Le défi des dessinateurs africains

Réussir en Europe sans perdre leur identité

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Ne pouvant vivre de leur art dans leur pays, faute de marché, nombre de dessinateurs du continent africain s’installent en Europe où certains arrivent à se faire un nom, sans pour autant parvenir à imposer leurs projets personnels.

Après plus de 25 années de succès, la célèbre série Balade au bout du monde (1) a achevé son 4ème et dernier cycle. Si Makyo en a toujours été le scénariste, plusieurs dessinateurs y auront contribué : commencée avec Vicomte, la série s’est poursuivie avec Herenguel et Michel Faure, et se termine avec le Mauricien Laval Ng qui aura superbement dessiné les 4 derniers tomes.
Sa présence a pu contredire les a priori de certaines personnes selon lesquelles un dessinateur africain ne serait pas le mieux placé pour illustrer une histoire directement issue d’un fond culturel très européen. Le recours à des dessinateurs du Sud pour illustrer des histoires imaginées par des scénaristes occidentaux est pourtant devenu assez banal sur le marché de la BD. Les Congolais Pat Mombili et Albert Tshisuaka font partie de l’équipe des dessinateurs qui ont travaillé sur les 22 tomes de la collection érotique Blagues coquines, valeurs sûres de la maison d’édition Joker. La série Animotards qui se déroule dans le milieu des « bikers » est dessinée par le Camerounais Achille Nzoda. Hallain Paluku, auteur par ailleurs du splendide Missy, travaille sur le tome 2 de Rugbill, série se déroulant dans le milieu du ballon ovale pour laquelle il avait déjà dessiné le premier tome en 2007, sans pour autant être un spécialiste du rugby. Quant au Congolais Barly Baruti a illustré les sept volumes de la série Mandrill, sur un scénario de Franck Giroud mettant en scène un avocat évoluant en France dans le milieu trouble de l’après seconde guerre mondiale. Son compatriote Thembo Kash, qui vit toujours en RDC, travaille au second tome de Vanity (2) qui se déroule dans un château du 18ème siècle dans le milieu des marchands d’art et d’antiquités. Bien d’autres exemples pourraient être trouvés…
Ce phénomène assez récent peut être perçu comme l’une des conséquences de la profusion de titres apparus ces dernières années sur le marché francophone. Rien qu’en 2008, 1042 BD ont été publiées avant la fin du mois octobre ! Le nombre de dessinateurs n’étant pas extensible, il n’est pas anormal que des professionnels venus d’ailleurs puissent trouver du travail et aborder différents sujets. C’est aussi une forme de reconnaissance du milieu du 9ème art européen qui découvre l’incontestable talent graphique des dessinateurs du Sud. C’est aussi le jeu de ce que l’on appelle la mondialisation… Malheureusement, il illustre aussi un constat négatif. Si le nombre de bédéistes africains est en augmentation, ceux-ci restent encore noyés dans la masse des autres professionnels et ne se distinguent en rien de leurs homologues européens. À l’heure actuelle, ils ne sont pas encore en mesure de proposer d’autres thématiques ou d’autres formes d’expression graphique comme ont pu le faire les mangas japonais ou les comics américains. En effet, en matière de bande dessinée francophone, l’Europe reste encore hermétique à l’influence des autres pays, alors que les écrivains africains ont largement commencé à imposer leurs regards. Le prix à payer par les bédéistes africains pour pouvoir travailler est donc de se plier aux exigences des éditeurs européens. Cette situation est accentuée par le fait que la diaspora africaine, qui représente environ 8 à 10 % de la population française, n’est toujours pas considérée comme un marché suffisamment porteur pour que les éditeurs de BD s’y intéressent réellement. Les quelques éditeurs africains de BD installés en Europe (Sary92, Afrobulles, Mabiki) sont encore trop petits et trop fragiles pour pouvoir réellement peser sur les a priori.
Il faut, cependant, se garder de tout bilan précipité, l’apparition d’auteurs africains dans la bande dessinée étant encore récente. Il leur appartient maintenant de s’installer dans le paysage et de se faire connaître. Il semblerait bien que cette première étape soit en voie d’être franchie. En embauchant des dessinateurs africains, les éditeurs européens reconnaissent implicitement leur travail et leur talent graphique. Ouverts par la force des choses à tous les univers, les bédéistes africains montrent leur capacité à se fondre dans divers environnements, y compris ceux dont ils sont culturellement éloignés. Le travail de Laval NG sur Balade au bout du monde en est une belle illustration : faire oublier d’où l’on vient, se fondre dans le milieu, devenir un professionnel comme les autres et tendre progressivement vers la réalisation de projets personnels !

1. Les 16 albums de la série Ballade au Bout du monde sont édités chez Glénat.
2.Vanity tome 1, La folie du Diable, Joker Éditions, juillet 2007.///Article N° : 8084

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Les images de l'article
"Balade au Bout du monde, Tome 2, Pierres invoquées - 4e Cycle d'aventures" de Laval, Makyo
Les Animotards, Tome 1 : Titane beuglant
Mandrill Tome 4 : Chute LibreFrank Giroud
Vanity : Tome 1, la folie du diable





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