La Saison culturelle 2000-2001 au Bénin

il y a ceux qui ont fait et il y a ceux qui ne savent pas trop

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Un regard rétrospectif sur la vie culturelle de la saison dernière au Bénin, indique une profusion d’activités dans tous les domaines artistiques, dans la communication et dans les folklores locaux. Dans la même période s’est affichée, de manière plus évidente que jamais, la légèreté avec laquelle les gouvernants et les cadres béninois conçoivent la culture. La polémique autour d’une déclaration présumée du ministre de la Culture de l’époque dans le journal français Le Monde, le mépris du patrimoine, la visite de certains sites Internet sur le Bénin… sont autant d’éléments d’inquiétude sur la conception d’une politique culturelle au Bénin. En retour, les nombreuses publications littéraires, musicales, médiatiques (Internet et presses), les événements artistiques de tout genre, la vie des artistes béninois, notamment ceux de l’extérieur, sont de véritables motifs d’espérance.

A propos du patrimoine culturel du Bénin
Nous ne sommes pas à un paradoxe près. Toute la communication du gouvernement béninois repose sur « la valorisation » de la culture béninoise à travers quelques vestiges dont l’existence est essentiellement due à des réhabilitations extérieures. Jamais il ne viendrait à l’esprit d’un cadre béninois de penser la mise en valeur d’un édifice historique sans l’arrière pensée automatique de l’aide extérieure, française en particulier. Les quelques « fous » qui ont pris le problème différemment se sont vus marginalisés par cette coopération qui a fini par s’y accorder une prérogative, voire un monopole, et presque ridiculisés par leurs compatriotes qui voient dans ces entreprises un luxe d’enfant gâté.
Or, il y a deux ans, le chef du gouvernement a nommé un ministre de la Culture qui était également porte-parole du gouvernement. Au-delà des réserves manifestées sur ce cumul, l’on pouvait penser que ce gouvernement accordait ainsi un rôle central à la culture. Ce ministre, instruit de certaines méthodes peu orthodoxes en démocratie, commence d’abord par affaiblir les structures artistiques existantes. Il donne beaucoup de moyens à la troupe nationale, au détriment des autres, essaie en vain de récupérer le débat culturel national en initiant une concurrence systématique à tout ce qui existe, procède de la précipitation pour le Festival international de théâtre du Bénin, ignore complètement l’animation des sites culturels.
Cette vision de la culture n’a pas semblé convaincre le chef de l’Etat. Ce dernier lui a simplement retiré son portefeuille. Vers la fin de ce mandat somme toute bavard et peu efficace, il aurait accordé une interview que Le Monde publiera quelques semaines plus tard. Cet entretien lui attribue des propos assez graves sur la valeur du patrimoine béninois. Il n’y croirait pas tout simplement. Pour ceux qui ont suivi de près ses actions, ces paroles n’ont rien d’étonnant. Or voici que toute la presse béninoise se rue sur la question et crie haro. Des « spécialistes » français se mêlent à l’attaque et, il y a quelques semaines, le ministre n’a trouvé d’autres répits que de déclarer dans un journal béninois qu’il n’a jamais accordé cette interview.
L’absence de politique culturelle
Au-delà de l’interview et des réactions qu’elle a suscitées, les propos attribués à cet homme reflètent très exactement son action et sa pensée de la culture. Pis, ils reflètent l’action et la pensée de la plupart des hommes et des femmes chargés d’animer, au plan administratif, la vie culturelle béninoise. L’inexistence d’une politique culturelle officiellement masquée par le document des « Etats généraux de la culture », eux-mêmes préparés et tenus dans une précipitation inouïe, en est la conséquence. L’ignorance des cadres est la cause de cette aberration. Il y a comme un cafouillage artistique sur toutes les questions relatives à la culture. Les mentalités en sont presque atteintes. L’on n’évoque la culture que comme un produit d’exportation et l’intérêt qu’on lui porte ne se justifie que par l’Argent qu’elle peut rapporter au pays. En fin de compte, cette chose curieuse, indéfinissable, s’explique par la confection rapide de produits exotiques pour une demande essentiellement européenne.
Le site Internet du gouvernement béninois confirme ce constat. Dans la plupart des autres sites béninois y compris ceux qui ont une vocation « culturelle », soit les pages sont en construction, toujours, soit elles réduisent suffisamment le champ d’action de telle manière à ne pas apprendre grand’chose à des novices intéressés par exemple à savoir : qu’est-ce qu’un Béninois ? Et plus des Béninois se mobilisent pour faire sonner un autre son de cloche, plus nos esprits se limitent et nos créations sont ignorées.
Beaucoup de créations
Pourtant, rien que la saison dernière, la masse des créations et publications des Béninois, a battu des records nationaux. Beaucoup de livres publiés, comme en témoignent les quelques uns dont nous avons rendu compte dans Africultures, sur des sujets divers, dans des disciplines diverses. Beaucoup sont de qualité moyenne, quel que soit le sujet, mais la masse de publications, ajoutée aux manifestations littéraires (résidences d’écriture et autres) et à l’invasion des quotidiens par des pages littéraires augure d’une ère nouvelle en la matière. Même si la reconnaissance officielle vient encore de l’extérieur, les écrivains béninois croient de plus en plus au livre comme moyen de communiquer d’abord aux personnes qui peuvent les comprendre, à commencer par celles de leur culture. Le papier pauvre s’impose comme canal efficace dans la mesure où il répond à des considérations économiques. Le coût faible du livre, s’il ne peut pas opérer le miracle de mettre tout le monde à la lecture tout de suite, a des chances d’augmenter déjà le nombre de ceux qui ont envie de posséder un livre. Posséder un livre deviendra sûrement un facteur de prestige et qui sait la suite ?
La production discographique suit à peu près le même rythme exponentiel et connaît à peu près les mêmes difficultés de diffusion, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Des artistes béninois s’exilent de plus en plus, dès un certain tournant de leur carrière pour essayer de résoudre ce problème. En réalité, ils s’enferment dans des espèces de ghetto et rayonnent dans des espaces bien limités. Une récente visite en Allemagne m’a permis de constater que, tout comme en France, les quelques artistes béninois résidents ne se connaissent toujours pas, y compris ceux qui ont sorti un album dans l’année. Je veux dire qu’ils n’ont jamais entendu parler de l’autre. Mais tous sont connus au Bénin par les mélomanes. En clair, le fait d’habiter à l’extérieur n’apporte qu’une chance limitée de diffusion supplémentaire. La part la plus importante de reconnaissance se trouve encore sur place. Et ceux qui, comme Danialou Sagbohan, l’ont compris, demeurent sur leur trône depuis des décennies et communiquent véritablement avec leur peuple sans mourir de faim.
Parallèlement, de plus en plus de nouveaux groupes naissent, soit par une scission de groupes anciens, soit du néant, ou encore par la résurgence d’un groupe naguère éteint. Dans ce contexte, des festivals poussent comme des champignons. Les gros producteurs sont encore inexistants, mais la production est de plus en plus facile. A peu près un disque par semaine, tous Béninois confondus. Pour une population de moins de six millions d’habitants, avec une bonne demi-douzaine de langues et 20 % d’émigrés et très peu d’infrastructures bon marché, c’est sûrement un bon démarrage. Le marché décidera du reste. Encore faudrait-il des structures de médiation suffisamment professionnelles pour indiquer clairement aux publics la multitude dans laquelle ils opèrent leur choix.
Les publics
Toujours à propos des choix, les artistes plasticiens et ceux du corps, eux, n’ont aucun problème. Il y a deux types de publics séparés par une frontière aussi étanche que normale. Les publics locaux sans prétention n’ont aucune raison de changer leurs habitudes. Leur rapport à l’art est encore sincère et se situe dans le champ de l’utilitaire, du religieux, du ludique, de l’esthétique ou du pédagogique. Contrairement à ce que montrent les vitrines, les artistes qui répondent à ces demandes existent encore en nombre constant, même si, quelquefois, leur création est vidée de sens pour devenir une marchandise exotique, ce qui d’ailleurs ne fait aucun mal à personne, dans toute la chaîne. La sincérité est la caractéristique première de cette catégorie. Ce travail intelligent et créatif ne se heurte pourtant pas à un intérêt extérieur. Au contraire, chaque fois que le type de communication est partagé, ce sont les créations béninoises les plus efficaces hors du Bénin.
Les autres relèvent de fabrications artificielles où le décoratif putassier le dispute avec l’exotisme de bazar, et où les artifices sont soutenus par une publicité factice pour un public finalement peu intelligent, en tout cas de plus en plus restreint, comme en témoigne la fréquentation des spectacles d’origine béninoise au Centre culturel français ces derniers temps : dans un article de Le Matin du 9 juillet dernier, L.A. Dansou indiquait ironiquement que moins de vingt spectateurs étaient présents au concert de Bassoura le 7 juillet. On peut difficilement faire mieux avec des vedettes qui ont l’habitude de rassembler des centaines, voire des milliers de spectateurs.
Internet
Même si la corruption et le clientélisme qui paralysent la téléphonie au Bénin ne le favorisent pas réellement, Internet prend des allures très intéressantes. Certains sites jouissent d’une fréquentation satisfaisante pour les outils dont ils disposent. Par exemple, en six mois, le site du quotidien Le Matinal a été visité 84 000 fois, bien qu’il reste perfectible et qu’il jouisse de peu de publicité. De plus en plus de jeunes s’organisent pour créer des pages. Ici, la question des destinations ne se pose pas. Ces pages sont essentiellement créées pour l’Occident, dans leur stricte majorité. Personne ne se leurre. Il ne peut en être autrement dans un pays où on met plus de quatre ans pour avoir une ligne téléphonique après la demande, et où la plupart des acteurs de l’informatique n’ont qu’un souci : partir.
Or, il semble que dans l’état actuel des choses, l’Internet représente la possibilité la plus abordable pour permettre aux Béninois de communiquer avec les Béninois et pour permettre aux Béninois d’une culture donnée de s’informer sur les autres. Ce n’est pas simplement une question d’infrastructure. C’est un choix politique clair à faire. Evidemment, il y a d’autres choix. Oser les présenter dans toute leur rigueur et leur exigence, c’est faire le pas vers une véritable politique culturelle.

NdlR : Africultures a publié dans son numéro 31 un entretien avec le ministre de la Culture Gaston Zossou à propos de son livre Au nom de l’Afrique (L’Harmattan 2000).///Article N° : 1864

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