L’Afrique du Sud omniprésente au 54e Festival de Berlin

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La critique de cinéma Heike Hurst rend ici compte des documentaires sud-africains présentés au 54ème festival de Berlin de février 2004, ainsi que de Country of my skill de John Boorman, présenté en compétition.

Country of my skull
Depuis quelques années, le Forum du Jeune Cinéma propose une programmation centrée sur une thématique politiquement passionnante, cinématographiquement convaincante, en allant chercher des films loin…loin. Ce furent successivement les cinémas hésitants du Vietnam et en 2002 un cinéma quasi clandestin venu de Chine populaire, et, prolongation de cette découverte ‘work in progress’, en 2003, le saisissant film de Bing Wang, Tie Xi Qu : trois volets, 175 min. plus 130 min., sur fond de démantèlement de complexes sidérurgiques en Chine populaire. Ce film hallucinant va sortir en France sur support vidéo, faute de financiers pour un kinéscopage. En 2004, le regard s’est porté sur une cinématographie naissante, renaissante ? – celle de l’Afrique du Sud. Dix ans après les premières élections démocratiques, l’Afrique du Sud, la fin de l’Apartheid…fournissaient à Berlin un centre d’intérêt, qui était repris par toutes les sections sans exception : Un film en compétition, Country of my skull de John Boorman – d’après le livre de l’afrikaner Antjie Krog – scelle la rencontre de stars, Juliette Binoche et Samuel L. Jackson, dépêchés en tant que journalistes aux commissions Vérité et Réconciliation (Truth and Reconciliation Commission, TRC), initiées par Nelson Mandela. Film hollywoodien qui associe torture et lutte raciale à une histoire d’amour, comme si les faits ne suffisaient pas ! Ceci dit, Boorman réussit à rendre l’effroi d’une blanche, de famille afrikaner, incarnée par Binoche, plausible. Elle n’en croit pas ses oreilles, quand les noirs racontent, impassibles, tortures et humiliations. Le film met l’accent sur la transformation de cette femme qui n’avait voulu voir, ni la souffrance des noirs, ni l’engagement des membres de sa famille aux côtés de fermiers blancs extrémistes. Elle se réveille brutalement d’un certain angélisme – impardonnable en politique – les témoignages devant les commissions lui ouvrent les yeux et aiguisent ses sens. Cela lui permet d’aller aux bout de ses idées qu’elle ne défendait que théoriquement, car dans la pratique elle ne connaissait quasiment rien aux problèmes de l’Apartheid, puisque, dans sa famille, le rapport aux serviteurs noirs était chaleureux et même égalitaire. Sam Ngakane est le vieux serviteur qui témoignera, lui aussi, devant la commission. Il incarnera un trait d’union symbolique entre Africains d’Afrique et Afro-américains. Un film décevant, hollywoodien, mélodramatique aux effets faciles : mais qui sait, peut-être transmettra-t-il quelques informations malgré tout ?
Memories of rain
Que la fin de l’Apartheid ne signifie pas la fin de la dictature aurait été un questionnement bien plus intéressant. C’est en tous cas une des lignes majeures explorées par le remarquable documentaire Memories of rain de Gisela Albrecht et Angela Mai, programmé par le Forum du Jeune Cinéma. Dix années après la fin du régime de l’Apartheid, on revient sur les années de la lutte pour l’abolition de l’Apartheid en racontant l’histoire de Jenny Cargill, une Blanche et celle de Kevin Qhobosheane, un Noir, tous deux membres de l’ANC, engagés dans la lutte pour l’indépendance depuis presque vingt ans. Ils ont été clandestins, ont changé d’identité, de pays et de cadre de vie. Kevin part à 15 ans, 10 cents en poche pour rejoindre l’ANC en exil. Jenny a 28 ans quand elle franchit le pas. Elle a été journaliste, a fait des études brillantes. Les trois heures du film ont une remarquable densité : Jenny et Kevin ne parlent pas seulement en ex-cadres de l’ANC, mais se livrent aussi intimement. Jenny est entraînée au maniement des armes en RDA, Kevin en Angola. Les deux se souviennent du cas d’un camarade qui devenait fou de solitude. Au lieu de voir son désarroi, de voler à son secours ; au lieu de considérer son cas humainement, il est interrogé, envoyé dans un camp disciplinaire, où, livré à lui même, il désespère et se pend. On sent que Jenny ne se remettra jamais de son manque de clairvoyance et de la mort de ce camarade. Depuis son retour à la vie civile, Jenny est devenue une des plus brillantes négociatrices et économistes de la jeune démocratie sud-africaine. Elle a adopté un enfant noir.
Le travail sur le film débute en 1994, l’année des premières élections en Afrique du Sud. Une amitié de longue date permet le travail en profondeur de Gisela Albrecht et de Angela Mai avec Jenny Cargill et Kevin Ohobosheane. Dix ans plus tard, après 250 cassettes d’enregistrements, les réalisatrices n’ont que des mots de gratitude à la bouche : elles ont eu le privilège de capter l’évolution de deux personnes engagées dans une lutte, deux personnes exceptionnelles sur le plan humain, dotées de courage et de clairvoyance qui acceptent de partager avec nous ce bilan de leur vie de militants. Les auteurs nous livrent les récits croisés de deux personnes peu ordinaires qui analysent avec le plus de sincérité possible ce qui leur est arrivé. Un exemple : quand Jenny et Kevin rentrent en 1990, ils sont loin de se douter que le pire est à venir. Luttes sanglantes entre les travailleurs saisonniers regroupés et le township en ébullition- avant goût des luttes inter-ethniques-. Règlement de comptes et direction politique inexistante. Jenny se souvient « I lost any contact with myself » (j’avais perdu tout contact avec moi-même) ; elle décroche, disparaît, essaie de recoller les morceaux. Aujourd’hui, Jenny, la blanche, semble s’en sortir bien mieux que Kevin, le noir. Les conditions trop dures de la clandestinité ont détruit sa vie privée et ont eu raison de sa santé. Jenny articule ses doutes et ses angoisses d’ex-cadre dirigeant. Elle a décroché quand les contradictions entre vie et engagement, la réalité et les rêves étaient devenues insupportables :
« Pour qui se bat-on si l’on commence par torturer les gens qui sont avec nous ? »
Malgré tout ils assistent vivants à « l’après » de la lutte de libération. « Il y a des victoires, dit Jenny, car cinq millions de noirs ont maintenant accès à de l’eau potable ». Ce qui reste à faire, ils le savent mieux que tout le monde. Alors que Memories of rain (183 min) est une production indépendante et pauvre, produite par les deux réalisatrices, soutenue par quelques francs-tireurs, dix autres films ont été produits par les nouvelles unités de cinéma officielles créées en Afrique du Sud : NEVF -National Film and Video Fondation- et IDC -Industrial Development Corporation- :
Project 10- Real stories from a Free South Africa
(Un ensemble de dix films). Titre un peu démagogique : car ce ne sont pas réellement des films de cinéma, ce ne sont pas des documentaires de choc comme Memories of rain, ce sont des croquis, des instantanés, des reportages, des films-interviews, qui donnent des informations sur l’état des choses, aujourd’hui, en Afrique du Sud. Ainsi, Hot Wax de Andrea Spitz (48 min) : pendant qu’elle leur coupe les ongles et met le vernis, une esthéticienne noire papote avec ses clientes blanches. C’est savoureux et ennuyeux à la fois. Ivy, c’est son nom, se rappelle, qu’au début, aucune blanche ne voulait qu’elle ne les touche. Maintenant, elle font la queue pour se faire arracher la moustache naissante, les poils rebelles et surtout, elles se confient, elles parlent. Ivy, une mammy noire aux dimensions généreuses, en rigole et continue à plaquer ses doigts sur le wax, la cire qui arrache les poils. Elle a commencé toute seule en allant de maison en maison, créant un salon ambulant et ne rechignant devant aucune tâche. Ivy est ainsi devenue une pionnière : indépendante économiquement, elle nourrit sa famille. Son mari a laissé tomber son travail et passe sa journée à la véhiculer. La plupart des autres films se situe loin de cette insouciance heureuse : Belonging (52 min) de Kethiwe Ngcobo et de Minky Schlesinger est un questionnement identitaire mené entre l’Angleterre (l’exil) et l’Afrique du Sud…(les origines) : « This is where I belong, where my ancestors are… Do you think we ever belong to South Africa ? … your rescue is in you ! » (C’est là que je suis chez moi, là où se trouvent mes ancêtres… Crois-tu qu’un jour, on fera vraiment partie de l’Afrique du Sud ? – pour arriver à la conclusion : …tes ressources, il faut les trouver en toi !). Khetiwe Ngcobo, co-réalisatrice et personnage principal du film, née en Angleterre, pose ces questions à sa mère et tout en se faisant filmer se les pose à elle-même, aux parents et aux amis proches. Elle réclame l’Imbeleko, l’initiation, pratiquée en Afrique du Sud. Le film n’apporte pas de réponse mais privilégie la vie de Kethiwe. Celle-ci semble se satisfaire de sa déambulation entre tartines de pain blanc et beurre de cacahuètes… à part dans ses jérémiades… sa vie semble peu ancrée dans la réalité, alors qu’elle se dit rejetée par les Africains et par les Anglais. Ce film révèle le défaut majeur de toutes ces œuvres courtes, formatées télé : il y a de vraies problématiques, mais ni la mise en scène ni la profondeur d’un véritable questionnement ne soutiennent le propos. La plupart de ces films sont comme des bouteilles jetées à la mer encore pleine de l’Apartheid et des conséquences sur la psyché des Noirs d’Afrique du Sud.
Le film Being Pavarotti de Odette Geldenhuys (52 min) est, à ce titre, particulièrement intéressant, constituant à lui tout seul, un sommet de l’aliénation post-coloniale. Devant de vieilles dames blanches de la bonne société sud-africaine chantent de jeunes garçons noirs déguisés en choristes blancs : ils chantent « aussi bien » que Pavarotti, ils chantent à tue-tête. Ils sont regardés et utilisés comme des singes dans un zoo. Loin de toute réflexion sur l’imitation, ce film est affligeant par son manque de réflexion sur la situation même de l’exploitation de ces jeunes dans un haut lieu de tourisme blanc, Hermanus. Que les mères et les grands-mères exigent les sous que fils et petits-fils ramènent, ne fait qu’ajouter au malaise et nous rappelle la terreur que des familles, évidemment aimantes, exercent sur leur progéniture.
Le plaisir de la musique est, en revanche, omniprésent dans un film consacré à deux filles amies, une Blanche et une Noire, toutes deux des DJ de Hip-Hop passionnés. Mix – Youth and Music de Rudzant Dzuguda (52 min) ou comment partager le plaisir de la musique avec d’autres. Dans ce film, le fossé qui sépare les générations, saute aux yeux. Les parents conformistes ne comprennent pas l’idéal de vie de leurs filles. En Afrique du Sud, un mouvement « ni putes ni soumises » serait tout à fait à sa place. Les 10 films racontent un peu de tout : des destins singuliers, des personnes qui résistent à l’adversité avec une vitalité peu commune, mais aussi cette nouvelle lutte à venir pour se relever de décennies de vie brisées dans le mépris et l’indifférence. L’histoire de Solly Luvhengo éclaire ce sombre tableau de vies broyées par le racisme. Le foot et un travail d’entraîneur pour les deux équipes nationales sortent Solly de l’anonymat et de la misère. Il peut donner l’exemple, gâter son fils, nourrir sa famille et permettre, grâce à un lopin de terre, d’assurer ses arrières : Solly’s Story…de Asivhanzi ‘Asi’ Mathaba. Une des réalités de cette nouvelle vie en Afrique du Sud (au-delà des querelles et des antagonismes de classes et de races), qui regarderait avec tendresse ses enfants métissés, est représentée dans un film de Lederle Bosch The Devil breaks my heart10 years later. La démarche est hésitante, la réalité peu propice aux grands dessins : les jeunes sont paumés et survivent sans projets, mais en tous cas, ils ne seront pas de ces fermiers blancs qui sortaient avec leur fusil et qui tiraient sur tout ce qui bougeait. Ils veulent la paix, une bouteille de bière et des copains…Seul Ikhaya/Home, le film sur la veille femme chassée de sa maison a un sujet simple, un traitement modeste adéquat : – le film a d’ailleurs, comme beaucoup d’autres films de la série – Jennifer Fox comme productrice déléguée. C’est elle qui proposa la série au Forum. Le propos de Home/Ikhaya est simple : un neveu aimant le réalisateur du film, Omelga Hlengiwe Myhiyane, accompagne sa tante Zimbili qui a été chassée de sa maison dans son chagrin et la reconquête de l’envie de vivre. Zimbili a dû quitter sa maison qui se trouvait au centre d’une des nombreuses guerres, au cœur même de Bhambayi. Ils iront ensemble voir cette maison – des années plus tard – Zimbili parlera avec les nouveaux habitants, avancera dans son travail de deuil. Elle pourra reconsidérer sa peine ancienne et créer des liens nouveaux. Le film traduit aussi un processus d’apprentissage pour le réalisateur qui l’accompagne et qui doit lui ‘diriger’ sa tante pour le film alors qu’il doit – selon les règles dans les familles – plutôt lui obéir. Ce film dépasse le mode descriptif des autres films et réussit à nous communiquer et les sentiments du réalisateur et l’émotion de la tante.
Les 10 films programmés par le Forum ont été choisis parmi 13 films produits par South Africain public Broadcaster SABC 1, la NFVF, l’IDC et le Maurits Binger Film Institute, Amsterdam. Ces films seront diffusés pour la première fois en Afrique du Sud à partir du mois d’avril 2004. Tous ces films constituent une sorte de panorama, une plongée dans le réel de dix années de liberté et d’indépendance. Espérons que Memories of rain soit montré dans ce cadre, fasse partie de ce travail de mémoire, car sans ce film, il est difficile d’imaginer qu’une vraie réflexion pourra se faire.
Films du Panorama
Memoria del Saqueo, de Fernando Solanas
Fernando Solanas, mémorable auteur de ‘L’heure des brasiers’, livre avec son documentaire Memoria del Saqueo, un génocide social (Mémoires d’un saccage) une analyse implacable des mécanismes économiques désastreux qui ont mené l’Argentine à la ruine. Film militant contre la globalisation, s’inscrivant dans le mouvement alter-mondialiste, il montre comment les dictatures successives, les régimes corrompus, ont trahi le lien social, ont saccagé les ressources du pays et l’ont livré – clefs en mains – aux Yankees, sous l’œil bienveillant d’une « mafia(o)cratie » nationale, c’est Solanas qui crée le mot. On apprend tout sur la dette extérieure, sur le troc des finances du pays contre des bons sans valeur édités par millions, sur la lente marche d’un pays riche – en matières premières – vers sa ruine, orchestrée par les multinationales et les mafias de la finance. On voit aussi que des milliers de gens, enfants et femmes croupissent dans la misère, on apprend que ces enfants sous-alimentés aux carences profondes ne pourront jamais constituer la relève intellectuelle future du pays. Tout au contraire, ils sont diminués à jamais dans leurs capacités : 80 % des enfants argentins sont sous-alimentés. Loin de tout misérabilisme, Fernando Solanas filme ‘ses’ Argentins en lutte : les vieux, dépouillés de leurs économies, cassent avec marteaux et objets de fortune les portes des banques, et ne cèdent ni à la police, ni à l’armée ; les jeunes ripostent, attaquent les chars avec leurs planches de skateboard ; les femmes et pas seulement les mères de la place de Mai sont là, inébranlables, malgré les arrestations et les intimidations constantes. Les Indiens aussi témoignent. On les a installés sur des terres arides, devenues depuis de riches champs pétrolifères, les champs regorgent de ce pétrole qui pollue l’eau de leurs puits. Il suffit d’une allumette pour incendier le tout. Ils vont mourir de maladie et d’empoisonnement. Dépouillés de leur identité, ils témoignent de leurs tentatives de riposte, des combats bloqués par l’administration, de leurs vies brisées.
Les images que convoque Fernando Solanas participent au combat pour une Argentine vivable, débarrassée de ses sangsues : en témoignent les médecins, ingénieurs, économistes, etc. impliqués dans la lutte contre cette corruption profonde de la société. L’un d’eux dit : « si l’on arrêtait de voler le pays seulement pendant deux ans, l’économie pourrait repartir ! ». Quand Solanas utilise les images d’archives, c’est pour rappeler l’histoire des dictatures successives de ces trente dernières années et le règne de Carlos Menem à Fernando De la Rua. C’est aussi pour rappeler l’abîme entre les promesses électorales et la misère engendrée par l’abomination de ces régimes qui ont ruiné l’Argentine. Les luttes de ces dernières années ont fait plus de morts que la répression sous la dictature militaire ! Loin de se décourager, Solanas prépare déjà une deuxième partie des « Mémoires du saccage » : Cantos de une Argentina latente. Ce « Chant » sera le récit et le témoignage d’une utopie concrète. Il racontera, en effet, la vie de personnes restées anonymes qui ont consacré leur vie à la lutte pour changer cette misère dans leur quartier, dans la vie de tous les jours.
(Fernando Solanas : Memoria del Saqueo, sélectionné et programmé par le Panorama, Berlin, a été repris par le cinéma du Réel, du 5-14 mars 2004, consacré à l’Argentine. Le film a été projeté deux fois, une fois au Latina et une fois dans la grande salle de Beaubourg).
Wild Side de Sébastien Lifshitz
Le film arrive à émouvoir avec une histoire d’amour à trois protagonistes : un russe clandestin qui appelle parfois sa mère, un travesti et son ami, un jeune garçon. Ce n’est pas une nouvelle version du troisième homme, mais un film risqué sur des relations défiant tous les modèles de couples existants, faisant fi des références à la famille traditionnelle. Il ne s’agit pas de défendre l’appartenance à un groupe ou à une catégorie, mais d’œuvrer à créer un espace de respiration où chacun trouve une place pour se ressourcer. Le trio va partir en province, dans la famille du travesti, soigner sa mère malade et l’accompagner jusqu’à la mort. L’arrière pays de Jacques Nolot serait le seul film qui approche de l’âpreté et de la tendresse présentes dans ce film. Le film prend le risque de déplaire. Mais il communique la force de ce trio improbable et de leur amour certain.
Avanim de Raphaël Nadjari
Nous suivons une jeune femme, Mihal (Asi Levi), tout au long d’une journée, du lit au travail, du bureau au jardin d’enfant où elle arrive toujours en retard. Ces dérèglements imperceptibles amènent une prise de conscience après un choc affectif. Au lieu de hurler sa colère, son refus d’un monde oppressant, représenté par le père, le mari, les religieux, Mihal, jusque là fille obéissante de son père, essaie de comprendre par elle-même pourquoi elle est en état de choc. Tout le monde lui demande des comptes. Au lieu de dénoncer les pratiques illicites de son père et des religieux, elle cherche à ne pas envenimer les choses, à protéger même son père des conséquences de ses actes illicites, alors qu’il l’a froidement ‘répudiée’. Elle relève la tête et décide seule, pour elle et pour son enfant. Ce chemin d’émancipation solitaire s’appelle Avanim (Pierres). Tourné en Israël, Raphaël Nadjari a réalisé là son film le plus serein, donnant une leçon d’humanité qui arrive par défaut, « en creux » comme il dit.
Demain, on déménage, de Chantal Akerman –
Attention : Demain, on déménage -(sélectionné à Berlin par le Panorama) est une comédie comme Un divan à New York. Une comédie où plusieurs humours, plusieurs façons d’être drôles se superposent et se complètent : il y a l’humour de situations, le lustre en cristal qui va tomber – où – il faut le dire- Chantal Akerman n’est pas la plus forte. Mais toutes les autres catégories d’humour et d’ironie sont là, se superposent et éclatent dans un feu d’artifice de quiproquos, de remarques et d’écoute. Il y a même la place pour entendre la détresse d’un homme qui a enfermé-sans le savoir, sans le vouloir- sa jeune épouse qui l’a quitté depuis dans une merveilleuse maison la campagne. C’est un film d’humour et d’amour qui débouche sur l’utopie : l’utopie concrète, là et tout de suite, l’utopie qui se vit, se concrétise dans le quotidien. Pour la pratiquer, il suffit d’être ouvert à l’autre, de ne pas avoir les mains liées par trop de choses et d’objets, ni d’être plombé par trop de souvenirs. C’est le cas de Charlotte (Sylvie Testud), elle n’est attachée à rien, sauf à sa mère. Alors que sa mère (Aurore Clément) ne peut se déplacer sans son piano à queue, ne pourra être sans la valise du mari disparu, sans faire et refaire cuire des poulets au four… Catherine, la mère, se caractérise par ses obsessions, alors que Charlotte est libre, disponible. Pour elle, tout est simple, si elle peut avoir un coin de table et de la tranquillité. Si les meubles l’encombrent, elle les met dehors. Et si cela gêne quelqu’un, elle les rentre. Si les gens sont malheureux, elle les écoute en offrant un café ou un quatre mains au piano. Si une femme se sent bien dans cette maison, (Natacha Regnier) qu’elle revienne, on lui fera une place. Même si elle revient avec son nouveau né. Voici l’utopie joyeuse de Demain, on déménage ! Comme disaient encore les ouvrières de chez Lip : « Tout est possible ! »

///Article N° : 3329

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