La photographie au sud de l’Afrique

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Depuis plusieurs mois, la saison sud-africaine a permis de voir émerger en France une multitude d’événements mettant à l’honneur des artistes sud-africains (lire l’article Arles in Black et My Joburg). C’est encore le cas cet automne. Naviguons entre plusieurs expositions : La biennale Photoquai présente, entre autres, le travail d’un photographe sud-africain Thabiso Sekgala déjà remarqué lors des Rencontres d’Arles 2013 dans l’exposition collective Transition. Guy Tillim expose sa série Second Nature au centre Photographique d’Île de France de Pontault-Combault et la Fondation Gulbenkian présente une exposition collective remarquable Present Tense de photographes au sud de l’Afrique.

L’exposition Present Tense propose les travaux de quatorze photographes originaires du Mozambique, d’Angola, d’Afrique du sud, de la République Démocratique du Congo, du Zimbabwe et de Madagascar. Le sous-titre de l’exposition, « Photographies du sud de l’Afrique », interpelle : que se passe-t-il au sud de ce continent dans le domaine de la photographie ?
Tensions contemporaines
Apportée très tôt par les colons, la photographie s’est ancrée dans certains pays du sud de l’Afrique avec beaucoup de force, tout d’abord par la tradition du portrait photographique, puis plus récemment par le reportage créant une tradition ancienne autour de ce médium. Selon le commissaire d’exposition Antonio Pinto Ribeiro, les changements de régime (fin de l’apartheid en Afrique du Sud, élections démocratiques) et les changements économiques dans ces différents pays ces vingt dernières années, ont favorisé l’émergence d’une énergie nouvelle, créatrice en terme de photographie. Les tensions qui existent actuellement dans ces sociétés (économique, migratoire, etc.) sont productives pour nombre de photographes, qu’elles recoupent des questions sociales, identitaires ou liées à l’espace public. Ces tensions sont au cœur de cette exposition.
La première génération de photographes qu’il présente a grandi et vécu durant l’apartheid (qui prend fin en 1994) ou durant les guerres – d’indépendance (1961-1975) et civile (1975-2002) – qui ont suivi en Angola. Deux autres générations suivent, résolument ancrées dans le présent, la dernière regroupant les plus jeunes, autour de 23-24 ans, et pour qui l’apartheid ou le colonialisme appartiennent au passé. Ainsi, Paul Samuels, né en 1989, photographie ses amis et par ce travail, montre le quotidien d’une jeunesse globalisée habitant à Johannesburg mais qui pourrait tout autant vivre dans un autre pays sur un autre continent, en Europe par exemple. Mack Magagane, déjà présent dans l’exposition collective My Joburg à la Maison Rouge, est également un des représentants de cette jeune génération. Dans Light hours, ses photographies prouvent une maturité photographique étonnante pour son âge. Il a su combiner dans ses images cette culture visuelle acquise durant ses études à l’école sud-africaine, le Market Photo Workshop, et sa propre culture de la rue.
Espace public

L’occupation de l’espace public est importante dans toute société, mais elle l’est particulièrement en Afrique où, dans de nombreux pays, la rue, l’espace extérieur fait partie du quotidien, du cadre de vie. Selon Antonio Pinto Ribeiro, l’espace public est le lieu privilégié des tensions. Ainsi, Mauro Pinto dans la série qu’il présente ici met en lumière le rôle social et économique du cimetière de Maputo, tantôt lieu de promenade, d’habitation, de commerce ou tout simplement de rencontre. Autre photographe mozambicain, Filipe Branquinho a photographié des passagers dans les transports publics où les corps semblent coincés dans les véhicules et rappellent au commissaire de l’exposition les œuvres du grand artiste Malangatana qui peignaient des corps compressés. Photographe de l’espace public, Sabelo Mlangeni travaille, lui, autour des thèmes de l’exclusion. Les images en noir et blanc exposées ici décrivent les tensions qui caractérisent la venue des populations rurales à la grande ville.
« Quand vous regardez autour de vous dans ces zones rurales, les Blancs sont toujours riches, les Noirs sont toujours pauvres, finalement nous sommes encore séparés ». Autre photographe sud-africain, Thabiso Sekgala qui expose lors de la Biennale Photoquai sa série intitulée Homeland, pose pertinemment la question de l’espace public et des tensions qui en résultent toujours. Il s’est intéressé à ces territoires où les noirs d’Afrique du Sud étaient confinés par le régime de l’apartheid « dans le but de regrouper, catégoriser et priver la population de son autonomie ». Le photographe est retourné dans ces lieux qu’il a fréquentés plus jeune. Il y a photographié des commerces abandonnés, des vestiges d’un autre temps et il s’est intéressé aux habitants de cette zone, notamment les jeunes. En photographiant ces anciens bantoustans qui ont disparu avec l’avènement de la démocratie, il interroge le présent en même temps que le passé, la mémoire et la notion d’appartenance. Son travail est une manière de faire perdurer dans l’esprit des Sud-Africains d’aujourd’hui ce passé et ses photographies, un moyen de remplacer un monument inexistant qui commémorerait cette histoire particulière.
Entre rêve et réalité
Dans certains travaux de photographes, la tension entre rêve et réalité est perceptible, même si elle n’est pas le centre du propos. Ainsi, la série de Malala Andrialavidrazana intitulée Echoes (from Indian Ocean) dévoile l’intimité de différentes classes moyennes dans des villes reliées par l’océan Indien. Ou encore, le travail de Sammy Baloji qui, avec sa série Kolwezi et ses diptyques mettant en parallèle l’extraction minière artisanale ancrée dans le réel et des affiches chinoises re-photographiées montrant de beaux paysages colorés, met en lumière d’autres déséquilibres bien actuels. Ce travail permet au photographe de poursuivre ses recherches autour de l’héritage culturel, industriel et architectural de sa région, le Katanga et d’interroger, entre autres, les nouvelles relations globales à l’échelle locale, notamment entre l’Afrique et la Chine.
Une des figures phare de la scène photographique sud-africaine Guy Tillim met lui aussi en évidence des tensions et notamment celles autour du pouvoir. Dans Libreville series, il montre des paysages urbains où se côtoient de manière subtile richesse et pauvreté dans cette capitale pétrolière. Un autre travail de ce photographe est visible concomitamment au centre Photographique d’Île de France de Pontault-Combault. Second Nature révèle des paysages sublimes où le détail le plus insignifiant prend toute sa force. Selon ses propres mots, « nous devrions accorder le même type d’attention et valeur à tous les éléments qui composent le paysage ».
La photographie africaine n’existe pas

Selon Antonio Pinto Ribeiro, « l’idée d’une photographie africaine n’intéresse pas les photographes et notamment ceux de la jeune génération ». À l’heure de la mondialisation, la jeunesse sur le continent ne s’identifie pas à une identité africaine et ne veut surtout pas être enfermée dans ce ghetto de photographes africains. Ils sont des photographes point final, nés en Afrique ou ailleurs, et travaillant en Afrique, mais également sur d’autres territoires (États-Unis, Portugal, France). Le commissaire de Present Tense renchérit en évoquant le travail Empire of the In-Between de Pieter Hugo qui a réalisé un portrait de l’Amérique, entre New York et Washington, pour le NY Times. « Ces photographies auraient pu être prises en Afrique, à Johannesburg ou ailleurs. Il y a malheureusement une « googlisation » de la pauvreté ».
Les expositions :
Present tense, Fondation Calouste Gulbenkian, du 18 septembre au 14 décembre 2013
Photoquai
, 4e biennale des images du monde, du 17 septembre au 17 novembre 2013
Second nature
, Guy Tillim, Centre Photographique d’Île de France, du 15 septembre au 22 décembre 2013

Anaïs Pachabezian

///Article N° : 11895

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Les images de l'article
Série Big City - Exposition Present Tense © Sabelo Mlangeni
Série Light Hours - Exposition Present Tense © Mack Magagane
Série Libreville - Exposition Present Tense © Guy Tillim
 Série Homeland - Exposition Photoquai © Tabhiso Sekgala
Série Echoes - Exposition Present Tense © Malala Andrialavidrazana
Série Edenvale XVI-X - Exposition Present Tense © Paul Samuels
Série Pique-nique - Exposition Present Tense © Mauro Pinto
Mouaroa, Moorea, 2010 - Exposition Second Nature © Guy Tillim. Courtesy of Stevenson, Cape Town and Johannesburg
Série Chapa 100 - Exposition Present Tense © Filipe Branquihno
Série Kolwezi - Exposition Present Tense © Sammy Baloji





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