La Genèse

De Cheikh Oumar Sissoko

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 » Pourquoi as-tu créé les frères pour qu’à chaque génération revienne ce vent sec et cette soif ?  » Surgissent aussitôt en nos têtes les images des génocides rwandais ou yougoslaves, de tous ces pays où les frères s’entre-déchirent. Dès son prologue, La Genèse, ce récit des aubes de l’humanité, est d’une poignante et douloureuse actualité. Mais il n’est ni Le soldat Ryan ni l’image misérabiliste des télévisions : il ne s’agit pas de seulement juxtaposer le témoignage et le recours à l’émotion pour écrire l’Histoire à la Spielberg. Ce récit ne se contente pas d’explorer l’humanité des origines, il ausculte les tréfonds de l’homme. Et y trouve la violence inhérente à la fraternité humaine. Et son actualité n’est pas d’en faire le constat : elle est d’analyser ce qui tente de s’accomplir par la violence. Pour converger vers la solution.
La Bible commence en décrivant l’assujettissement d’Eve à Adam. Ils enfanteront Caïn et Abel. Le cultivateur Caïn égorge Abel le berger.  » La famille humaine commence mal « , commente Jean-Louis Sagot Duvauroux, le scénariste de La Genèse, dans son livre Héritiers de Caïn – Identités, fraternité, pouvoir (Ed. La Dispute, 1997). Les hommes se sont toujours disputés l’héritage de leurs aînés. Leur fraternité n’est pas un but mais un fait : c’est parce qu’ils sont frères qu’ils se combattent. L’accumulation des plaies mal guéries fondera le mépris et les craintes culminant dans les tueries. Plus nous sommes frères, plus nous sommes proches, plus l’émotion est grande dans les conflits, et plus l’affrontement est cruel…
C’est ainsi que La Genèse nous aide à répondre à cette lancinante question : pourquoi l’horreur ?
Si l’univers biblique a séduit Cheikh Oumar Sissoko, c’est par sa proximité avec le contexte agro-pastoral malien et les récents conflits avec les Touaregs. Mais c’est sans doute aussi par l’accent que met le récit sur les patriarches et leur aveuglement coupable. Le réalisateur y trouve l’occasion d’approfondir sa réflexion sur le pouvoir : familial et patriarcal dans Finzan, politique dans Guimba. Et d’y ajouter une dimension essentielle pour les temps présents : le dépassement du conflit. Jacob ira se réconcilier avec Esaü mais c’est avec Dieu qu’il devra lutter, et donc avec lui-même. Sans spiritualité, sans travail sur soi, pas de réconciliation. Puisque le racisme est avant tout une projection sur l’Autre de ce qui me fait peur en moi-même : cet étranger qui me dérange dans mon être partagé. Comme le dit un proverbe rwandais : Nta wiyanga nk’uwanga undi (Nul ne hait plus lui-même que celui qui hait les autres).
En donnant une telle place aux patriarches, Sissoko évite aussi le travers psychologisant de la réduction de l’horreur à la pulsion de mort pour aborder ce qui la permet et l’organise : la dérive dictatoriale des chefs. Et rappelle aux patriarches actuels leur devoir d’oeuvrer à la cohésion de leur communauté.
Le message est riche et complexe, à la fois politique, humain et spirituel. Le scénario se devait de respecter la Parole biblique, l’image de la mettre en valeur. L’utilisation de la voix-off magnifie la Parole, servie par des images magnifiques (chef opérateur : Lionel Cousin). Les récits respectent la gestuelle et la forme de la tradition orale que les sous-titres ne peuvent malheureusement que réduire. Le tout peut paraître verbieux. Un scénariste plus rompu aux formes filmiques aurait peut-être mieux servi la transmission du message. Mais ne peut-on attendre un effort du spectateur ? Est-il aujourd’hui impossible de compter sur son intelligence ? Un film m’est-il hermétique parce qu’il est mal fait ou parce que je ne sais pas écouter sa densité ? Touffu n’est pas confus. Si La Genèse donne une telle place au verbe, c’est aussi parce que dans la narration africaine, les mots ont une importance capitale. La force des arguments et la portée des mots placent le dialogue comme la voie royale de la résolution des conflits. Comme sous l’arbre à palabres.
Ce film vaut l’effort qu’il nous demande. Décors et costumes sont issus d’un impressionnant travail et servent admirablement le récit. Le village d’Hamor a été reconstruit pierre à pierre sous la houlette de Baba Keïta et de son assistant Boubacar Doumbia. Il allie les maisons à vestibules et les ruelles couvertes traditionnelles de l’habitat songhaï à des formes imaginaires comme cette entrée monumentale faisant penser au Ran de Kurosawa. Les pierres du village et celles qui parsèment les pentes forment un dégradé de teintes évoluant avec le soleil selon les heures de la journée. L’unité de la nature est manifeste, qui appelle un autre comportement. Les triangles inscrits dans l’architecture, dont la répétition forme une ligne brisée, rappellent dans la tradition bambara la marche ondulante des reptiles, les zigzags de la vie…
Les costumes de Kandioura Coulibaly sont un tableau vivant du rapport de l’homme avec la nature qui l’entoure et le nourrit. Dans le désert, c’est l’eau qui manque le plus : comment s’étonner que l’on cherche un tel contraste avec l’aridité en portant comme les figurants du film des tuniques indigo ?  » C’est le bleu, dit par ailleurs Coulibaly, qui domine la part sauvage de l’homme, qui dilue l’animosité dans le regard de l’autre « . Chaque patriarche est une sculpture vivante. Si Salif Keïta (Esaü) semble en être très coincé, Sotigui Kouyaté (Jacob) et Bala Moussa Keïta (Hamor) sont d’une impressionnante intériorité.
La montagne sacrée, le Hombori Tondo,  » le cailloux de Hombori « , est omniprésente : elle est l’arche de Noé, l’œil de Caïn. Elle est lieu de regroupement et symbole d’une entente entre les hommes malgré leurs différences d’origine, de religion, de couleur. Elle est l’espoir que sait communiquer ce très beau film.

le scénario de La Genèse
1) l’amertume d’Esaü
Esaü en veut à son frère cadet Jacob (Yacouba) d’avoir obtenu du père la suprématie familiale. Dans les montagnes, avec le peuple des chasseurs, il prépare sa vengeance.
2) Le deuil de Jacob et l’enlèvement de Dina
L’éleveur Jacob ne se remet pas de la perte de son fils préféré Joseph (Youssouf) et prête peu d’attention à Dina, sa fille : celle-ci est enlevée par Sichem, fils du cousin Hamor, chef des cultivateurs cananéens. Sichem abuse de Dina mais s’éprend d’elle et demande sa main à Jacob. Pour éviter le conflit avec ses puissants voisins, il accepte.
3) La ruse meurtrière des Jacobites
Les fils de Jacob n’acceptent que si tout les Cananéens se font circoncire. Mais c’est une ruse pour les affaiblir et les attaquer. C’est un véritable génocide.
4) Le grand déballage
Hamor, qui a échappé au massacre, et Jacob, révolté par la conduite de ses fils, ordonnent qu’éleveurs et cultivateurs se retrouvent sous le toguna des palabres, l’abri que les Dogons construisent en priorité dès qu’ils fondent un village. Ce grand déballage révèle la profondeur des inimitiés et se termine par une rixe générale.
5) La nostalgie des temps anciens et la vengeance des chasseurs
Prévenu, Jacob s’y rend et évoque le temps de ses pères, Isaac et Abraham, et de leur entente. Esaü, qui n’est pas loin, se souvient lui de l’injustice dont il fut victime. Ses chasseurs égorgent les bœufs de Jacob et encerclent le village.
6) Jacob face à Dieu
Jacob va à la rencontre d’Esaü pour chercher la réconciliation mais c’est Dieu qu’il devra affronter toute la nuit. A l’aube, Dieu donne à Jacob le nom d’Israël (fort contre Dieu).
7) Le dépassement
A la recherche de leur père, les fils de Jacob le découvrent avec Esaü et Dina, qui les envoient en Egypte où ils trouveront la concorde et la prospérité. L’intervention divine a provoqué le dépassement des querelles. Joseph devient ministre du Pharaon. ///Article N° : 835

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