L’Absence, de Mama Keïta

Le tragique destin de l'Afrique inaudible

Print Friendly, PDF & Email

Il faut voir L’Absence. Et ne pas tarder, car il est si difficile de trouver un distributeur en France pour les cinémas d’Afrique que cette sortie est confidentielle et bien tardive, le film ayant été primé au Fespaco 2009. S’y précipiter non seulement parce que ce film est important mais aussi parce qu’il va vite disparaître des écrans s’il manque de public.
Le film est projeté à Paris depuis le 22 janvier 2014 au cinéma La Clef et, fort de son succès, reste tous les jours en séance unique : à partir du 5/02 (même samedi et dimanche) à 14h.
Lire également notre entretien sur le film avec Mama Keïta : [entretien n°12034]

Pourquoi cette importance ? Parce que sous la forme d’un thriller dans la nuit de Dakar, il nous parle avec une impressionnante pertinence de l’état du Continent. Et cela à travers une double absence : celle des cerveaux qui ont migré, et celle des fils qui ont délaissé leur rôle dans leur famille. Si ce film est dramatique, c’est qu’il cerne ainsi ce qui est bien plus profond que les drames mis en avant par l’actualité médiatisée. Mais si ce film est chargé d’espoir, c’est que son personnage va prendre conscience et changer – non pas dans une rédemption illuminée mais parce qu’il prend en pleine face ce que cette double absence provoque.
D’une belle maturité, le film résume et développe une approche que Mama Keïta construit de film en film, et représente à ce titre un aboutissement dans son souci d’exprimer le contenu par la forme. Adama (William Nadylam) revient à Dakar en urgence après 15 ans d’absence : il a reçu un télégramme lui annonçant que sa mère est gravement malade. Mais sa mère va très bien. C’est sa sœur sourde-muette Aïcha qui appelle au secours. Adama la rejette : il a une vieille blessure à lui reprocher. Il n’en faut pas plus pour établir une tension qui ne nous quittera plus, soutenue en crescendo par la dextérité de la caméra portée, la sécheresse des cuts du montage et une mise en scène favorisant la mobilité des personnages. Le scénario avance par énigmes en un temps court, 48 heures, dans une Dakar interlope et violente. Personnage complexe, Adama traîne ses fantômes, se retrouve victime et peine à saisir le réel. Lui qui pensait s’être construit en désertant son pays devra subir une série de chocs pour comprendre qu’Aïcha qui y est restée est aussi prise au piège que les pigeons de son ami. Son rejet moral est inadapté, et le rend inapte à gérer l’âpreté de l’Afrique urbaine. Quand il le comprendra, il risque d’être trop tard pour Aïcha, tragique destin d’une Afrique exsangue de la fuite de ses cerveaux qui se meurt inaudible sur les trottoirs de la nuit dakaroise.

///Article N° : 12037

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Les images de l'article





Laisser un commentaire