« La littérature haïtienne est toujours déconsidérée en France »

Entretien d'Anglade Amédée avec Lyonel Trouillot

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Invité pour le centenaire de la naissance d’Aimé Césaire, célébré au Havre en février dernier, le poète Lyonel Trouillot y confiait son respect pour celui dont « l’écriture n’a pas de métropole ». Véritable référence dans la littérature haïtienne, Lyonel Trouillot regrette que les écrivains haïtiens soient déconsidérés en France. Il sera au festival des Étonnants voyageurs à Saint-Malo du 18 au 20 mai 2013.

1931 : Le Havre est la première ville à accueillir Aimé Césaire. En février 2013, c’est aussi la première à célébrer le centenaire de sa naissance à l’occasion du festival littéraire [Le goût des autres]. Cette rencontre a réuni de nombreux artistes, auteurs et écrivains, dont le poète haïtien Lyonel Trouillot, venu rendre hommage au grand poète noir, celui « qui a influencé tous les écrivains ». Pour l’auteur haïtien engagé, Aimé Césaire « est le premier non-Haïtien à respecter la dimension épique de la naissance de l’État haïtien et de la société haïtienne. » Malgré les commémorations rendues à Aimé Césaire, Lyonel Trouillot regrette le traitement réservé aux auteurs haïtiens, qui sont pourtant ses héritiers. « Aujourd’hui, on réduit la littérature haïtienne à deux ou trois auteurs connus, comme Frankétienne, ou moi-même, alors qu’il y a beaucoup de gens qui écrivent en Haïti », s’insurge-t-il avant de s’enthousiasmer : « La zone de vitalité c’est de la poésie d’expression créole qui progresse très bien, avec un nouveau lectorat, avec des auteurs qui sont enfin issus des milieux populaires ». Selon lui, la littérature haïtienne ne s’est pas construite autour du roman, à la différence de la littérature occidentale où la figure du romancier est très présente. « En France il y a une dictature de roman donc on prête attention beaucoup plus au romancier », dénonce le poète. Et d’ajouter en soupirant, « il y a encore cette maladie en France qui voudrait qu’il y ait un centre de l’écriture de langue française qui serait la France et à l’intérieur de ce centre-là, il y aurait un autre centre qui serait Paris ».

D’après le poète, de nombreux écrivains ne reçoivent pas le traitement qu’ils méritent de la part de l’université française, des médias français et de l’État français. « Je crois que ce sont des affaires de pouvoir et des traditions coloniales, et – n’ayons pas peur du mot – d’impérialisme culturel ». Grâce à la progression du créole toutefois, les auteurs haïtiens accroissent leur visibilité, notamment par la traduction des œuvres créoles. « Les choses commencent à bouger ! Il commence même à y avoir des querelles littéraires qui portent sur le texte », se félicite Lyonel Trouillot. « On entend aujourd’hui de jeunes individus qui se disent que la littérature sera leur porte de sortie », explique-t-il. Et de comparer cet engouement pour la littérature à celui que suscite le foot auprès des jeunes en Amérique latine. « La littérature permet de sortir de l’univers dans lequel on est enfermé socialement ». De plus, « discuter de la littérature, c’est aussi penser la transformation du monde, ce qui n’est pas une mauvaise chose ».

« La littérature n’est pas un jeu innocent »

L’envie d’écrire a commencé très tôt chez Lyonel Trouillot. Dès l’âge de 15 ans, il publie des essais puis des romans. Pour lui, l’écriture est une sorte de vice. « La littérature est un jeu mais pas un jeu innocent » prévient-il. Selon l’auteur, un écrivain est un montreur : « c’est quelqu’un qui essaye de donner à voir ce que l’on pourrait ne pas voir, de donner à entendre ce que l’on pourrait ne pas entendre. Ce n’est pas quelque chose qui nous appartient, ce n’est pas quelque chose qui naît de lui. C’est quelque chose qui est là dans les possibilités offertes par les langages ». Un art qui pourrait s’apparenter à du vol : « c’est comme si on volait des fragments de vies, des possibilités de regards sur le monde et qu’on les restitue ensuite au lecteur avec plus ou moins de chance et de bonheur », analyse-t-il avant de conclure : « écrire, pour moi, c’est de l’ordre de la reconstitution ».

L’après séisme, une catastrophe

Trois ans après le séisme qui a ravagé Haïti, Lyonel Trouillot dénonce la gestion de l’après séisme : « une catastrophe coordonnée par la communauté internationale et par le gouvernement haïtien. » Pour le poète, la population démunie souffre alors que « quelques petits copains au pouvoir trouvent des contrats et qu’une masse d’individus venus d’autres sociétés perçoivent aujourd’hui des salaires qu’ils n’auraient jamais gagnés chez eux. » Outré, Lyonel Trouillot fustige la gestion des ONG. « En réalité, l’aide est souvent accordée aux ONG des pays donateurs. Donc, ce n’est même pas une aide qui est gérée par l’État haïtien et les gros postes de dépenses ce sont les salaires. Cette aide a surtout aidé les fonctionnaires internationaux et quelques messieurs et jeunes dames occidentales à se payer de très beaux salaires en Haïti au lieu d’aider les Haïtiens ».

///Article N° : 11487

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© Anglade Amédée
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