Le déballage du « vieux continent »

Exposition "Unpacking Europe", Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam, déc. 2001 – fév. 2002

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Cette initiative a rassemblé une quarantaine d’artistes et d’auteurs intercontinentaux au sein d’une exposition et d’un catalogue qui sert aussi de véritable recueil d’essais. On y présente un regard critique sur l’histoire de l’Europe, dans sa relation avec les autres peuples, et aussi sur les enjeux de définition d’une identité européenne actuelle. A l’origine du projet, Salah Hassan et Iftikhar Dadi sont des curators issus d’une université américaine, invités à contribuer au programme de la ville de Rotterdam, capitale culturelle de l’Europe en 2001.

La thématique est volontaire mais modestement affichée avec, pour fond, une photo sombre en noir et blanc présentant un gentilhomme de peau noire, vêtu dans le style européen de la fin du XIXème siècle. Ne nous y trompons pas, l’exposition rassemble des œuvres d’un registre conceptuel international. Beaucoup d’installations et d’œuvres multimédias qui, toutes, décortiquent un rapport personnel à l’Europe. Dans de grandes salles, souvent plongées dans une semi-obscurité, les discours artistiques prennent la forme de vidéos, de projections, de bandes sons et d’agencements d’objets qui sondent le rapport entre l’identité et l’altérité. Si nombre d’entre eux témoignent des apports des civilisations étrangères dans la civilisation européenne, d’autres questionnent la notion de citoyenneté en s’imprégnant de l’univers urbain.
Maria Magdalena Campos-Pons (Cuba/Etats-Unis) compose un environnement enchanteur où les références au système esclavagiste de la culture cubaine s’immiscent dans l’univers féerique recréé dans les jeux des petites filles. L’installation Meanwhile the girls were playing fait partie d’une série de pièce intitulée History of People Who Were Not Heroes.
Rachid Koraichi (Algérie/France) expose une série de vasques en céramique, recouvertes de signes calligraphiques, en hommage au grand mystique Ibn Arabî (1165-1240). Porteur de la tradition soufie, il s’imprègne des grandes questions philosophiques qui traversaient la pensée mystique médiévale orientale comme occidentale.
Ken Lum (Canada), quant à lui, est le seul à exposer à l’extérieur du musée. Parodiant les procédés d’affichages publicitaires et politiques urbains, il crée dans le voisinage du musée une campagne d’affichage sur le thème de l’intégration des immigrés.
Dans l’ensemble, prédomine le sentiment que c’est plutôt dans le contenu que dans la forme des œuvres que se posent les questions d’altérité et d’identité. L’exposition contribue donc par-là à une meilleure reconnaissance d’artistes contemporains encore trop peu connus d’un public occidental. Ses motivations de base sont l’élaboration d’un regard critique sur les contradictions des sociétés européennes actuelles, « où il y a une montée de la xénophobie et un durcissement des politiques d’immigration, alors que sont aussi prônés les principes de cohabitation multiculturelle », nous confie Salah Hassan. Lui n’est autre que le curator d’origine soudanaise qui a monté l’exposition « Authentic/Ex-centric – Africa in and out of Africa » à la dernière biennale de Venise. Il y créait une première en terme de représentation de l’art contemporain issu du continent africain et de la diaspora. Il y créait une première en terme de représentation de l’art contemporain issu du continent africain et de la diaspora.
Salah Hassan poursuit son propos en mentionnant l’essai de Susan Buck-Morss, intitulé Hegel and Haiti, publié dans le catalogue. Il y est question de l’influence de la révolution haïtienne sur la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, au moment même où le célèbre philosophe formulait son concept. « Cette démarche fait aussi écho à l’analyse critique des Européens eux-mêmes sur la pensée occidentale », commente le curator, « en faisant état de ces contradictions à l’intérieur de l’Europe, cette idée que vous avez la liberté chez vous mais que vous continuez à exploiter et à réduire les autres en esclavage… L’article contribue donc à mieux cerner l’égocentrisme de la pensée européenne, qui ne veut pas même reconnaître que les cultures de résistance nées à l’extérieur ont contribué au développement de la pensée européenne. »
On voit là que de gros projets culturels sur des sujets controversés peuvent voir le jour en Europe. Espérons que les expositions artistiques suivront le mouvement d’émancipation des échanges commerciaux européens, et que n’importe quel de ses ressortissants pourra bientôt bénéficier d’un travail de cette qualité.

///Article N° : 2135

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