Beaucoup de pays africains organisent annuellement un salon du livre à dimension nationale ou internationale. Parmi les plus importants, l’on peut citer le Salon international du livre d’Alger et le festival Time of the writer de Durban en Afrique du Sud. La « Rentrée littéraire du Mali », dont la première édition avait eu lieu en 2008, est sur le point de faire partie de ces rendez-vous prisés. Retour sur l’édition 2015 qui s’est déroulée fin février à Bamako et plus spécifiquement de la collaboration Mali-Algérie pour l’organiser.
L’attractivité de la « Rentrée littéraire de Bamako » s’explique en partie grâce aux prix qui en constituent l’un des volets originaux, des prix dont un continental, primant un roman écrit ou traduit en français par tout auteur africain où qu’il vive mais ayant publié son texte en Afrique. Ce prix porta d’abord le nom de Yambo Ouologuem, en hommage à l’auteur de Le devoir de violence, prix Renaudot 1968, Yambo Ouologuem né le 22 août 1940 à Bandiagara, au Mali, où il vit actuellement. Les lauréats en furent Isaie Biton Koulibaly (Côte d’Ivoire), en 2008, pour son roman Et pourtant elle pleurait, coédité par les éditions Frat Mat et les NEI d’Abidjan, Suzanne El Farrah El Kenz (Algérie), en 2010, pour son roman La Maison du Néguev, aux éditions Apic d’Alger, et Eugène Ebodé (Cameroun), en 2012 pour son roman Madame l’Afrique, éditions Apic d’Alger. À la suite de quelques polémiques autour de l’usage du nom de Yambo Ouologuem, ce prix fut rebaptisé, à partir de l’édition de 2015, prix Ahmed Baba, du nom du savant et homme de lettres Abu Al-‘abbas Ahmed Ibn Ahmed Al-takruri Al-Massufi, né le 26 octobre 1556 à Tombouctou et mort le 22 avril 1627. Cet homme résista à l’envahisseur saadien (dans la zone de l’actuel Maroc), et tomba entre les mains de l’ennemi pour être fait prisonnier par le sultan Ahmed Al-Mansour. Doté de 3 millions de francs CFA (4.500 euros), le prix Ahmed Baba (ex-prix Yambo Ouologuem donc) est le seul des quatre attribués lors de la Rentrée littéraire du Mali à concerner tous les écrivains africains (pour l’édition de 2015, j’ai eu l’honneur d’en être le lauréat avec mon roman L’ethnologue et le sage, paru en septembre 2013 aux éditions ODEM de Libreville – Gabon).
Les autres récompenses sont nationales, attribuées à des auteurs maliens : ainsi, le 27 janvier 2015, au cours de la soirée de clôture de La Rentrée littéraire du Mali, le prix du meilleur manuscrit (roman, recueil de nouvelles, de contes, de poème, théâtre, récit) a consacré La folle du pont des Indigents de Mohamed Diarra, texte qui paraîtra aux éditions Tombouctou ; le prix du premier roman, doté d’un million de francs CFA (1.500 euros), a honoré le médecin Moussa Koné pour son roman Niamoye, la terre promise de Tombouctou : blessée de l’Azawad, paru en 2014 aux éditions Togouna de Bamako ; le prix Massa Makan Diabaté, du nom de l’historien et écrivain malien né en 1938 à Kita et mort le 27 janvier 1988 à Bamako, rendu célèbre surtout par sa trilogie Le lieutenant de Kouta, Le coiffeur de Kouta et Le boucher de Kouta, publiés aux éditions Hatier de Paris, ce prix doté de deux millions de francs CFA (3.000 euros), a salué l’art de Niaré Fatoumata Kéita pour son roman Sous fer, sorti en janvier 2013 aux éditions La Sahélienne/L’Harmattan de Bamako.
Créée en 2008 par l’association Fonds des Prix littéraires du Mali, par les écrivains Ibrahima Aya et Aïda Mady Diallo, la Rentrée littéraire du Mali, d’abord une biennale (l’édition de 2014 n’avait pas eu lieu à cause de la sérieuse crise du nord-Mali en 2012), deviendra annuelle à partir du 2016, toujours du 23 au 27 février. Selon Ibrahima Aya, codirecteur de cet événement, « les différentes manifestations de la Rentrée littéraire ont pour seul objectif de contribuer à mettre en lumière la production littéraire et intellectuelle en Afrique à travers la promotion des auteurs et de leurs uvres. L’impact recherché est bien l’amélioration (quantitative et qualitative) de la demande et de l’offre de livres et de lecture. Les prix participent également de cela. Au départ en 2008, il y avait trois prix : le prix du premier roman, le prix Massa Makan Diabaté et le prix Yambo Ouologuem, devenu maintenant le prix Ahmed Baba. Pour notre Rentrée, en 2010, le prix du meilleur manuscrit s’est ajouté en 2010« .
L’édition de 2015 avait pour thème général « Osons réinventer l’avenir« , un hommage au capitaine Thomas Sankara, le révolutionnaire burkinabè assassiné le 15 octobre 1987, auteur d’un discours célèbre à la tribune de l’ONU, mais surtout, selon les organisateurs, ce thème s’inscrivait « dans le processus de réconciliation et reconstruction du pays (Mali) en cours, à la suite de la crise politique, institutionnelle et identitaire intervenue en 2012« . Venus du Togo, du Cameroun, du Burkina Faso, d’Égypte, d’Algérie, de France, de Belgique, du Kenya, du Mali, du Niger, plusieurs dizaines d’écrivains et d’éditeurs avaient contribué à faire de l’édition 2015 de la Rentrée littéraire du Mali, du 24 au 27 février, une véritable fête culturelle. (1)
Soutenue financièrement par plusieurs ministères maliens, avec l’appui de quelques institutions étrangères, cette manifestation littéraire aura aussi, grâce notamment à son prix continental Ahmed Baba, pour impact d’inciter des écrivains africains, déjà ou pas encore suffisamment révélés et célébrés en Europe et en Amérique, de publier nombre de leurs textes en Afrique. C’est donc bien à une redynamisation de toute la filière du livre qu’un tel événement participe. Aussi, permet-il d’établir des formes nouvelles de collaboration intra-africaines entre structures associatives, entre États. Pour l’édition de 2015, ce fut le cas avec la forte délégation des Algériens à Bamako.
Rarement deux auteurs à la fois étaient venus du même pays pour l’édition 2015 de la Rentrée littéraire du Mali. L’Algérie faisait exception avec une délégation de douze personnes, le tiers des participants (seul le pays organisateur pouvait se targuer d’avoir eu autant de représentants.) Cette forte présence donnait une idée du dynamisme du pays de Kateb Yacine en matière de culture, de littérature surtout, car l’Algérie, au passé ou au présent, nous offre toujours des noms prestigieux, des poètes, dramaturges et romanciers aux univers originaux. La jeune garde impose déjà ses marques, avec des auteurs comme Sarah Haidar ou Randa El-Kolli. Mais cette vitalité seule n’aurait pas suffi à expliquer la présence à Bamako de tant d’Algériens.
Grâce à l’éditrice et écrivain Samia Zennadi et à la dramaturge Hajar Bali, j’avais saisi les contours d’une riche collaboration entre des créateurs qui savent aussi impliquer leurs pays. Samia Zennadi s’était impliquée, à partir de son amitié avec Ibrahima Aya, dès la première édition dans les activités de la Rentrée littéraire du Mali, en facilitant les contacts avec certains auteurs à inviter et en participant à Bamako à la gestion des invités, à la modération des tables rondes et des débats
. « Ibrahima Aya a fait plusieurs voyages en Algérie et a participé au Festival du livre et de la littérature jeunesse et aussi au salon du livre d’Alger dans l’Espace Panaf, m’explique-t-elle. En 2014, et à la demande de Ibrahima Aya et de Aida Mady Diallo, qui ont souhaité élargir le cercle de la réflexion de la rentrée littéraire, un groupe de travail a été constitué et l’association Chrysalide s’est chargée de réunir à Alger (septembre 2014) ce groupe. L’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et l’institut français (qui a payé les billets) nous ont permis de nous retrouver aux Aftis (Jijel pas loin de Bejaia). À partir de là les propositions de thématiques ont été avancé. Ce groupe de travail a travaillé en coordination avec celui qui était au Mali. Quand à la présence algérienne, elle a été possible grâce au ministère de la culture et à l’ambassade d’Algérie au Mali« .
On doit à cette collaboration entre Algériens et Maliens le succès de cet événement dont l’organisation, tout le monde s’en doute, n’est pas des plus simples. C’est ce qu’explique la dramaturge algérienne Hajar Bali à propos de cette collaboration : « L’idée est venue lors de la précédente rentrée littéraire à laquelle nous avons participé, et durant laquelle les organisateurs nous ont parlé des difficultés auxquelles ils ont fait face, devant organiser et réfléchir en un temps très court au thème de la manifestation« . Malgré l’insuffisance des moyens humains et matériels, au prix de grands sacrifices, l’équipe malienne parvenait à donner à l’événement toute son ampleur, « l’enjeu étant de participer à la préservation du formidable atout culturel de ce pays, menacé, comme on le sait, par la guerre qui sévit au nord« .
Pour aider les organisateurs maliens de la Rentrée littéraire, une structure internationale naquit. « Nous avons ainsi spontanément formé une équipe élargie à d’autres pays (France, Belgique, Algérie) qui sera désormais partie prenante dans l’organisation de la manifestation (Rentrée littéraire du Mali) , explique Hajar Bali. C’est ainsi que l’association algéroise Chrysalide a proposé de collaborer avec le Fonds des Prix Littéraires du Mali à l’organisation de La Rentrée Littéraire du Mali 2015, en proposant, dans un premier temps, une résidence pour l’équipe dite internationale; et dans un deuxième temps, la prise en charge des invités algériens à la rentrée 2015« .
Du 7 au 14 septembre 2014, l’association Chrysalide avait organisé une résidence dans l’auberge des AFTIS (Wilaya de Jijel, Algérie), où des artistes dont des membres de Chrysalide avaient l’habitude de séjourner pour créer. Il s’agit d' »un cadre idéal pour ce genre de rencontres, les résidents étant logés confortablement dans un lieu calme, sécurisé, propice à la création. L’association Chrysalide a organisé cette résidence avec le soutien de Monsieur Bousdira, propriétaire de l’auberge, et de l’agence Algérienne pour le rayonnement culturel (AARC). Les voyages des participants étrangers ont été financés par l’ambassade de France en Algérie. Les personnes en résidence ont eu donc à définir un thème principal autour duquel s’orientent les différentes tables rondes et rencontres, organisées dans les écoles, les lycées les universités, ainsi que dans les habituels cercles culturels de Bamako. Nous avons établi une liste d’intervenants de tous pays, qui devaient développer les différents axes de réflexion que nous leur avons proposés« .
Au cours de cette résidence, les organisateurs avaient collecté quelques contributions écrites des participants à la précédente rentrée littéraire, « un autre but de la résidence étant de lancer le site de la rentrée, poursuit Hajar Bali, un site qui rende compte le plus régulièrement possible des contenus fort riches des conférences et débats. L’équipe internationale est ainsi vue comme soutien humain et logistique à l’équipe de bénévoles maliens qui, elle, a pour charge de valider le programme proposé et de l’enrichir par des propositions. Les organisateurs maliens se chargent également de prospecter et d’inviter les auteurs qui ont été édités dans l’année. Ceux-ci participent aux rencontres-dédicaces avec les lycéens. Enfin, notre souhait est de garder le souffle pour pérenniser cette résidence et en faire un réel moment de réflexion, de débat, de création, sur l’actualité de la région. Nous réfléchissons également à agrandir le groupe des organisateurs internationaux en y incluant des auteurs venus d’un troisième, voire d’un quatrième continent« .
L’une des leçons que j’avais tirées de ma participation à l’édition 2015 de la Rentrée littéraire du Mali, c’est celle-là donc, la leçon d’une collaboration réussie entre des artistes, dont les uns, citoyens d’un pays plus stable, l’Algérie, plus riche et ayant l’habitude de l’organisation d’événements littéraires, dont les uns, disais-je, citoyens d’un pays devenu plus stable après avoir connu ses années noires, parviennent à impliquer des institutions d’État pour une contribution financière conséquente par l’achat des billets d’avion, des frais de séjour
« Pour la rentrée 2015, poursuit Hajar Bali, l’Algérie a été représentée par une délégation de pas moins de 12 personnes, écrivains et artistes. L’Algérie s’enorgueillit d’être active politiquement et économiquement dans plusieurs régions d’Afrique, il nous paraît important de réfléchir à des collaborations culturelles qui, selon nous, sont aussi importantes, et probablement les meilleures et les plus durables manières d’envisager le partage, l’amitié, la paix. C’est pourquoi nous avons souhaité l’implication de nos institutions et entamé un dialogue dans ce sens. Le ministère algérien des affaires étrangères a été sensible à notre discours, proposant le partenariat de l’ambassade d’Algérie au Mali, ce qui a permis d’assurer l’hébergement des invités algériens. Chrysalide a pris en charge les voyages. Cela, nous l’espérons, a pu alléger nos amis Maliens d’une partie des soucis matériels, hélas récurrents« .
La Rentrée littéraire du Mali pourra donc s’appuyer désormais sur une structure internationale qui lui garantira une plus grande solidité, une plus grande efficacité grâce à la mobilisation plus importante de moyens humains et financiers. Cette Équipe internationale se compose de 3 écrivains du Mali : Ibrahima Aya, Aïda Mady Diallo (membres fondateurs de la rentrée littéraire du Mali) et Mohomodou Houssouba (résidant en Suisse), d’1 écrivain et éditeur de France : Stéphane Leroy, spécialisé dans l’édition numérique, d’1 de Belgique, l’actrice et dramaturge Véronika Mabardi « qui a souvent séjourné au Mali« , de 3 d’Algérie : l’éditrice et sociologue Samia Zennadi, l’écrivaine, responsable de la commission livre au sein de l’association Chrysalide Hajar Bali et le producteur cinéma, président de l’association Chrysalide, Djaber Debzi.
Il est souhaitable que cette belle collaboration entre des créateurs algériens et maliens fasse école sur le continent africain.
(1) On peut consulter le lien du site officiel de la Rentrée littéraire de Bamako pour avoir une fiche détaillée de chaque invité :///Article N° : 12832