Après l’avoir créé avec succès en Avignon dans le cadre du Festival Off, Serge Aliune Limbvani a repris La Valse interrompue en décembre dernier au Théâtre des Sablons à Fontainebleau et prévoit de la présenter en avril au Théâtre de la Tempête à Vincennes. Cette pièce que Serge Aliune Limbvani a montée avec des comédiens de type européens est adaptée d’après La chèvre et le Léopard de Sylvain Bemba. Cependant ce choix d’adaptation ne vise ni à dénaturer, ni à édulcorer le texte. Il s’agit plutôt de faire tomber les barrières et les a priori pour mieux, selon le metteur en scène, » faire connaître des textes d’auteurs africains francophones à des comédiens d’horizons divers « . Aussi avec Serge Limbvani l’allégorie animalière de Bemba se meut-elle en une métaphore quasi érotique, et loin d’y perdre, la violence de la situation s’en trouve exacerbée et conquiert surtout une force universelle qui ne pouvait que servir l’oeuvre du dramaturge congolais. Ainsi s’impose d’abord la fable toute brechtienne de la pièce.
Un parvenu a l’habitude d’acheter les faveurs d’une gamine qui avec cet argent paye les médicaments de sa mère malade. Mais la gamine n’est pas celle qu’il attend. La mère est morte et elle est venue tuer l’homme cynique et méprisant qu’elle tient responsable de sa mort.
En dépit d’un décor maladroit qui avec son canapé et son petit bar vient malencontreusement installer le cliché boulevardier de la garçonnière, la qualité de présence des comédiens et la force de leur jeu parviennent rapidement à évacuer le poids mesquin de l’illusion réaliste. La violence du pas de deux que jouent sous nos yeux Joanna Jianoux et Gérald Papasian tend justement à montrer combien le huis-clos ne peut naître d’un décor étriqué. C’est avant tout le jeu qui lui donne corps et réalité, c’est le jeu qui construit l’atmosphère et lui confère sa résonance oppressante. Tout le mérite du spectacle réside sans doute dans la performance des comédiens et la qualité de la direction d’acteur qui est parvenue à donner des accents pinteriens aux dialogues. Et la tension dramatique qui en émane et qui jusqu’à la fin ne cesse de dérouter le spectateur ne fait d’ailleurs que décupler l’artifice inefficace du décor réaliste.
Les personnalités qui s’opposent sous nos yeux sont finalement trop chargées pour se contenter des dimensions d’une réalité reconstituée. Tandis que Gérald Papasian, avec son catogan espagnol, joue les conquistadores incestueux et dégoulinants de suffisance et de perversité, la jeune Joanna Jianoux, blondinette tout en fragilité, rend parfaitement la comédie de l’innocence et parvient à nous faire adhérer à son impossible détermination.
Au delà de l’intrigue privée on se surprend alors à envisager la situation comme une vraie parabole de cette aliénation paternaliste et perverse que subissent les pays du sud et dont le tourisme sexuel et pédophile n’est sans doute que l’expression la plus raccourcie, voire aussi la plus concentrée en terme d’abomination. Ne faut-il pas voir dans cette gamine venue assassiner la figure du père indigne, avide de jouissances, mais qui a pourtant maintenu artificiellement la mère en vie par son argent, la misère tiers-mondiste qui se retournerait contre l’aisance obscène des grandes puissances ?
Né au Congo en 1966, Serge Aliune Limbvani est un comédien qui s’intéresse autant au théâtre qu’à la musique et à la danse. Après des études supérieures d’économie, il se spécialise dans la Conception et la Mise en oeuvre de projets culturels et se forme à la pratique théâtrale dans la troupe Ngunga à Brazzaville. Co-fondateur de la Compagnie Lian, il conçoit, adapte et met en scène de nombreux spectacles, dont notamment A B C de notre vie de Jean Tardieu au Théâtre Mouffetard en 1992, La Déchéance d’après Jazz et vin de palme d’Emmanuel Boundzéki Dongola au Théâtre Silvia Montfort en 1994, Les Noces posthumes de Santigone de Sylvain Bemba, créée à Ouagadougou en 1996, et dernièrement La valse interrompue d’après Sylvain Bemba, créée en Avignon Off 1997. ///Article N° : 259