Qualifiés d’exotiques, urbains ou périphériques pour ne pas dire trop caramélisés, certains des écrivains les plus doués de notre époque sont marginalisés. Un tort auquel tente de remédier Read !, un club de lecture qui s’intéresse aux auteurs d’origine africaine, caribéenne, noire-américaine ou issus de la culture hip-hop.
Boulevard Saint-Germain, premier étage d’un café chic du quartier latin à Paris. Les lumières sont tamisées et l’ambiance feutrée. Edgar Sekloka est posé sur un pouf rond en lin et devant une assemblée de vingt personnes, raconte comment il en est venu à écrire son dernier roman, Adultes à présent. Nous sommes en juin 2012, à la dernière session de Read !, le club de lecture afro et hip-hop. La maîtresse de cérémonie, Laurie Pezeron, fines locks sur la tête, larges lunettes rondes et vêtue d’un pantalon léopard, est assise à la gauche de l’auteur.
En 2000, Laurie a 20 ans ; elle vient de lire Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. « Je connaissais les classiques de la littérature française mais je ne connaissais pas les écrivains de ma culture, celle des afro-descendants ». Apprendre à les connaître mais surtout pouvoir en discuter avec des gens passionnés. « Il est facile d’aller au bureau et trouver des gens qui ont lu le dernier Marc Levy ou Amélie Nothomb. Mais lorsque tu lis Ahmadou Kourouma ou Camara Laye, on te prend pour un marginal. » Ainsi naquit en 2007Read ! un club de lecture ouvert à tous. Tous les deux mois, une nouvelle session, un nouveau lieu, tenu secret jusqu’à J-3, est investi pour la rencontre littéraire. « Chaque lieu a une connotation, une âme et une atmosphère particulière. J’ai envie que les gens se sentent à l’aise. » Une occasion aussi de rompre avec le classicisme pour Laurie qui ne veut pas d’un « club d’intellos qui s’écoutent parler ». Les participants ont pour point commun d’avoir lu le même livre et de vouloir partager les émotions ressenties lors de la lecture. Confronter ses points de vue pour mieux considérer la portée de l’ouvrage.
Il faut peut-être aussi voir, dans ces changements de lieux, une volonté de se démarquer d’une certaine image cloîtrée et sectaire souvent attribué à ce type de rassemblement, dit « communautaire » car « afro ». Pour Laurie Pezeron, les littératures qui diffèrent de celle de la culture dominante sont systématiquement mises de côté. « Pourquoi Stendhal et Victor Hugo devraient intéresser tout le monde et pas les autres ? » Aimé Césaire peut tout aussi bien représenter l’universalisme que les auteurs dits classiques.
Les auteurs afro ne sont cependant pas les seuls invités à la table de Read !, les auteurs hip-hop le sont également. La fondatrice le reconnaît volontiers, le lien n’est pas évident entre écrivains afro-caribéens et ceux des cultures urbaines. Mais Laurie, qui a grandi à Kremlin-Bicêtre (94) fait partie de cette génération « défoncée au rap ». Elle a baigné dans le hip-hop depuis l’adolescence et dès 1999, elle travaille dans le street marketing. Érigé en mode de vie, le hip-hop marque certains auteurs même quand il n’est pas l’objet du livre. Ainsi dans les romans tels que « Les Anges s’habillent en caillera » de Rachid Santaki ou « René » de Disiz la peste, l’influence du « achipé achopé » est palpable. Cet été, dans le cadre de la Quinzaine Paris Hip-hop, Read ! a par ailleurs organisé une table ronde dont l’objet était la littérature urbaine.
La prochaine session du club, en septembre, portera sur Maryse Condé et son nouvel ouvrage « La vie sans fards« .
Inscriptions et renseignement sur [le site de Read]///Article N° : 10944