Au festival de Cannes 2003 a été présentée la nouvelle structure » Africa cinémas « , soutenue par les différents organismes de soutien aux cinémas d’Afrique. Intervenants : Bassek Ba Khobio (Films Terre Africaine), Christian Boudier (ministère français des Affaires étrangères), Jean-Claude Crépeau (Agence intergouvernementale de la Francophonie), Etienne Fiatte (ministère des Affaires étrangères), Joëlle Guenier (Union européenne, FED-ACP), Frédéric Massin (exploitant, Mali, Cameroun), Claude Miller (Europa Cinémas), Khalilou N’Diaye (distributeur, Sénégal), Claude-Eric Poiroux (Europa Cinémas), Toussaint Tiendrébéogo (Africa cinémas).
Nous serons acteurs aux côtés de Toussaint Tiendrébéogo sur cette opération. Ce sont les salles qui ont le pouvoir de savoir ce qui bien sur leur écran : dans le cadre d’Europa cinémas, on aide les salles européennes, depuis dix ans, avec le soutien de l’Union européenne.
Depuis trois ans, nous avons eu des fonds pour travailler avec la Méditerranée. Dans douze pays, nous aidons 75 salles de cinéma et soutenons les distributeurs pour sortir des films européens et méditerranéens.
La volonté a été de se mettre tous ensemble pour aider les films africains en Afrique pour qu’ils rencontrent leurs publics. C’est un programme dirigé vers les salles mais elles ne sont pas très nombreuses en Afrique et pas toujours en bon état. Il faut les consolider et les élargir mais aussi travailler sur le DVD comme support du futur.
Une société de distribution achète un film et assume toutes les fonctions de ce métier : copies, affiches, publicité, choix des salles, remontée de la recette
C’est vers les distributeurs que ce programme va, avec des aides financières.
Le budget est de 1,6 million d’euros par an : ce sont des moyens qui permettent d’aboutir !
Il peut paraître curieux qu’un réalisateur s’occupe de soutenir la programmation en salles. Il y a 20 ans, j’étais en colère, ressentant une frustration que beaucoup des cinéastes africains doivent ressentir. Je constatais que les salles européennes ne passaient pas les films européens, partout en Europe. Depuis dix ans, ma frustration diminue car ce programme a contribué à ce que le cinéma européen circule en Europe.
Un autre volet d’Africa cinémas sera par des sessions de formation de soutenir l’exploitation (gérants de salles, projectionnistes). Le soutien aux salles de cinéma sera un autre volet aussi : un mécanisme d’incitation à la programmation des films africains.
Xavier Lamine (responsable de la première structure de cinéma centrafricaine) : les salles de vidéo ont tué le cinéma dans nos pays. Nous avons fait l’effort de passer dix ans dans les effets spéciaux et images générées par ordinateur en montant une structure adaptée pour être à la disposition des cinéastes africains.
Claude-Eric Poiroux : il ne s’agit pas de transformer les salles de cinéma en salles de vidéo. Mais la question est aussi de savoir ce qu’on fait quand il n’y a pas de salles. Les outils numériques permettent de résoudre ces problèmes : le mot DVD est dans les lignes directrices.
Mohamed Chouick (réalisateur algérien) : le piratage ne génère pas d’argent, contrairement à une billetterie. Les films africains ont été coproduits par le Nord, le distributeur étant aussi au Nord. Africa cinémas a-t-il les mêmes avantages qu’Europa cinémas dans l’entraide ?
Poiroux : Euromed ne couvre qu’à 50 % alors qu’Africa cinémas apporte 100 %.
Christian Boudier : le programme fera l’objet d’une évaluation fin 2004 et le projet est appelé à perdurer.
Cheick Oumar Sissoko : attention à ne pas inciter systématiquement les distributeurs à passer des films africains. Que les distributeurs se débrouillent : on a pas à les inciter à prendre les films. Par contre, c’est au niveau des pays de mettre en place des quotas qui donnent un cadre législatif. Nous avons un public : la question du doublage doit être envisagée.
Idrissa Ouedraogo : mon expérience en Afrique me fait dire qu’il est vrai qu’il y a un public mais que son pouvoir d’achat est extrêmement faible. Les salles sont bondées mais je me retrouve avec 100 000 FCFA après une séance bourrée alors que les produits sont au même prix qu’en Europe. Les nouvelles technologies semblent correspondre à l’économie réelle. Il faut réinventer des politiques partout, avec des billetteries pour assurer la remontée de recettes.
Frédéric Massin : J’ai une double expérience Mali et Cameroun. Au Mali, j’ai deux salles bien équipées qui permettent de tourner. Au Cameroun, ce sont des salles des années 50, trop grandes pour une multiprogrammation.
Sanou Sanogo (distributeur, Kora Films, Mali)
Comment va-t-on acheminer les copies en Afrique ?
Toussaint Tiendrébéogo : le transport sera pris en charge par Africa cinéma.
Christian Boudier : un minimum de cinq pays de sortie sera nécessaire pour un dossier de candidature au fonds. On estime que l’équivalent financier de l’aide pour chaque film sera de l’ordre de 75 000 euros.
Poiroux : L’expérience d’Europa cinémas montre que les distributeurs sont souvent des maillons pour le film américain : de nouveaux partenaires sont à identifier ou faire émerger.
Yamina Bachir-Chouick : l’Afrique du Nord sera-t-elle aussi concernée par ce programme ?
Christian Boudier : entre les zones concernées par les partenaires (francophonie, ZSP, ACP), il fallait trouver une cohérence. Le film maghrébin pourra déposer un dossier d’aide à la diffusion dans les pays d’Afrique sub-saharienne seulement, car il est déjà aidé par Euromed.
C’est aussi vrai des films des Caraïbes et du Pacifique.
Hélène Madinda (Africalia) : le nombre de 5 pays me paraît énorme.
Jean-Claude Crépeau : le cinéaste a souvent peu de problèmes pour diffuser dans son propre pays mais en a ailleurs. Le programme est continental et les cinq pays peuvent être dans des sous-régions différentes.
Pierre Ebollo (exploitant africain) : toutes les salles sont en mono alors que les films sont en dolby ! Les salles qui sont refaites et équipées trouvent leur public. Les gens veulent pouvoir sortir. La formation des opérateurs et les équipements sont fondamentaux : le public existe et il vient quand cela est fait.
Khalilo N’Diaye (distributeur et exploitant, Sénégal) : le programme doit accompagner les initiatives qui existent déjà. Il y a eu des réunions d’exploitants qui ont fait des propositions et agissent ensemble. On vient d’aider une salle en Afghanistan : on peut aider les salles. Il faut que nous puissions aussi faire du cinéma européen alors que les distributeurs demandent des minimums garantis que nous ne pouvons pas donner. Je refuse que l’on soit des faire-valoir : vous avez notre soutien mais cela ne pourra pas se faire sans les gens du terrain. Il faut construire une économie du cinéma : le public existe. Ne pas être sous perfusion éternelle. Tant qu’on aura pas construit une profession, rien ne sera clair. Il nous faut aussi faire des salles de référence, des salles de qualité permettant de faire le poids à côté pour pouvoir programmer les films que les grandes salles existantes ne programment pas. Il faudrait que TV5 et CFI appuient aussi les sorties de films africains dans nos pays.
Christian Boudier : les aides seront liées au nombre d’entrées dans les salles qui auront intérêt à jouer la transparence.
Frédéric Massin : une baisse de la TVA était prévue par l’UEMOA. Une volonté politique des pays africains fera vraiment avancer les choses.
Poiroux : une salle attrayante fait que les gens y retournent et ça marche partout ! Le dolby est essentiel mais avec la formation correspondante car il ne sert à rien s’il est mal réglé. On essayera d’être compris par tout le monde. Le producteur comprendra que son intérêt est de donner le film car les recettes qui remonteront lui donneront confiance ! Africa cinémas se charge des investissements. Il faut bien sûr passer des films en nombre, priorité aux films africains et pourquoi pas aux films européens. Le système est simple, appliqué dans Europa cinéma, et marche.
Camille Mouyeke (réalisateur) : Lors d’une réunion de préparation, on avait dit que trois pays aurait été plus réaliste que cinq !
Sanvi Panou (distributeur) : je ne comprends pas comment on peut demander aux salles de remonter des recettes et les aider en même temps. Pourquoi ne pas dissocier l’appui aux salles et celui aux distributeurs ?
Janvier Houedonou (distributeur et exploitant béninois) : j’ai l’impression qu’on met la charrue avant les bufs : il faut aider les exploitants pour la rénovation des salles avant même de penser quoi que ce soit pour la distribution des films africains. Il faut aussi encourager les Africains à faire des films qui plaisent au public africain, et pas seulement européen.
Christian Boudier : Nous ne pouvons pas convaincre nos institutions de dégager des fonds structurels lourds pour des salles qui diffusent 95 % de films américains ! C’est pourquoi l’accent est mis dans la diffusion des films africains, mais les salles sont loin d’être exclues du dispositif.
Jean-Claude Crépeau : Il y a le volet appui à la distribution, le volet de structuration du métier de distribution, et enfin le volet d’appui aux salles qui s’engagent à passer des films africains.
Etienne Fiatte : le plan Images Afrique comporte deux volets sur la télévision : la production concernera pour des montants analogues l’audiovisuel et le cinéma. Le système Fonds sud télévision s’intégrera en 2004 au fonds Images Afrique. Nous avons une action prévue de » modernisation » des télévisions africaines, en partenariat avec celles (publiques ou privées) qui voudront entrer dans cette logique, avec une aide de la coopération française pour le diagnostique du management, des régies publicitaires, de la formation avec un suivi sur trois ans par CFI pour améliorer les potentiels de ces entreprises, notamment en matière de recettes publicitaires. Les recettes supplémentaires devront aller en partie à l’achat de programmes africains. Ce ne sera pas facile, ni spectaculaire. C’est beaucoup un problème de mentalités.
Dominique Wallon : Je voudrais juste soulever la question des relations entre Europa cinémas et Euromed. Il faudra associer les films méditerranéens car ce n’est pas avec quelques films africains que les distributeurs pourront couvrir leurs coûts. » Africa cinémas » devra jouer le rôle d’agence pour répondre aux sollicitations.
Christian Boudier : Un comité d’experts apportera son expérience, sous le parrainage de Jacques Perrin et Flora Gomes. L’AFCAE sera également associé. Des mini-comités de travail sur par exemple la question du son dans les salles seront créés.
///Article N° : 2904