L’Arbre sans fruit, d’Aïcha Macky

Femme parmi les mères

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Le jury des African Movie Academy Awards (AMAA) de juin 2016 a attribué son grand prix documentaire à L’Arbre sans fruit, d’Aïcha Macky, coproduit par Sani Magori qui avait remporté le même trophée en 2009 avec l’excellent Pour le meilleur et pour l’oignon ! (cf. [article n°8862]). Ces film issus du circuit formation/production Africadoc font partie de la collection Lumières du monde.

La mère d’Aicha Alhaji Macky est décédée à la suite d’un accouchement alors qu’elle n’avait que cinq ans. C’est ce traumatisme qu’Aïcha retravaille dans ce film sur l’infertilité, et son trouble, elle qui, mariée, n’a pas encore d’enfant. Elle démarre sur un accouchement : le calme et les conseils avisés de la sage-femme, la fatigue de la mère, l’arrivée de l’enfant. Puis une lettre parlée qui y fait référence : « Chère Maman, derrière la caméra, je tremble de tout mon corps » ; avant de conclure : « Dans mes nuits blanches, ton esprit guide mes pas ».
Ce film nous parle car il sait bâtir sur l’émotion de cette implication personnelle une interrogation pour la société, une question posée à tous. L’œuvre ne fut pas simple, tant le sujet reste tabou dans la société nigérienne. Comment convaincre de témoigner ? Comment filmer un visage qui ne veut pas être vu ? Aïcha Macky y parvient très bien. Avec sa petite équipe technique, elle a le sens du détail, des lumières, des ambiances. La caméra, le montage, sont d’une grande douceur. Les témoignages sont de fines conversations, où elle met en scène la qualité de l’écoute, les regards, les silences. Il fallait cette sensibilité pour accompagner un questionnement aussi délicat dans un environnement où le sexe reste un sujet interdit, où la femme ne doit pas se dévoiler.
Déjà, son premier film, Savoir faire le lit (cf. commentaire sur la [fiche du film n°16240], ramené du Sénégal où elle a suivi un master de réalisation de film documentaire de création à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, décrivait la transmission entre mère et fille de l’art de la séduction et de l’acte sexuel. On lui avait prévu scandale, répudiation, bannissement au pays : il n’en fut rien. Le film fut bien reçu, projeté dans les écoles et les universités, ouvrant moult débats, preuve que les sociétés africaines ne sont pas figées. (1)
Faut-il enfanter pour accomplir sa vie de femme ? Pour Aïcha, que l’on désigne comme un « arbre sans fruit », il fallait ce film pour s’affirmer avant tout femme parmi les mères – une place qui demande courage et détermination, mais qui donnera du courage à bien des femmes confrontées à l’indifférence des hommes envers leurs souffrances, aux soupçons et rejets des maris et de leur famille, à la prise de coépouses pour assurer la fertilité, aux arnaques de certains marabouts… Les droits des femmes sont intelligemment abordés, nettement mais sans pancarte, notamment à la faveur du prêche d’un imam à l’école coranique qui encourage à demander le divorce si le mariage ne conduit pas à la jouissance et au plaisir de la femme comme de l’homme, et à porter plainte auprès des chefs religieux en cas de refus.
C’est le non-dit qu’Aïcha affronte frontalement, ce non-dit qui entretient le mépris et les souffrances. Non contente de dénoncer le sort des femmes rejetées pour infécondité, elle revendique, à la lumière du témoignage de celles qui luttent pour leur dignité, la capacité de maîtriser son propre destin. Ce film fait ainsi mémoire, non seulement de pratiques à corriger mais aussi et surtout d’un positionnement d’acteur agissant par la parole et par l’image pour se dire, et ainsi dire le monde et contribuer à le changer.

1. Savoir faire le lit peut être visionné sur [vimeo]///Article N° : 13686

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Un commentaire

  1. DOUGROU SAWOURE AUGUSTIN le

    l’infertilité est monnaie courante aujourd’hui.
    elle est source de brouille, d’infidélité, de marginalisation et de maltraitance des femmes et de leurs droits
    du rejet pur et simple. Des crimes sont commis journellement partout dans le monde, parce que « on enfante pas ».
    Le cas de l’auteur n’est pas isolé.
    les êtres vivant sont trop préoccuper à peupler la terre, les autres formes de vie pour affirmer l’existence de la femme sont occultées…
    mes vives et sincères félicitations à l’auteur pour avoir osé!!!

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