Un poète va mourir. Une comédienne va pleurer et un romantique va se jeter dans ses bras. Au milieu de tout cela, le cinéma (re)prendra sa véritable place, celle de la réconciliation. Un court-métrage tunisien qui aurait pu (qui aurait du) s’allonger le temps d’une caresse. Magnifique !
[Cf. entretien avec Mehdi Hmili]
Il est difficile d’y croire. Parfois
Ressentir cette douleur, la laisser vous pourrir le corps, puis tenter de la jeter aux pâtures de la rigueur artistique. Nous sommes loin d’une quelconque thérapie car le cinéma, en particulier, ne doit surtout pas être le divan de ses propres peurs. Ce voyeurisme abject perturbe le spectateur et l’envoie ailleurs. Et le cinéma, pour certains – les plus passionnés – refuse d’aller dans l’imagerie mais plutôt dans le cercle des intimes. Le Dernier minuit (quel beau titre) renvoie à cette sensation, à cette colère discrète et sa clochardisation extrême. On pense à de beaux élans amoureux, à cet Enfant secret, à ce Miroir réfléchi et parfois à cette Parole pure. On songe à tout cela et on a raison car la référence doit être le moteur de la quête. Mehdi Hmili, jeune cinéaste tunisien, ne peut concevoir sa propre image sans celle des autres, ces enfants de la désolation qui vécurent leur art au détriment – parfois – de leur vie.
Les mots chez Mehdi Hmili, souvent, ne l’aiment pas. Quelque chose d’organique qui se retournerait contre son auteur. « Elle n’aime pas mes écrits » se lamente Malek, le jeune romantique en parlant de sa femme. Paradoxe amoureux de la création, désir d’exister par la seule force de l’aura féminine, Le Dernier minuit traverse ses zones d’ombre quitte à violenter le spectateur. Incrédule, celui-ci assiste à une remise en question, à une circoncision sans appel, celle d’un cinéaste qui règle ses comptes avec soi-même. Point de nombrilisme ou d’intellectualisation forcée, tout semble se retrouve dans un montage nerveux qui conjugue déhanchement lascifs (regardez attentivement comment Hmili filme le corps de Maya, comment il lui susurre ces mots d’amours qui peuvent parfois être cruels) et déambulation gestuelle (les personnages du film sont constamment en mouvement, à la recherche d’un je-ne-sais-quoi de tranchant).
Les mots chez Mehdi Hmili peuvent aussi être rejetés. Ces quelques feuilles recueillant des tonnes de noirceurs sont mises à la trappe, incapables d’être transportées vers l’Autre car sans doute trop essentielles pour être traduites ou ressenties. On ne parle pas chez Hmili, on jette des indices : « As-tu jamais essayé de la comprendre« , « Un poète qui écrit des poèmes et qui bat sa femme« , « Tu es de la famille des incultes« . On ne s’engueule pas chez Hmili, on s’assied, et on se remémore les faits les plus tristes pour briser la normalité de la parole. En cela, le plan devient une sorte de gouffre où tout est jeté, brisé, remanié, catapulté
.vidé ! Mais à aucun moment on ne suffoque, on ne s’enferme dans une case où l’on serait tenté de pleurer. La pensée est distillée, la souffrance est partagée, le miroir devient le nôtre
Simplicité aussi de cette violence qui se tait pour mieux rabibocher les corps impatients. En plein milieu de cet essai désolé, se terre deux séquences où la durée est ralentie. Le poète, Belgacem Artaud, revit un quotidien tant espéré avec son fils, Mehdi, qui refusait de lui parler, le rendant responsable de la mort de sa mère. Puis, Mehdi coupe les cheveux d’Artaud. Ils discutent, se disputent, se renvoient la balle et finissent par malmener respectivement leur coup droit. La caméra, à cet instant, ne peut que balancer sa bille, effectuant des allers-retours sous peine de contenir sa colère. Furtivement, je pensais à toutes ces images qui ont dû regarder Mehdi Hmili, toutes ces puissances picturales qui chamboulèrent son esprit et qui lui offrirent la plus belle des beautés : 29 minutes pour dire « je t’aime » à sa bien-aimée.
Cette rigueur et ce dépassement de soi commencent à fleurir dans les images tunisiennes. Des visages sortent du lot, de jeunes regards qui refusent l’ostracisme de leurs ainés tout en palpant les nouvelles vagues d’antan et universelles. Les titres sont éloquents : Album (Shiraz Fradi), The Last Song (Homeida Behi), Vivre (Walid Tayaa), Un Ange passe (Leila Bouzid), Tabou (Meriam Riveill) ou Le Stade (Ala-Eddine Slim). Leurs cadres sont pénétrants et leurs douleurs, capitales. Ils filment des ponctuations et non des phrases toutes faites. Une virgule devient alors une respiration, un point-virgule, une porte entrouverte et un point, la fin de tout. Le reste n’est que palabre, adage ou citation. En cela, il faut impérativement les habiter car leurs films montrent avec un train d’avance la colère et les frustrations d’un peuple qui en janvier 2011 dernier, licencia sans indemnité un Ben Ali rabougri. Leurs films fonctionnent au présent, ils sont donc cinématographiques.
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