasseurs de l’ouest africain sont les seuls à pouvoir interpréter toutes les peintures pariétales datant de cette époque, dont celles du sud algérien. Hampaté Bâ les a étudié en se focalisant sur l’exemple des vaches. Les ethnologues s’interrogeaient sur l’absence des pattes dans la représentation des vaches. Pour nous qui sommes nés dans le delta central nigérien, il est facile de savoir que c’est parce qu’elles sont dans l’eau qu’on ne voit pas leurs pattes. Ainsi la connaissance des récits de chasse permet d’expliquer certaines données archéologiques. Sans elle, l’ethnologue ne parvient pas à tout s’expliquer. Avec la sécheresse, les gens vont se sédentariser autour des grandes mares et des grands fleuves. Il y a des cassures qui se voient nettement pour qui connaît l’Afrique de l’Ouest. Par exemple, le Kala, situé entre la vallée du Sénégal et la vallée du Niger, était un lieu de passage des animaux. On voit qu’il y a eu une rupture dans cette région due à une très grande sécheresse. Du coté de la vallée du Nil, les gens sont descendus jusqu’au Cameroun et au Zaïre, on le retrouve dans les coutumes. Fily Dabo Sissoko, cet homme politique malien qui était aussi un très grand homme de culture, a beaucoup voyagé. Il se questionnait sur cette rupture. Il constatait une parenté entre la culture mandingue et celles rencontrées au Cameroun, au Bénin, avec les Tamba et la géomancie. Ma tante paternel, mon initiatrice dans l’histoire et la culture soninké, m’expliquait que les sécheresses ont rompu une chaîne qui liait culturellement les peuples. Ils se sont sédentarisés et isolés autour des points d’eau. Les squelettes retrouvés sur les sites des paléo-lacs le prouvent.
Des rituels actuels conservent-ils la trace de ces temps anciens ?
Bien sûr. Autrefois, quand un grand chasseur avait abattu une belle pièce, il se devait au cours des grandes cérémonies annuelles de mimer les faits et gestes qu’il avait accompli pour venir à bout de la bête. Il revêtait les cornes et la peau de bête, il se masquait un peu et jouait à la fois le rôle de la bête et celui du chasseur. Ce sont ces mimiques-là qui sont devenues les mascarades. Le sigui dloki, le vêtement du buffle, en est un exemple. Car l’animal le plus terrifiant de la savane, pour les chasseurs, n’est ni l’éléphant, ni le lion, mais le buffle. On rencontre la représentation du taurus, ce grand buffle, sur les fresques du Tassili. C’est le dieu de la brousse, on l’appelle Damba et il est très chanté encore aujourd’hui. Vous voyez que toutes ces croyances sont encore vivaces. On retrouve aussi dans les fresques tous les types humains d’il y a 5000 ans. Vous y voyez les grands nègres plantureux, les Diaruw, beaux et altiers comme les Kilbi du Cameroun, les Gabibi, certains Wolof, Soninké, Haoussa et Songhoï. A coté, vous avez le type gracile du Peul avec son cimier. Et puis, vous avez les petits hommes que d’aucuns appellent « les négrilles ». Ce sont les « paléonégritiques » dont parlait Marico, le spécialiste maliano-nigérien qui leur a donné ce nom. On les retrouve un peu partout, parmi les Bambara, les Dogon, les Sénoufo, et jusqu’au Gabon. Dans toutes ces régions, on parle des nains, ces êtres mythiques, mais il s’agit incontestablement de ces premiers habitants qui n’étaient pas grands de taille, comparés aux grands nègres des savanes. Dans les fresques du Tassili, l’artiste a tout représenté : les hommes, les animaux, et les masques aussi. Très certainement, des attitudes culturelles se sont maintenues jusqu’à aujourd’hui, par la musique et les instruments. Lesquelles ? On ne saurait le dire avec certitude, mais une culture ne disparaît jamais. Comme le disent les Dogon : »la tradition peut maigrir mais ne mourra jamais »; surtout quand on la confie aux enfants qui la chantent et la dansent. Elle ne peut pas disparaître complètement, ce n’est pas possible.
Quels bouleversements amena la sédentarisation pour tous ces peuples ?
La sédentarisation s’est opérée avec les trois grandes sécheresses légendaires, dont celle d’il y a 2200 et quelques années qui a été la plus catastrophique. D’ailleurs, on fait mourir le serpent, génie tutélaire du Wagadou, le Bida, dispensateur d’or, de pluie, de diamants et de fertilité. Ce n’est pas pour rien. Tout le monde est parti. Les populations du Nord, de la Mauritanie au Niger, sont descendues massivement vers le sud, jusqu’en Côte d’Ivoire et au Bénin. Au Wagadou, la légende nous dit qu’il n’a pas plu pendant sept ans, sept mois et sept jours. C’est cette même sécheresse qui a frappé l’Egypte pharaonique sous les Ptolémée, au IIIème siècle avant notre ère. Non seulement il n’a pas plu, mais les crues des fleuves ne sont pas venues. Les gens se sont installés dans les marécages. Vous y trouvez toute cette humanité, comportant des représentants de tous les peuples du Wagadou qui s’y mélangent. Et vous ne les retrouvez que dans ces régions lacustres : le Pondori, le lac Débo, la région de San. A partir de cette époque, ça va être une nouvelle colonisation de l’Afrique de l’Ouest par les descendants des Soninké émigrés de la vallée du Nil et qui avaient le cheval. Les égyptologues ou les archéologues peuvent raconter tout ce qu’ils veulent, ce n’est pas vrai. Nous, Soninké, n’avons pas reçu le cheval d’un quelconque peuple sémitique, qui n’a d’ailleurs jamais eu le cheval. Nous l’avions depuis des millénaires. On a trouvé des dents de chevaux dans les grottes de Kouroukòròkalé, un site préhistorique du mont Mandingue. Au centre de la Mauritanie, on a trouvé des squelettes de chevaux datant de 4360 ans. Le cheval appartenait donc aux Soninké, envahisseurs de ces pays. La preuve en est que les plus vieux clans Soninké portent des noms de chevaux : Cissé veut dire « le chevalier »; Kalé veut dire « le cheval immaculé », Dafé, « le cheval argenté », Djimbé, « l’Alezan ». Comme le disait feue Germaine Dieterlen, toute notre histoire évoque constamment le cheval, le Soninké est consubstantiel à lui. Et c’est grâce à lui qu’a eu lieu la renaissance du Wagadou. Elle s’est manifestée par une tyrannie contre laquelle les Aborigènes, les Kakolo, ces premiers Diaruw sédentarisés, vont s’insurger. Cette période est très intéressante. Il y a environ 1900 ans, celui qu’on appelle N’fa Djigui ou Makan Tâ Djigui, un très grand prêtre, va essayer de conscientiser ce peuple Kakòlò qui s’est laissé subjuguer par les nouveaux venus. Il va créer les sociétés d’initiation, au nombre de sept. Ce sont les sept sociétés d’initiation obligatoires qui existent chez les Malinké, les Kakolo et les Bambara : le tyèblenke, le ndomo, le tòn, le kòmò, le kònò, le nama, et le korè. Le kòmò regroupe à lui seul toutes les formes de savoir. On confond souvent l’époque de la création de la confrérie avec celle postérieure de N’fa Djigui mais ce sont deux époques différentes.
Des enjeux interethniques seraient donc à l’origine de la fondation de la confrérie des chasseurs ?
Il s’agissait de revenir à un consensus. Les Soninké s’étaient installés dans la patrie et dans plusieurs localités Kakòlò il y a cinq mille et quelques années. On a compté qu’en 1986, c’était la 67ème fois que nous observions la comète de Halley dans le ciel du Mali. Cela fait donc environ 5030 années que les Soninké sont arrivés en Afrique de l’Ouest et s’y sont installés. Ces dates-là sont sûres, ce ne sont pas des vues de l’esprit. Les comptes sont tenus, tout comme les Dogon et les Malinké ont un calcul du temps basé sur le cycle de Sirius qui est de soixante ans et qui détermine la cérémonie du Sigui. Les Kakòlò sont les alliés cathartiques des Soninké. Parmi eux, les Konaté furent leurs premiers alliés et, par conséquent, ceux à qui ils ne sauraient faire de mal. Cette loi qui avait présidé à cette cohabitation avait été oubliée par les Soninké. Au IIIème siècle avant notre ère, la confrérie des chasseurs constitua donc un pouvoir parallèle, le refuge de tous ceux qui étaient pour un ordre moral et politique juste. Il prônait la protection des femmes, des orphelins, des faibles et de l’étranger. Ces principes étaient déjà connus mais on doit leur affirmation à cette confrérie-là. Cela concernait aussi l’abolition de tout privilège par le sang et par la race. Ce n’est pas parce que l’on est Wagué ou Massalen, descendant de Soundjata, que l’on domine l’autre. Il faut devenir humble dans cette confrérie. Ce qu’on demande aux gens qui adhèrent, c’est d’abord l’humilité et de prêter serment en reconnaissant la valeur absolue et la primauté de la fraternité universelle. Si vous n’y croyez pas, ce n’est pas le peine de vouloir y adhérer. A la suite de l’expansion de l’Islam, et de l’esclavage qui y était lié, d’autres chasseurs allaient, au début du XIIIème siècle, affirmer avec plus de force encore ce principe. C’est la grande Charte du Manden, appelée Manden Kalikan ou le serment du Manden, qui s’étend au-delà de la sphère des chasseurs, tout en s’inspirant de l’esprit de ses pères fondateurs. Elle décrète l’abolition de l’esclavage et la protection des faibles et des étrangers. C’est devenu la loi de tous, et chacun pouvait s’y référer au cours des palabres pour réclamer justice. Car on dit que la terre sans l’homme serait elle-même nostalgique, et que c’est par le travail de l’homme et sa présence qu’un pays prospère.
Y a-t-il beaucoup de héros historiques dans cette confrérie des chasseurs, tels que Soundjata ou Biton Coulibaly, pour ne citer que les plus connus ?
Il y en a tant ! Makan, Mambi et tant d’autres. Mambi est très chanté dans le monde mandingue. C’est l’homme qui aurait fédéré tous les chasseurs du monde mandingue bien avant la fondation de l’Empire du Mali, à ce que disent les récits. Il avait élu domicile dans une grotte où il y a des peintures pariétales, à Kangaba. Ce lieu doit sa sacralité et sa primauté à cette grotte, c’est pourquoi on l’appelle Sirya-Mambi. Tous les chasseurs venaient célébrer leurs rituels dans cette grotte dont l’accès reste interdit. L’épopée de Mambi est incommensurable. Et puis, il y a eu Brama Coulibaly. Ils sont nombreux, on en retrouve dans toutes les ethnies. Dans le pays Songhoï, c’est Fara Makan Bombotè, son histoire va du pays Haoussa jusque dans les monts mandingues. Il y a Brama Touloba, un très grand maître de chasse qui a de grandes oreilles, il y a Sinbo. Les gens croient que ce sont des chasseurs mythiques mais on connaît les lieux qu’ils ont habités. Il n’y a qu’à y faire des fouilles. Avant Soundjata, il y a eu aussi le père de Soundjata, qui n’a pas été roi. Il n’est dit dans aucun texte que Faramakan Konaté fut mansa. Mais c’était un très grand devin et un très grand maître-chasseur initiateur. A 28 km de Bamako, j’ai fait dater par l’ORSTOM la maison qu’il habitait. Elle date de 980, mais elle repose sur un site bien plus ancien. Quand on chante le Djandjòn des chasseurs, cela peut durer plus de deux heures. On cite tous les grands chasseurs depuis les temps les plus reculés, car, comme on dit, « il y a chasseur et chasseur » et il faut reconnaître qu’untel fut méritant. Les grands chantres des chasseurs comme Bâla Guimba Diakité ou Bougoba Djiré sont capables de citer plus de mille chasseurs et leurs qualificatifs d’affilée. On fait alors parler la poudre pour honorer leur mémoire.
Il est clair que ceux qui sont les plus chantés sont les fondateurs d’empires ou de royaumes, les meneurs d’hommes, qui agissent au nom d’une cause noble. Soundjata ne s’est pas élevé contre l’extension de l’Islam, mais contre l’esclavage par le fait des musulmans. Le grand serment des chasseurs s’insurge contre la vente et l’exploitation honteuse de l’homme par l’homme. Le XVème siècle a vu l’arrivée des esclavagistes sur nos côtes, la traite négrière. Ce sont les chasseurs du Tòròn, région située entre la Côte d’Ivoire et la Guinée, avec les Coulibaly, qui vont prendre les armes d’abord contre les musulmans locaux puis contre les esclavagistes. Car il y avait les couloirs de la route des esclaves, en Guinée et en Sierra Léone. Les chasseurs remonteront jusqu’au nord. Un siècle et demi plus tard, à l’époque du roi du Maroc, Mohammed el Mansour, et de la conquête de l’Empire Songhoï, ils réagiront en rasant de nombreuses villes musulmanes intolérantes de Djenné jusqu’à Ségou. Biton Coulibaly, descendant direct de ces chasseurs, fera de même. Mais chaque fois, dans ces pays, l’esclavage renaîtra de ses cendres. C’est ce que les gens chantent encore, c’est que les chasseurs ont vraiment formé des brigades et frappé à la tête les esclavagistes. Ce sont les protecteurs de la patrie contre « les prédateurs ». Toute la saga de Soundjata « roule » sur ça : la liberté d’aller et de venir, la prospérité retrouvée, la proclamation d’une patrie multiraciale. Soundjata a eu le bonheur de trouver les plus grandes mines d’or de l’Ouest africain. On l’a encore chanté pour cela. Et la saga tait les crimes pour mettre exclusivement l’accent sur les actions d’éclat qui font le bonheur des peuples. Selon les généalogistes Malinké, 90% des peuples d’Afrique de l’Ouest ont leur cordon ombilical et leur placenta au Mali. Leur berceau est là-bas. C’est dans les manifestations publiques des chasseurs que les gens sentent l’âme véritable de leur peuple. C’est là qu’éclate l’unité culturelle de tous ces peuples et c’est là-dedans que puisent tant de griots et d’artistes aujourd’hui encore.

///Article N° : 1620

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