Jeudi 1er septembre, rentrée des classes. Un « marronnier » pour les médias qui promènent les micros de leurs matinales devant les écoles cette année. Dans l’après-midi, un tout autre son de cloche se fait pourtant entendre, sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris où une salle de classe à l’air libre symbolise la non-rentrée de nombreux mineurs étrangers isolés. Organisé par le BAAM (Bureau d’Accueil et d’Accompagnement des Migrants) en partenariat avec les collectifs de soutien aux mineurs étrangers isolés (ADMIE, ADJIE, CPMJIE, RESF) l’événement vise à sensibiliser pouvoirs et opinion publique sur la situation de nombre de primo-arrivants, qui, non reconnus comme mineurs, ne peuvent accéder à une scolarisation.
« Qu’est-ce que la République ? » s’égosille Baptiste, bravant le vacarme d’un chantier à quelques mètres. Face à l’entrée de la fastueuse cantine municipale, où le personnel de l’Hôtel de Ville finit tout juste son déjeuner, il improvise une salle de classe sur le parvis. Sur son tableau noir sont inscrits quelques mots : République, Loi, Ecole. Ce professeur bénévole au BAAM rappelle ainsi les fondements de l’école laïque, gratuite et obligatoire en France. Une dizaine de personnes, dites migrantes, car sans statut administratif reconnu actuellement, et des bénévoles associatifs sont présent. Une jeune femme demande alors : « J’ai 15 ans. Si l’école est donc obligatoire jusqu’à 16 ans, alors pourquoi n’y ai-je pas droit ? ».
Affairé devant le stand d’information, Renaud Mendel, président de l’ADMIE (Association pour la Défense des Mineurs Isolés Étrangers), propose une réponse : « A Paris, les mineurs isolés qui se présentent à l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) sont réorientés tout de suite sur le dispositif d’évaluation des mineurs étrangers isolés (DEMEI), qui a pour mission d’évaluer leur minorité ». A l’issue d’un entretien d’une heure, les évaluateurs transmettent un rapport à l’échelle du Département, qui se prononce en dernier lieu. Or, « 80 à 85 % des jeunes sont évaluées majeurs, alors qu’au moins la moitié d’entre eux sont réellement mineurs » observe le militant. Les arguments de rejets portent le plus souvent sur l’acte de naissance, qui, raturé ou sans photographie, ne pourrait être rapporté à la personne, ou discréditent un récit jugé « lacunaire et stéréotypé ». L’usage de tests osseux est encore ordonné par certains juges du tribunal pour enfants de Paris, quand bien même le Haut Conseil de Sécurité publique a reconnu que cette pratique comportait une marge d’erreur de 18 mois. « On arrive à rétablir les jeunes dans leur minorité et à obtenir des mesures de protection, mais sur Paris les délais sont très longs, jusqu’à 6 mois. Qu’est-ce qu’on fait avec tous ces jeunes pendant ce temps-là ? » interpelle-t-il. Les affectations scolaires, qui récemment pouvaient encore se faire via le CASNAV (Centre académique pour la scolarisation des nouveaux arrivants), doivent désormais impérativement passer par l’ASE, et donc par l’évaluation de la minorité des jeunes. Et dans le Val-de-Marne notamment, où Renaud Mendel travaille comme éducateur en centre pour mineurs étrangers, le Département renvoie « systématiquement » en cours d’appel, depuis janvier 2016, les décisions des juges pour enfants en faveur de mesures de protection.
« Si une petite association comme nous, créée il y a un an seulement, avons décidé de monter une branche spécifique pour les mineurs étrangers isolés, c’est qu’il y a une véritable urgence », martèle Héloïse Mary, présidente du BAAM. La journée, sous forme d’happening, est à l’image des stratégies de sensibilisation de l’association, connue pour ses Bals des Migrants, afin de « faire bouger les lignes sur la question migratoire ». A quelques mètres, Elie, 16 ans, pancarte en main, écoute les interventions des porte-paroles associatifs. Elle est arrivée de République Démocratique du Congo avec sa sur, il y a deux mois. De fils en aiguilles, elles ont été orientées vers un centre d’hébergement, puis l’ASE, et le DEMEI. Là, on lui a rapporté que son acte de naissance, sans photographie, n’était pas une preuve suffisante de sa minorité. « Rester sans rien faire, ne pas aller à l’école, là c’est pas une vie », soupire la jeune fille.
Comme Elie, la plupart des mineurs étrangers isolés qui se voient refusés des mesures de protection ne sont pas ceux qui font la une des journaux sous les titres de la « crise migratoire ». Ainsi, les jeunes accompagnés par Renaud Mendel viennent essentiellement d’Afrique de l’Ouest, également du Pakistan et du Bangladesh. « Les Erythréens, les Soudanais, les Syriens sont moins visibles, ils sont sur les campements, leur urgence à eux c’est l’hébergement, ils se font évacués tous les mois et font la navette avec Calais » observe-t-il. Se détachant de l’image du demandeur d’asile, parfois logés en foyers de travailleurs migrants, ces jeunes, une fois évalués comme majeurs, deviennent des migrants économiques, sans-papiers parmi d’autres. « Au-delà d’un problème de minorité, un jeune, qu’il ait 15 ou 19 ans, qui arrive du Mali en ayant traversé la Lybie, l’Algérie, la Méditerranée, ne va pas revenir dans son pays, même s’il n’est pas pris en charge par l’ASE. Donc autant arrêter cette hypocrisie qui consiste à distinguer le bon et le mauvais migrant. Ces jeunes ne viennent pas aux frais de la princesse, ils ont envie de travailler et lorsqu’il y a une prise en charge, c’est 80 % de réussite. Ils sont directement utiles dans notre économie. Ils sont couvreurs en France, et je connais des CAP où il y a encore de la place » s’exaspère Renaud Mendel.
Des mesures ont été mises en place par la ville de Paris, notamment un dispositif d’hébergement pour 70 jeunes scolarisés, mineurs ou non, et surtout un plan d’amélioration des dispositifs pour les mineurs isolés, signé Dominique Versini, adjointe à la Mairie. « Sur le papier c’est beau mais sur le terrain le plan peine à se mettre en place. Et c’est sous-dimensionné par rapport au nombre de jeunes dans le besoin. Donc une solution pour les pouvoirs publics consiste à dire qu’ils ne sont pas mineurs, pour éviter la conscience de les laisser à la rue ». Cinq jours plus tard, dans le grand salon d’honneur d l’Hôtel de Ville, Madame Versini semble répondre du tac au tac au président de l’ADMIE. Lors de la conférence de presse organisée par Anne Hidalgo, le 6 septembre, pour présenter son projet de camp de réfugiés, l’adjointe est en effet interpellée sur le sujet des mineurs : « Les jeunes migrants qui se présenteraient au pôle d’accueil du site en tant que mineurs seront orientés vers l’association de la croix rouge, par délégation de l’aide sociale à l’enfance, en vue de l’évaluation de leur minorité. Et, permettez-moi de vous dire qu’il n’y a pas de mineurs dans la rues de Paris et que si vous en trouvez un avéré, amenez-le moi immédiatement, il sera pris en charge. Il y a beaucoup de jeunes dont la majorité est reconnue par une décision de justice, c’est ainsi. Et 1 500 mineurs isolés étrangers ont été pris en charge par Paris, et ce n’est pas vulgaire de parler de budget, mais ça représente quand même plus de 80 millions d’euros » répond-t-elle, légèrement emportée.
Mis en uvre avec Emmaüs Solidarité, ce centre, dont l’ouverture est prévue en octobre sur le site Dubois du 18ème arrondissement, pour 400 places, laisse le BAAM insatisfait. Evaluant les nouvelles arrivées à 100 personnes par jour sur les camps de fortune, Héloïse évoque déjà un lieu « démesurément trop petit« . Par ailleurs, le centre prévoit une « mise à l’abri temporaire », ne pouvant accueillir les personnes qu’entre 5 à 10 jours, l’objectif étant de « fluidifier » les orientations des primo-arrivants vers les Services Intégrés d’Accueil et d’Orientation (SCIAO). Or, répondre sur le registre du temporaire est problématique pour la présidente : « Nous avons besoin d’accueils de jour, avec des structures juridiques et sociale, une aide concrète, mais là on se retrouve avec un centre de tri. Les personnes risquent de se retrouver dans des SCIAO et des régions qui renvoient les migrants vers la Hongrie ou l’Italie. Or nous savons le danger potentiel que cela représente pour nombre d’entre eux. Le SCIAO des Bouches du Rhône notamment, renvoi systématiquement les personnes ».
Face au flot de nouveaux arrivants chaque jour sur les camps de fortune, aux évacuations que les militants veillent bien à appeler « rafles », qui ont rythmé tout l’été, et à la gestion d’une centaine d’OQTF accumulée seulement sur le mois dernier, le BAAM marche au « système D, huile de coude et bénévolat ». Refusant les subventions publiques, l’association perçoit les pouvoirs publics, dont les interlocuteurs restent les grands opérateurs comme Emmaüs, bien loin de leurs réalités sur le terrain. Depuis un an, répondant à l’urgence des besoins en apprentissage des migrants, ses bénévoles organisent des cours de français tout terrains aux migrants à la rue, qu’ils soient mineurs ou non. « Pendant les vacances des associations de FLE, nous avons dû absorber toute la demande, avec des cours de plus de 100 personnes pour seulement deux professeurs. On doit sans cesse improviser pour trouver des espaces disponibles, dans des bibliothèques, des squats, et sur des créneaux qui ne sont pas forcément fixes. C’est l’école des interstices » explique Baptiste. Ainsi, chaque soir à 18h30, un tableau se dresse sur le campement de Stalingrad et un cours s’organise pour quelques 80 personnes : « L’objectif est de créer une sorte d’humanité dans le campement, un espace de lien avec des gens qui passent aussi. Proposer un espace neutre, avec des symboles chargés comme le tableau noir de l’école, permet de déconstruire l’image de saleté, de précarité« . Un registre de sensibilisation décliné de la même manière cet après-midi du 1er septembre, entre le BHV et les bords de Seine, par la clameur d’Héloïse Mary : « Sortez vos portables, on va mettre la musique et faire la fête par Bluetooth !« .
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